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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Une journée au monastère-racine de Thich Nhât Hanh

Dernière mise à jour : 21 juil.


Par Thomas Lestavel

Photos: ©VDP


Sagesses Bouddhistes s’est rendu à la pagode de Tu Hieu où Thich Nhât Hanh vit désormais depuis quelques mois. Un reportage de Thomas Lestavel, relié à Paris au mouvement Wake Up (communauté proposée aux 18-35 ans des pratiquants du Village des Pruniers). 


La ville d’Hué constitue une étape incontournable pour tout voyageur au Vietnam. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, l’ancienne cité impériale arbore fièrement ses temples colorés et ses remparts impressionnants. À quelques kilomètres de là, loin du brouhaha des touristes et des scooters, se trouve la pagode de Tu Hieu. C’est dans ce lieu plein de nature et de sérénité que Thich Nhât Hanh est devenu moine en 1942, à l’âge de 16 ans. Il vient d’y retourner il y a quelques mois « pour y vivre ses derniers jours », comme l’a annoncé le Village des Pruniers en novembre dernier. 


L’atmosphère est propice à la joie et à la lenteur. De grands arbres protègent les promeneurs du soleil. En pratiquant l’assise devant l’étang en demi-lune, recouvert de nénuphars, on contemple avec plaisir les eaux troubles infestées de poissons orange et jaunes. Les grenouilles et les cigales jouent de leur concert vocal à la tombée de la nuit. Un maigre chat blanc se faufile entre les pierres du cimetière. Soudain on aperçoit un iguane qui escalade furtivement un tronc d’arbre avant de se cacher derrière le feuillage. Au loin, deux amis se promènent lentement en discutant à voix basse. On croise ici bien sûr des moines, des moniales, mais aussi quelques visiteurs vietnamiens et étrangers. L’ambiance est intimiste — une trentaine de personnes tout au plus. 

Conformément à l’enseignement du maître zen, la vie à Tu Hieu est centrée autour de la pleine conscience. Les visiteurs viennent avant tout ici pour ralentir, respirer, retrouver la joie des choses simples. Goûter à la vie.


« Si je peux voir Thay c’est super, mais sinon ce n’est pas grave, je suis émue de me trouver dans cet endroit qui a été si important dans sa vie » 

témoigne une jeune Allemande venue pour quelques jours, à l’occasion d’un voyage en routarde au Vietnam. Le programme d’une journée ressemble à s’y méprendre au Village des Pruniers ou à la Maison de l’Inspir. Une méditation au lever du soleil ; une marche méditative, les pieds bien ancrés dans le sol ; un petit déjeuner en silence, attablés tous ensemble, en prenant soin de savourer chaque bouchée avec gratitude. Ce matin-là, nous pratiquons une méditation du travail. Assis par terre, moniales et laïcs épluchent des légumes en échangeant quelques mots en anglais. « Vous venez d’où en France ? »


 nous demande timidement une des sœurs. Cinq Français se trouvent au monastère au moment où nous nous y rendons, mais aussi quelques Allemands, des Américains, et bien sûr des Vietnamiens. 

« Depuis le retour de Thay à ses racines, des pratiquants du monde entier viennent visiter le monastère » témoigne Aurélie, une trentenaire qui vit depuis quelques mois à Hué. 


« Pour les monastiques cela veut dire plus de travail, mais aussi de joie, et une énergie nouvelle venue de loin. Ils s'étonnent souvent du nombre d'étrangers venant voir le maître ! J'ai lu le livre du maître intitulé  La robe de mon maître (My master's robe) et c'est très émouvant pour moi d'avoir la chance d'être ici. Dans son livre, il raconte sa vie d'aspirant avant de devenir moine. Il décrit les lieux et la guerre qui faisait rage à cette époque. Sur cette terre repose beaucoup d'histoire et c'est là que tout a commencé pour Thay. Je pense que c'est ce que viennent chercher les pratiquants : ils désirent mieux connaître sa famille spirituelle. On ressent cette énergie très forte qui nous ramène en nous-mêmes. C'est très beau et plein de sens lorsque l'on veut aller plus loin dans la pratique ». 


