top of page
loading-gif.gif
judenne.jc

Un engagement de chaque instant


Un jour, un journaliste m’a demandé : « Qu’est-ce que le bouddhisme engagé ? » J’ai juste répondu que le bouddhisme engagé, c’est en premier lieu le bouddhisme que vous pratiquez toute la journée. Parce que, quand les gens entendent l’expression « bouddhisme engagé », ils pensent au bouddhisme comme à une forme de lutte pour la justice sociale, les droits humains et d’autres choses du même genre. Mais le bouddhisme engagé n’est pas seulement cela. C’est en premier lieu le bouddhisme que vous vivez à chaque moment de votre vie. Quand vous lavez la vaisselle, le bouddhisme doit être là, quand vous conduisez votre voiture ou quand vous vous lavez les dents, le bouddhisme devrait être là, et pas seulement pendant le temps de la méditation assise ou du chant. Vous êtes dans une salle de méditation, et vous êtes assis pour écouter un enseignement du Dharma, mais ce n’est pas assez pour dire que ceci est bouddhiste, parce que la façon dont vous êtes assis peut être bouddhiste ou non bouddhiste. Si vous n’êtes pas relaxé, si vous n’êtes pas assis droit, si vous n’appréciez pas ce moment, si vous n’utilisez pas votre concentration, vous ne participez pas à une pratique. Le bouddhisme engagé, c’est le bouddhisme que vous expérimentez à chaque instant de votre vie quotidienne.  La façon dont vous êtes assis détermine si vous pratiquez le bouddhisme engagé ou non. Si vous êtes pleinement ici, dans le moment présent, appréciant d’être avec une Sangha, appréciant l’enseignement du Dharma, alors vous pratiquez le bouddhisme engagé. Mais si vous êtes assis ici, comparant ce qui est dit avec quelque chose que vous avez appris dans un livre, ce n’est pas le bouddhisme engagé.  Le bouddhisme engagé, c’est le bouddhisme vivant que vous expérimentez à chaque moment de votre vie quotidienne. Sans cela, les actions sociales pour promouvoir la paix et la justice ne seront pas possibles, parce que tout doit commencer avec vous-même. Vous êtes la fondation de chaque action que vous entreprenez dans la société. Supposons que vous soyez en colère. Si vous ne prêtez pas attention à votre colère, vous essayez de vous échapper. Si vous avez de la colère, vous devez la reconnaître lorsqu’elle monte, et pratiquer la respiration en pleine conscience, la marche en pleine conscience afin de reconnaître que la colère est en vous. Vous étreignez votre colère en pleine conscience et tendrement, et vous regardez profondément pour voir quelle est sa racine, que ce soit une fausse perception ou autre chose, un complexe de supériorité ou d’infériorité. Vous devez regarder, et alors vous êtes bouddhiste, même si la colère est encore là. Comme vous savez comment vous en occuper, c’est la pratique du bouddhisme engagé. Certains essaient d’écrire une thèse sur le bouddhisme engagé, mais pratiquer est beaucoup plus important que d’écrire une thèse.

 

Vous êtes la fondation de chaque action que vous entreprenez dans la société.

 

         En pratiquant de cette façon, vous remarquerez que votre pratique a besoin du soutien d’une Sangha, d’un bon environnement afin de se maintenir, de rester en vie. Vous avez besoin de soutien, d’un ami du Dharma, d’un bon pratiquant avec lequel vous pouvez entrer en contact, d’un centre de pratique qui fournit de bonnes conditions, d’une Sangha qui peut vous guider, vous aider à améliorer votre pratique, vous soutenir durant les moments difficiles. Vos efforts pour construire une Sangha, pour créer un groupe de personnes, pour chercher un endroit où se réunir, pour établir un programme, pour aider d’autres pratiquants, deviendront une partie de votre pratique. La construction d’une Sangha fait partie du bouddhisme engagé. Vous ne faites pas cela pour en devenir le chef, mais parce que vous voulez rassembler des conditions de soutien pour votre pratique et celle des autres personnes.

 

Construire une Sangha, c’est la pratique

         Le travail de construction d’une Sangha ne fait pas de mal à votre pratique, ne prend pas votre temps de pratique. En fait, tout ce que vous faites contribue à votre pratique. Supposons que vous preniez rendez-vous avec un ami pour discuter de la construction de la Sangha, et que vous alliez chez lui ou chez elle. Durant tout le temps où vous utilisez le téléphone, le fax, l’ordinateur, vous travaillez avec lui ou elle afin de construire une Sangha, vous ne vous perdez pas. Avec l’ordinateur, avec la voiture, avec le téléphone, avec le fax, vous êtes encore en train de pratiquer le bouddhisme, vous ne vous perdez pas, vous maintenez votre pratique, c’est le bouddhisme engagé.  Construire une Sangha est la pratique, que vous pratiquiez tout seul, avec une autre personne ou avec le groupe.


         Le bouddhisme engagé consiste à répondre tout de suite à votre situation et à la situation autour de vous. Si dans votre situation, la colère, ou la peur, ou la jalousie surviennent, vous n’essayez pas de vous échapper, vous savez que c’est une chance pour vous de pratiquer. Donc reconnaissez votre colère, votre peur, votre jalousie, et souriez-lui. C’est votre travail, votre devoir de pratiquant : les reconnaître, les étreindre, regarder profondément leur nature. C’est cela le bouddhisme engagé. 


         La deuxième particularité du bouddhisme engagé est donc peut-être de répondre, de prendre soin de ce qui se passe en vous dans le moment présent : vos sensations, vos émotions, vos souffrances, vos peurs, votre colère, vos espoirs, vos joies, vos aspirations, et ainsi de suite, que ce soit des éléments positifs ou négatifs. Comme vous avez des frères et sœurs dans la pratique, s’ils ont des problèmes, puisqu’ils appartiennent à votre Sangha, vous devez les aider à répondre à la situation, parce que les aider signifie vous aider vous-même. Le bouddhisme engagé commence là. Vous devriez dire à vos amis que le bouddhisme engagé ne consiste pas seulement à sortir dans la rue et à combattre pour la justice sociale, les droits humains ou la paix. Sans une pratique de base, aucun bouddhisme engagé ne peut être possible.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°18 ( Eté 2021 )

 

Né en 1926 au Vietnam central, Thich Nhât Hanh devient moine à l’âge de 16 ans. Maître bouddhiste zen vietnamien, poète, jardinier, inlassable défenseur de la paix, il figure parmi les personnalités les plus engagées du bouddhisme dans le monde occidental. En 1965, il fonde l’École de la Jeunesse au Service Social, qui réunit près de 10 000 travailleurs sociaux dans 42 provinces du Sud-Vietnam, véritables artisans de la paix en plein cœur de la guerre. Thich Nhât Hanh a fondé en 1982 la communauté du Village des pruniers, situé dans le sud-ouest de la France.

bottom of page