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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Une responsabilité universelle

Entretien avec Sa Sainteté le Dalaï-Lama

 Par Franz Alt



Le changement climatique ne peut plus être nié. Dans une série d’entretiens avec le journaliste allemand Franz Alt qu’il connaît de longue date, Sa Sainteté le Dalaï-Lama nous invite à regarder notre responsabilité universelle en face et à agir ensemble pour un monde plus respectueux de l’environnement et du climat.

 

Franz Alt : Pourquoi le problème du climat est-il la question de la survie de toutes les vies ?

Sa Sainteté le Dalaï-Lama : Je dis souvent en plaisantant que la lune et les étoiles sont belles, mais que si l’un d’entre nous tentait d’y vivre, il irait très mal. Notre planète bleue est un bel espace pour vivre. Sa vie est notre vie ; son avenir, notre avenir. Dans les faits, la Terre agit comme une mère pour nous tous. Notre monde est on ne peut plus interdépendant, que ce soit en ce qui concerne notre économie ou des problèmes qui nous dépassent, comme le changement climatique. Les scientifiques disent qu’une petite hausse de la température représenterait déjà un risque pour les hommes, les animaux, l’agriculture, l’eau, la fonte des glaciers. Si l’humanité ne parvient pas à stopper le réchauffement de la terre, de petits États insulaires disparaîtront à jamais en raison de l’augmentation du niveau de la mer. Malheureusement, ces catastrophes liées au climat touchent plus durement les pauvres. Lorsque nous regardons des photos de la Terre prises à partir de l’espace, nous ne voyons aucune frontière entre nous, uniquement cette belle planète bleue. Nous pouvons aller sur Mars ou sur la Lune, mais nous ne pouvons pas les coloniser. Notre Terre est l’unique lieu où nous pouvons vivre.

 

Pourquoi est-il si important de préserver l’harmonie entre l’environnement et les êtres vivants sensibles ?

Il existe une dépendance très étroite entre l’environnement et les êtres vivants sensibles, et c’est la raison pour laquelle nous avons une responsabilité commune au niveau mondial, aussi bien en ce qui concerne l’humanité que la nature. Lorsque l’environnement est détruit et souillé, cela entraîne d’innombrables conséquences négatives. Les océans et les mers perdent leur qualité de vie et les êtres vivants qui sont tributaires de ces espaces vitaux meurent. Le déclin de la végétation et la mort des forêts sont des signes précurseurs de la décadence de la terre. Les pluies si indispensables à nous tous cesseront de tomber, le sol séchera et subira des érosions, des tempêtes inimaginables s’abattront sur les continents. Nous souffrirons tous de ces conséquences.

 

Que faites-vous vous-même en faveur de l’environnement et du climat ?

Nous devons acquérir une conscience plus profonde de nos actes et des conséquences qui en résultent, que ce soit au niveau personnel ou familial. Qu’il s’agisse de la consommation d’eau ou de l’élimination des déchets : la protection et la préservation de notre environnement doivent devenir des éléments naturels de notre vie quotidienne. Moi-même, je ne mange que peu de viande. J’éteins la lumière quand je sors d’une pièce. Je prends des douches et non des bains, et j’exhorte les autres à faire de même.

« Chaque crise recèle également une chance »

Vous êtes devenu végétarien en 1965. L’êtes-vous toujours, et si oui, pourquoi ?

C’est vrai, je suis devenu un végétarien radical en 1965 — pas d’œufs, rien. Mais à la place, je mangeais de grandes quantités de crème et de noix, et, au bout de vingt mois, j’ai eu des problèmes avec la vésicule biliaire et ai attrapé une jaunisse.    Mes médecins me recommandèrent de revenir à mon régime d’origine. Je devais de nouveau manger un peu de viande, ce que je fais désormais une à deux fois par semaine. Je suis donc quelque peu dans la contradiction lorsque je dis à des non-végétariens qu’ils devraient manger végétarien.    

L’élevage de masse est particulièrement préoccupant. Nous, les êtres humains, nous pouvons vivre sans viande, ou avec peu de viande. Mais surtout sans souffrances animales — qui plus est dans notre monde moderne où nous disposons de nombreuses alternatives, notamment des fruits et des légumes.    L’élevage de masse a des conséquences fatales, pas uniquement sur les animaux, mais également sur la santé des êtres humains, sur les sols, les insectes et l’air.

Ce que nous faisons aujourd’hui aux animaux peut nous arriver à nous­mêmes. Peut-être un jour nous agenouillerons-nous devant eux pour leur demander pardon. Je pense à certains bouchers tibétains et pêcheurs japonais qui demandent pardon aux animaux qu’ils doivent tuer et qui prient pour eux.

