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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Un maître hors du commun

La tournée européenne du Dalaï-Lama


Texte & photos : Dominique Butet & Olivier Adam


© Olivier Adam

LA FORCE DU DIALOGUE INTERRELIGIEUX RÉAFFIRMÉE

Chaque étape européenne du Dalaï-La­ma est l’occasion de rencontres interre­ligieuses : ainsi, prêtres, imams, rabbins, hommes et femmes de toutes confessions se retrouvent à ses côtés lors des diffé­rentes conférences ou enseignements, provoquant accolades, éclats de rire et échanges complices, sous les applaudis­sements du public, conquis par tant de joie manifestée.

Le 14 septembre 2016 à Paris au Collège des Bernardins, en compagnie des représen­tants des cultes de France, Sa Sainteté a rappelé qu’il est primordial de promouvoir l’harmonie entre les religions puisqu’au ni­veau fondamental elles véhiculent toutes le même message d’amour, de respect et de tolérance. Il a alors évoqué sa rencontre avec un moine catholique qui avait passé cinq ans en retraite dans les montagnes. « Je lui ai demandé quelle était sa pratique quotidienne et il m’a répondu qu’il méditait sur l’amour. En même temps, j’ai vu l’éclat du vrai bonheur dans ses yeux. J’ai eu des échanges similaires avec des pratiquants musulmans, merveilleux eux aussi. » Il a ajouté que dans le monde trop de conflits étaient menés au nom de la religion et que certaines expressions employées par les médias, telles que « terroriste islamique » ou « terroriste bouddhiste, », étaient tota­lement erronées : en effet, celui qui répand le sang ne peut plus être considéré comme pratiquant d’aucune religion.

Alors que le Dalaï-Lama oeuvre pour ce dialogue interreligieux depuis près de quarante ans, le monde global dans lequel nous évoluons ne peut plus nous laisser ignorer la multiplicité de ses religions et nous convie au respect mutuel. « Chacun doit pouvoir garder sa terre, ses traditions, sa religion et son identité et chacun se doit de respecter celles des autres. »


© Olivier Adam



LE CORPS, L’ESPRIT ET LA SCIENCE

À peine une semaine après le 31e dia­logue Mind and Life organisé à Bruxelles, le Dalaï-Lama était de nouveau invité par des scientifiques à une intense journée d’échanges, à l’université de Strasbourg, tout près de la faculté de médecine où depuis 2012 le professeur Jean-Gérard Bloch délivre un diplôme universitaire novateur intitulé « méditation et neuros­ciences ». La question du lien entre la médi­tation et le fonctionnement du cerveau ne date pas d’aujourd’hui. En effet, il y a 3 ou 4 000 ans, la tradition de l’Inde ancienne s’intéressait déjà à la psychologie de l’es­prit et à la manière de le transformer par la pratique de Shamata (concentration en un point) et de Vipassana (vision profonde).


Porteuse de cet héritage, Sa Sainteté s’est engagée depuis trente ans dans un dia­logue entre les sciences contemporaines, les sciences contemplatives, la physique quantique et la psychologie, et ce bien avant le succès récent des neurosciences, dont les résultats confirment notre grande plasticité cérébrale. Les échanges entre le bouddhisme et la science permettent par exemple de comprendre comment la co­lère peut nuire à notre système immuni­taire et donc comment, par l’entraînement méditatif, nous pouvons transformer notre esprit pour être en meilleure santé. Mais il ne faudrait pas confondre la pratique de l’empathie et celle de la compassion : la première entraînant un processus d’iden­tification avec la douleur de l’autre où l’on est vite submergé tandis que la com­passion, dans son aspect de sagesse, fait prendre conscience des souffrances d’au­trui tout en cherchant des solutions pour les accompagner au mieux. Observant que dans les milieux médicaux, nombre de soignants sont victimes de burnout empa­thique, la neuroscientifique Tania Singer travaille au développement de la pratique de la compassion pour compenser les dé­rives de l’empathie. Le Dalaï-Lama a, quant à lui, insisté sur la distinction entre un sens biologique, inné, de la compassion qui au­rait tendance à être partiel et une com­passion véritable, fondée sur un entraî­nement réel de l’esprit. Matthieu Ricard a alors souligné qu’il fallait du courage pour développer une grande compassion, en ajoutant que la coopération était un prin­cipe beaucoup plus efficace que celui de la concurrence dans la vie sociale. Enfin à la question du neurologue Steven Laureys qui doutait que la conscience puisse exister en dehors de notre cerveau, Sa Sainteté a répondu qu’il était difficile d’expliquer cela en se limitant à une approche purement matérialiste. Là encore seule la pratique de Shamata et de Vipassana est capable de révéler la luminosité de la conscience et de la connaissance.