Après le déjeuner, quelques pratiquants vont se promener dans la nature pendant que d’autres s’allongent dans l’herbe ou s’accordent un temps de paresse dans la salle de méditation, sous le regard bienveillant de la statue de Bouddha. Le calme est très légèrement troublé quand un groupe de touristes, accompagné d’un guide, pénètre les lieux et prend quelques photos des bâtiments — la pagode est référencée (et très bien notée) sur TripAdvisor. Mais ils ne s’attardent pas. En milieu d’après-midi, une sœur délivre un enseignement en vietnamien sur la vie de Thay. Deux monastiques acceptent gentiment de traduire en anglais pour les étrangers. « Vous avez de la chance, ce n’est pas toujours le cas », nous dit en souriant Aurélie. La Française, qui donne des cours d’anglais et de pleine conscience dans une école du coin, se rend presque chaque jour à la pagode en scooter — le moyen de locomotion favori des Vietnamiens. 


« Se considérer comme faisant partie d’un courant, d’une lignée, c’est l’enseignement le plus profond du bouddhisme : le non-soi. Nous sommes vides d’un soi séparé, et pourtant, nous sommes pleins de nos ancêtres » Frère Phap Dung» 

« On ne voit pas souvent Thay. Il est très affaibli. Quand il en a la force, il se promène plutôt aux heures calmes pour éviter de croiser trop de monde » confie un laïc. Le maître dort sur place, dans une chambre dépouillée. Son entourage proche, des moines de la tradition du Village des Pruniers, se relaie pour prendre soin du « professeur » (« Thay » en Vietnamien, surnom respectueux employé par les pratiquants). Chaque matin aux aurores, les frères et les sœurs méditent ensemble dans la salle de méditation située près du lieu de vie de Thay. Quand sa santé le permet, il sort de sa résidence pour marcher avec les pratiquants laïcs. D'ailleurs, on peut souvent apercevoir des pratiquants assis autour de la « grande cloche », dans l'attente d'apercevoir, voire de marcher, avec le maître zen. 

Depuis son accident vasculaire cérébral en 2014, Thich Nhât Hanh ne communique plus par les mots mais par les gestes et le regard. Mais comme le confient certains monastiques, avec beaucoup de tendresse dans le regard, « Thay continue de donner des enseignements sous d'autres formes. Il faut savoir observer et comprendre quand il veut sortir ou rentrer par exemple. Apprendre à s'occuper de notre maître constitue une pratique profonde et demande de la pleine conscience ». Chaque jour, des médecins acupuncteurs qui pratiquent la pleine conscience offrent leur savoir-faire pour soulager Thay et ses proches. Sœur Chan Khong, le « bras droit » de Thich Nhât Hahn qui vient de fêter ses 82 ans, veille également sur lui. Elle donne régulièrement des nouvelles à la communauté et informe les pratiquants laïcs de ses horaires de sortie. 



C’est en célébrant ses 92 ans en octobre dernier que le fondateur du Village des Pruniers, auteur d’une centaine de livres sur la pleine conscience, a exprimé le désir de rentrer dans son pays natal. Ce retour constitue « une source de paix et de bonheur pour ses disciples, le temple Tu Hieu et toute sa lignée », se sont réjouis les frères et sœurs du Village des Pruniers dans un communiqué. « Le message transmis par cette décision, c’est nous ne venons pas de nulle part. Nous avons des racines. Nous avons des ancêtres. Nous faisons partie d’une lignée ou d’un flux », a quant à lui expliqué Frère Phap Dung dans une interview publiée sur le site du Village. « Se considérer comme faisant partie d’un courant, d’une lignée, c’est l’enseignement le plus profond du bouddhisme : le non-soi. Nous sommes vides d’un soi séparé, et pourtant, nous sommes pleins de nos ancêtres » poursuit le moine. 

De fait, pour son entourage proche et lointain, et pour tous les pratiquants qui ont fini par s’attacher à lui, la perspective de la mort de Thay représente une épreuve. Ou plutôt, une pratique. « Le lâcher prise est l’une de nos pratiques principales. Cela va de pair avec la reconnaissance de la nature impermanente des choses, du monde et de nos proches. Cette période de transition est son dernier et le plus profond enseignement qu’il donne à notre communauté. (…) Lâcher prise, ce n’est pas seulement lâcher, c’est aussi faire de la place en vous à votre maître, le laisser vivre en vous. (…) En inspirant, je respire avec mon maître en moi ; en expirant, je le vois sourire en moi », témoigne Frère Phap Dung. C’est dans la joie simple de la pagode de Tu Hieu que se déploie cette leçon fondamentale. Penser avec amour à ceux qu’on aime. Profiter de chaque instant de la vie. Et embrasser le présent, avec gratitude. 


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°10 (Été 2019)


 





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