 Je rencontre des jeunes gens qui cherchent des alternatives à la consommation brutale de viande. Le nouveau mouvement sans viande aux États-Unis s’appelle « Beyond Meat ». Toujours plus de consommateurs veulent réduire leur consommation de viande pour protéger le climat, mais également pour atténuer la souffrance dans les élevages de masse.

 

Vous dites qu’il faut donner la priorité à l’éducation à la préservation de l’environnement, du jardin d’enfants jusque dans les grandes écoles, également dans les universités. Pourquoi est-il si important de commencer si tôt ?

Chaque enfant devrait apprendre à l’école que son propre avenir et son bonheur dépendent toujours de l’avenir et du bonheur des autres. Les enfants peuvent apprendre dès le jardin d’enfants que tous les sept milliards d’êtres humains ont droit au bonheur. Nous vivons tous sur la même planète, sous le même soleil et nous respirons le même air. Le monde a besoin aujourd’hui — dès l’école — d’apprendre à apprécier l’environnement, mais sur la base d’une profonde compréhension qui va au-delà de la religion.

L’éducation à l’environnement doit être la priorité absolue, car nous sommes tous témoins de la destruction de notre système écologique et d’une tragique régression de la diversité des espèces. L’éducation à l’environnement impose d’apprendre à mener une vie plus équilibrée. Pour un appel universel, une telle éthique a besoin d’une base séculaire. J’ai fait l’expérience de la pollution et, progressivement, de l’écologie. Je me fais maintenant le plus grand souci pour l’environnement, car c’est devenu une question de survie. Cela, je l’ai acquis par l’apprentissage — pas par la méditation, mais par l’apprentissage avec l’aide d’experts.


Qu’entendez-vous par éducation du cœur ?

Je souhaite que l’on accorde davantage d’intérêt à l’éducation du cœur — des cours d’amour, d’amabilité, de paix, de compassion, de pardon, de scrupules, d’autodiscipline, de générosité et de tolérance. De nos jours, les systèmes modernes d’éducation sont principalement axés sur le développement matériel. Cette éducation moderne n’est pas adaptée et ne tient que peu compte des valeurs intérieures. Mais notre nature humaine est, de base, compassionnelle. Nous devons de ce fait établir un plan d’apprentissage qui repose sur la compassion et la cordialité et nous devons l’intégrer au sein de notre système moderne d’éducation dans un contexte plus global.

Contrairement aux plantes, nous ressentons des émotions. Nous devons apprendre à les contrôler et à acquérir la paix intérieure. C’est exactement cela que devrait proposer notre éducation : comment acquérir la paix intérieure. Elle devrait nous apprendre comment on vit correctement, comment mettre en harmonie le corps et l’esprit. Je considère cela comme essentiel.

« Nous devons modifier notre mode de vie et réduire notre grande dépendance aux énergies anciennes. »

 

Le soleil envoie sur terre 15 000 fois plus d’énergie que nous ne pouvons actuellement en utiliser.    Dans certains pays, comme le Costa Rica ou l’Islande, toutes les énergies sont renouvelables à 100 %. Au niveau mondial, un tiers de la production d’électricité est régénérative. Ce ne sont ni les connaissances ni les technologies qui nous font défaut, mais leur mise en application rapide. Pourquoi cette transition prend-elle tant de temps ?

Vous m’avez dit qu’aujourd’hui l’Allemagne produit 50 % d’électricité écologique. En 2000, ce n’était encore que 5 %. Cela prouve que même les pays industriels avec une importante consommation d’énergie peuvent passer aux énergies renouvelables. J’entends également que l’on développe aujourd’hui davantage de technologies de stockage des énergies solaire et éolienne. En outre, le soleil et le vent n’envoient pas de factures. Cela signifie que ce sont des cadeaux de la nature que nous devrons davantage utiliser à l’avenir. Au niveau mondial, les énergies solaire et éolienne sont les sources d’énergie les moins coûteuses. Nous n’avons donc pas besoin de centrales atomiques et à charbon. Nous sommes au début d’une révolution solaire au niveau mondial. Nous devons modifier notre mode de vie et réduire notre grande dépendance aux énergies anciennes. Les gouvernements doivent davantage inciter les producteurs d’énergie et les consommateurs de base à utiliser les énergies renouvelables.

 

L’Agence internationale pour les énergies renouvelables estime que, grâce à la transition vers l’énergie solaire, on créera vingt-cinq millions d’emplois d’ici 2030. Mais alors, pourquoi cette transition énergétique progresse-t-elle aussi lentement ?

C’est depuis toujours ainsi, une nouvelle technologie met relativement longtemps pour arriver à s’imposer complètement. De plus en plus de sociétés fabriquent des voitures électriques. Le coût de ces voitures est toutefois trop élevé et seuls les gens très riches peuvent en acheter. Elles doivent devenir plus accessibles. De même, d’autres énergies renouvelables doivent devenir meilleur marché, en particulier pour les membres les plus pauvres de la communauté qui souffrent le plus du changement climatique.