© Olivier Adam



L’ENVIRONNEMENT, UNE QUESTION DE RESPONSABILITÉ UNIVERSELLE

Depuis 1973, la question environnemen­tale tient particulièrement à coeur au 14e Dalaï-Lama. Sa visite automnale le mène donc à la rencontre des avocats du barreau de Paris – et notamment son bâtonnier Frédéric Sicard, ainsi que maître Patricia Savin, avocate à la Cour et présidente de la commission Environnement et Déve­loppement durable, pour leur demander de s’impliquer vis-à-vis de la question environnementale. Ceci afin de définir des normes de droit nécessaires à l’évolu­tion concertée des nations et d’assurer la transition énergétique et l’adaptation du monde au réchauffement global. En même temps, Tenzin Gyatso est bien conscient que le juridique ne suffira pas car ce sont les êtres humains qui, en premier lieu, ont la responsabilité collective de réparer les débordements qu’ils ont créés. En effet, non seulement ils ont semé, par une ac­tivité irraisonnée, le désordre climatique sur la terre mais ils ont également créé des guerres en laissant fleurir la haine… cette opportunité de changer le monde prend donc racine au niveau individuel, grâce avant tout à l’éducation qui permet de développer la paix intérieure et enseigne comment prendre soin des autres et de notre espace environnant. Si bien qu’ins­pirés par ces actions, d’autres feront de même par la suite, des petits groupes puis des grands, des associations et puis des pays. Cependant, n’est-il pas trop tard en matière de réchauffement climatique ? La réponse de Sa Sainteté est résolument ouverte et optimiste : personne ne sou­haite ces catastrophes écologiques, au contraire, au fond de nous, nous voulons l’unité des sept milliards d’êtres humains et la bonne nouvelle est que nous en avons la ressource ! Les neurosciences l’ont prouvé scientifiquement : il y a au coeur de l’être humain une nature profonde beaucoup plus altruiste que nous ne l’avons jamais imaginée et cette nature profonde crée notre Nouvelle Réalité[1], celle qui nous permet d’espérer en l’avenir de l’homme et de la planète. « Même si éteindre la lumière en quittant une pièce ne semble pas grand-chose, cela ne signifie pas que nous ne devions pas le faire», conclut Sa Sainteté avec son œil malicieux.



ENSEIGNER DAVANTAGE L’AMOUR

S’il est un thème sur lequel le Dalaï-La­ma insiste particulièrement, en Europe et ailleurs, c’est bien celui de l’éducation. En effet, alors que notre système éducatif actuel fait la promotion de l’intelligence au service d’un accomplissement essentiel­lement matériel, Sa Sainteté est de ceux qui défendent l’enseignement de valeurs intérieures basées sur une éthique uni­verselle laïque à laquelle pourrait adhérer l’humanité entière, y compris le milliard d’êtres humains qui se déclarent athées. Une équipe de scientifiques est d’ailleurs actuellement en train de tester ce curricu­lum et sera, dans un an environ espère-t-il, en mesure de le proposer aux écoles du monde entier. Et parmi les valeurs ensei­gnées, la compassion figurera en bonne place. « D’une part parce que notre nature profonde est positive et d’autre part parce que le XXIe siècle sera celui de l’Amour et de la compassion », explique Tenzin Gyatso qui, répétant que sa mère a été son plus grand professeur en la matière, ajoute : « Il nous faut plus de leaders femmes pour que la violence soit moindre à l’avenir. » L’éducation est à ses yeux le seul moyen d’apporter plus d’égalité entre les hommes et les femmes.

