Par Kankyo
Dans ma dernière chronique (septembre 2019), j'évoquais les questions soulevées par la tradition du crâne rasé chez les bouddhistes. Un thème suscitant la curiosité de mes contemporains, tout comme celui du sexe des anges ou de la vie sexuelle des moines et nonnes. J'ai donc décidé de lever le voile, dans la limite du raisonnable, rassurez-vous.
Comme peu de personnes osent une attaque à la hussarde (si l'on peut dire...) la question émerge souvent sous la forme suivante : « Et sinon... euh... (sourire gêné)... vous pouvez vous marier ? » Mon interlocuteur a un peu hésité avant de se lancer car, en arrière-plan, la vraie question serait plutôt : « Et sinon... euh... vous avez des relations sexuelles ? »
Alors voici pour commencer quelques mises au point tout à fait subjectives :
La chasteté obligatoire dépend des traditions bouddhistes. Chez nous (les « Zen ») le mariage des moines — et les relations sexuelles — ont été autorisés au xixe siècle dans le but avoué d’affaiblir les bouddhismes zen et shingon, lesquels avaient trop d’influence sur la société japonaise. Les nonnes, elles, n’avaient droit à rien, à part se taire et suivre les directives masculines, mais ceci est une autre histoire... Dans d’autres écoles bouddhistes, les moines et nonnes sont célibataires, et chastes. Point-barre.
Les appellations « moines et nonnes » ne correspondent donc pas vraiment à la réalité de nos vies, car le choix du célibat est laissé à la discrétion de chacun. Nous avons dans le catalogue : des nonnes mariées avec enfants, des moines célibataires endurcis, des nonnes divorcées, des moines remariés trois fois, des nonnes célibataires sans enfant... Bref, tout est possible, à condition de rester bien à l’abri, sous le parapluie des préceptes bouddhistes.
Une fois ceci posé, entrons dans le vif du sujet : est-ce que oui ou non c’est « casher » de tomber amoureux, d’envoyer 200 messages Whatsapp par jour à l’élu de notre cœur, et de détailler mentalement les merveilles de son physique d’Adonis, sans oublier la petite fossette, là, au coin de cette bouche, qui sait si bien embrasser... Oups ! Pardon ! Je m’emballe...
Un maître zen me confiait récemment que la Voie du Bouddha se vit au cœur du brasier et non pas en cherchant à tout prix à éviter les passions. Le débat est lancé depuis des millénaires. Où est la voie du milieu ? Dans l’ascèse et le renoncement ? Dans l’ouverture à ce qui est là ? Et d’ailleurs, quand on y réfléchit, l’idée de « Voie du milieu » ne serait-elle pas profondément sensuelle ? (Le milieu, quel milieu ?)
Alors non, dans cette chronique, je ne vais pas vous détailler mes égarements charnels – qui sont aussi peu intéressants que le cours des produits dérivés sur le second marché – mais me souvenir de ces moments où, emportée par la vague irrépressible du désir, tout sens commun avait disparu. Les pensées qui me traversaient l’esprit étaient alors fort peu raisonnables, sans que je ne parvienne à les freiner, les ralentir ou même m’en détacher. Une lame de fond devant laquelle seul un Bouddha stoïque et surtout libéré du besoin d’exister dans le regard de l’autre aurait pu tenir bon. Car, c’est ce point qui, me semble-t-il, alimentait la machine : la nécessité impérieuse que l’autre me voit, me désire, me touche et tutti quanti... une quête en opposition notable avec l’idée de non-séparation qui anime l’enseignement bouddhiste. Mais pour être franche, à ce moment-là, l’enseignement du Bouddha était le cadet de mes soucis et ma technique a été la suivante : attendre que ça passe, sans lutter, en souriant aux étoiles qui avaient permis à mon cœur et mon corps de vibrer à nouveau. Vivants !
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)
Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteure du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis une quinzaine d’années dans un monastère en Alsace.