 

On peut déjà produire aujourd’hui en Afrique et au Chili de l’électricité solaire pour deux cents et demi le kilowattheure. Des énergies renouvelables permettent de développer l’économie également dans les pays pauvres du Sud et d’éliminer ainsi les causes de migration. Comment pouvons-nous imposer aux politiques de mettre très rapidement en œuvre ce qu’ils ont décidé à Paris ?

On devrait peut-être enfermer pour un certain temps les responsables politiques les plus importants du monde dans une pièce et y introduire du gaz carbonique jusqu’à ce qu’ils remarquent ce qu’est réellement le changement climatique. Ils comprendraient certainement très rapidement ce que les gaz à effet de serre font subir à l’homme. (Il rit assez bruyamment.) J’apprécie beaucoup les activités au niveau mondial en faveur de la transition énergétique et d’une meilleure protection de l’environnement. Mais j’ai souvent l’impression que les responsables politiques ne prennent pas suffisamment au sérieux la protection du climat et de l’environnement. L’ignorance est l’ennemi public numéro un.

 

« Les jeunes du xxie siècle ont la capacité et la possibilité d’initier un changement, de créer un siècle de la paix, du dialogue et de la compassion. »

Greta Thunberg dit qu’elle avait participé à un grand nombre de manifestations pour le climat avant sa protestation devant le Riksdag de Stockholm, mais que personne n’en avait parlé. Ce n’est que lorsqu’elle eut l’idée de la grève de l’école et qu’elle la mit en pratique que cela devint un thème mondial. Aujourd’hui, elle dit aux responsables politiques : « Nous faisons la grève jusqu’à ce que vous agissiez. Ensemble, nous changeons le monde. » Comment expliquez-vous, en tant que bouddhiste, cet effet mondial actuel de Greta qu’aucun scientifique n’aurait pu inventer ?

La motivation de la jeune Greta Thunberg pour éveiller les consciences au réchauffement de la terre ainsi qu’à la nécessité de le combattre représente un impressionnant tour de force. Malgré son jeune âge, son sentiment de responsabilité universelle qui l’incite à agir est magnifique. C’est la raison pour laquelle je soutiens son mouvement « Fridays for Future ». Les jeunes gens ont deux arguments de poids : leur jeunesse et leurs perspectives de vie, ainsi que la vérité scientifique.Je crois que chacun de nous porte la responsabilité de contribuer à mettre notre famille globale sur la bonne voie. Les vœux pieux ne suffisent pas ; nous devons prendre nos responsabilités. Chez l’être humain, les grands mouvements voient le jour à l’initiative de personnes isolées.Les jeunes du xxie siècle incarnent désormais l’humanité de la planète. Ils doivent adopter un rôle plus actif en faveur de la protection de l’écologie et de notre patrie. Ils ont la capacité et la possibilité d’initier un changement, de créer un siècle de la paix, du dialogue et de la compassion. Ils peuvent travailler main dans la main comme des frères et sœurs et trouver ensemble des solutions, même si la terre continue ainsi à se réchauffer. Ils sont notre véritable espérance. Et je suis confiant parce que leurs efforts reposent sur la vérité et la raison scientifique — c’est pourquoi ils réussiront.

 

Greta et les milliers d’élèves et de jeunes gens qui l’ont rejointe entre-temps ont-ils raison lorsqu’ils nous interpellent, nous, les vieux, en disant : « Nous faisons du bruit parce que vous nous volez l’avenir » ? Greta dit : « Our house is on fire » – « Notre maison brûle ». Est-ce exagéré ?

Lorsque des millions de jeunes frères et sœurs font la grève dans le monde entier parce que les responsables politiques ne réagissent pas, c’est bien que quelque chose ne va pas. Le changement climatique n’est pas un problème pour uniquement une ou deux nations. C’est un problème qui concerne toute l’humanité.   Nous devons penser globalement, mais agir localement. Cela doit également être le cas lors des élections des responsables politiques. Notre comportement d’électeur est également une question de morale. Nous voyons aujourd’hui que les élections sont fortement influencées par la politique environnementale. On élit toujours davantage de députés verts. C’est un signe puissant qui met en évidence que la manière de penser et d’agir des êtres humains peut modifier l’esprit de l’époque. Je me réjouis qu’aujourd’hui ce soit surtout les jeunes gens qui comprennent le rapport entre politique environnementale et élections.

 

Comment considérez­vous l’action concrète de Greta Thunberg et des autres jeunes ? Soutenez-vous le comportement des jeunes élèves qui font l’école buissonnière et descendent dans la rue afin d’exiger un changement radical? 