Selon lui, il est temps de porter plus d’at­tention à nos valeurs humaines fondamen­tales en développant notre compassion et notre paix intérieure – un changement rendu possible par la plasticité céré­brale ! – ; ainsi, nous pourrons partager ces richesses avec d’autres et construire ensemble un monde plus pacifique. Face aux sceptiques, il s’insurge : « Pratiquer la compassion n’est pas un signe de faiblesse, c’est la colère qui l’est. » Face à ses étu­diants, il encourage : « Cultiver la compas­sion n’est pas un luxe mais une nécessité. » Bref, en toutes circonstances, Sa Sainteté célèbre l’éducation comme un facteur-clé pour l’avenir.


© Olivier Adam


ACCÉDER À LA NATURE ULTIME DES CHOSES GRÂCE À L’ÉTUDE ET LA CONNAISSANCE

Que ce soit à Bruxelles, Milan, Prague ou Strasbourg, nombreux sont ceux qui sont venus suivre les enseignements du Dalaï-Lama en septembre et en octobre derniers. À Strasbourg, dès sept heures du matin, les plus motivés se pressaient joyeusement devant les grilles du Zénith, sous une pluie battante mais auspicieuse. Il faut dire que Sa Sainteté, soucieuse de nourrir ses étudiants du Dharma, avait tenu à avancer le début des enseigne­ments d’une heure ! Au total 8 800 per­sonnes étaient réunies pour écouter les précieuses explications du Commentaire de l’Esprit d’Éveil de Nagarjuna. Se re­plaçant dans la grande lignée des maîtres de l’université de Nalanda où le boudd­hisme prend sa source, le Dalaï-Lama a expliqué que les quatre nobles vérités sont le fondement de l’enseignement du Bouddha. Le premier tour de roue de ses enseignements correspond à la prise de conscience de la souffrance et de ses causes. Le deuxième tour de roue se réfère à la cessation de la souffrance, il est donc consacré à l’enseignement de la vacuité à travers l’étude de la Prajnaparamita (ou Perfection de la Sagesse). Et le troisième tour de roue, qui traite de la vérité de la Voie, décrit la nature lumineuse de l’es­prit, lorsque nous serons libérés de tous nos obscurcissements. Puis, revenant au Commentaire de l’Esprit d’Éveil, Sa Sain­teté a expliqué comment en pratiquant la méditation qui unit le calme intérieur et la vision pénétrante, dans un samadhi qui réalise la bodhicitta ultime, nous pouvons nous libérer de l’attachement et de la saisie qui entretiennent l’existence conditionnée des phénomènes. Encore faut-il pouvoir se libérer de ces attachements au niveau le plus subtil qui est généralement l’atta­chement à sa propre conscience. C’est pourquoi il est nécessaire de méditer sur la vacuité car ainsi nous serons libérés de l’attraction-répulsion vis-à-vis des êtres ou des phénomènes puisque nous saurons que rien de tout cela n’existe au plan ul­time et nous serons alors plongés dans une grande félicité. « Beaucoup de souffrances sont créées par un attachement excessif à soi-même, a conclu le Dalaï-Lama, un des remèdes puissants est d’arriver à chérir davantage autrui que soi-même. »


© Olivier Adam

[1] Nouvelle Réalité, L’âge de la responsabilité universelle, Le Dalaï-Lama et Sofia Stril-Rever, Éditions Les Arènes.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)

Toutes les photos de la tournée du Dalaï-Lama sur www.olivieradam.net

Les nonnes des Himalaya : www.daughtersofbuddha.etsy.com


 

Dominique Butet est enseignante et journaliste. Olivier et elle, ensemble, suivent depuis huit ans le parcours des nonnes bouddhistes des régions de l’Himalaya. Cette série, « Daughters of Buddha », documente la vie quotidienne des nonnes et met en lumière l’évolution récente qui les conduit vers une plus grande reconnaissance au sein du bouddhisme tibétain.


Olivier Adam est photographe indépendant et enseignant. Il a collaboré avec des enseignants bouddhistes sur de nombreux projets et couvert les visites du Dalaï-Lama en Europe à la demande des associations organisatrices.




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