Je lui ai écrit pour lui dire que j’admirais et soutenais également cette action. Nous autres, les vieux, nous survivrons bien aux dix ou vingt prochaines années. Mais les jeunes comme Greta verront encore la fin de notre siècle et ils devront affronter le changement quel qu’il soit. Ils redoutent à raison le réchauffement climatique et l’extinction des espèces, ainsi que leurs conséquences pour tout leur environnement et leurs contemporains. Ils sont tout simplement réalistes et nous devrions les soutenir. Nous donnons parfois l’impression, nous, les vieux, d’être trop axés sur le matérialisme, que nous adhérons à une culture matérialiste. Les jeunes ressentent qu’il manque quelque chose à une telle vie.   

 

Greta Thunberg a une vision très réaliste de la politique. Elle déclare aux députés du Congrès des États-Unis : « Ne nous dites pas combien nous sommes une source d’inspiration pour ensuite ne rien faire. » Que pouvons-nous faire maintenant ?

Nous pouvons faire beaucoup de choses. Vous venez d’Allemagne. Après 1945, l’histoire européenne a montré que la paix était possible bien que, au cours du siècle dernier, chacun fût en guerre contre chacun en Europe.  J’admire énormément l’esprit de l’Union européenne qui a préservé la paix parmi ses membres. Jamais encore un pays n’a fait la guerre à un autre pays au sein de l’Union européenne. Soixante-dix années de paix ! La politique peut changer, exactement comme les êtres humains le peuvent.    

Chaque crise recèle également une chance. Beaucoup de gens en font l’expérience dans leur vie privée. Mais les crises recèlent toujours une chance également dans la politique et l’économie.

 

Vous préconisez de planter des arbres pour l’avenir et la paix. Pourquoi est-ce si important ?

Les arbres nous accompagnent depuis toujours et ils sont aujourd’hui encore essentiels pour nous. Ils nettoient l’air dont nous avons besoin et offrent espace vital et protection aux insectes et aux oiseaux. Ils contribuent à la régularité des pluies qui nourrissent les plantes et les animaux utiles et participent à l’équilibre climatique. Ils nous offrent un paysage attrayant, plaisant pour les yeux et apaisant pour l’esprit, et mettent durablement de la vie dans leur environnement. Ils représentent également une source de croissance économique si nous nous y prenons correctement. Selon le codex monacal, les moines ordonnés sont tenus non seulement de tailler les arbres, mais également et surtout de les planter et d’en prendre soin. C’est la raison pour laquelle il est dans notre intérêt de planter des arbres et des fleurs aux endroits où nous habitons, travaillons et apprenons, mais également autour des hôpitaux et le long des chemins et des routes.On a créé au cours des dernières décennies des plantations d’arbres dans les monastères tibétains au Tibet et au Japon. Cela associe l’aide à autrui avec la création d’un environnement meilleur et d’un lieu de vie plus heureux. Pour avoir un réel sentiment de responsabilité pour la communauté, on doit tout d’abord se sentir responsable de sa propre maison.

Le besoin en nature et en verdure est profondément enraciné en nous. Si tu passes du temps dans la forêt et que tu entends chanter les oiseaux, tu te sens bien intérieurement. Lorsque nous sommes entourés de choses artificielles, il nous est plus difficile de rester paisibles. Comme si nous étions devenus nous­mêmes artificiels, nous développons l’hypocrisie, la suspicion et la méfiance. Dans cet état, il nous est difficile de partager une amitié réellement cordiale. Nous avons besoin de vie autour de nous, une vie qui croît, fleurit et s’épanouit. Parce que, en tant qu’êtres sociaux, nous voulons également croître, fleurir et nous épanouir. Nous aimons tous notre technologie. Mais notre relation avec les plantes et la nature est irrémédiablement très ancienne et très profondément ancrée en nous. L’éthique économique bouddhiste ne se préoccupe pas uniquement de la vie des êtres humains, mais de toutes les vies, également de celle des animaux et des plantes.

 

Se priver est-il au cœur d’une plus grande équité écologique ?

On peut le dire, en effet. Renoncer aux excès est au cœur de la croissance spirituelle. Imaginez tout ce que nous pourrions faire de bien si les États-Unis réduisaient seulement de moitié leur budget militaire. On disposerait chaque année de plus de trois cents milliards de dollars pour des projets écologiques, comme la transition vers l’énergie solaire, ou pour combattre la faim dans les pays pauvres. La défense de l’avenir au lieu d’armements dangereux. Cela pourrait réellement être le début d’une ère écologique et lui insuffler de l’énergie. Le « renoncement » serait une libération.


Extrait de L’appel pour le climat du Dalaï-Lama paru aux Éditions Guy Trédaniel (2021)

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )

 

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