Par Thich Nhât Hanh, enseignement donné le 13 avril 2008
Qu’est-ce qu’une Sangha ?
La Sangha peut avoir beaucoup de formes. La Sangha monastique est seulement une forme de Sangha. Vous pouvez transformer votre famille en une Sangha, où le père, la mère, le fils, la fille peuvent vivre selon les six harmonies et devenir une vraie Sangha qui porte le Bouddha et le Dharma en elle. Et beaucoup de personnes pourront prendre refuge dans cette Sangha. Si vous êtes président d’un conseil municipal, vous pouvez transformer votre conseil municipal en une Sangha, et les membres de votre conseil peuvent pratiquer la parole aimante, l’écoute profonde, partager leurs opinions, et la ville entière profitera de cette Sangha. Vous n’avez pas besoin de proclamer que vous êtes bouddhiste. Vous n’avez pas besoin de ressembler à un bouddhiste ou de vous sentir bouddhiste, et pourtant votre façon de faire sera très bouddhiste. Quand j’ai rencontré M. Narayan il y a trente ans, il était président de l’Assemblée nationale indienne ; j’ai parlé avec lui de la possibilité de transformer l’Assemblée nationale et le Parlement en une Sangha, et nous avons discuté de la manière de pratiquer la parole aimante et l’écoute profonde dans le Congrès. C’était très inspirant mais difficile. J’ai appris qu’auparavant quelques personnes s’étaient montrées très violentes durant les sessions. Un membre du Parlement a utilisé sa chaise afin d’en frapper un autre. Donc, j’ai proposé un certain nombre de choses à M. Narayan. Avant chaque session, les parlementaires pourraient avoir six minutes de méditation, et quelqu’un lirait un texte, quelque chose comme : « Chers collègues, nous avons été élus par la population pour nous écouter les uns les autres et pour partager avec les autres nos expériences et nos connaissances. Pratiquons l’écoute profonde sans préjudice. Exprimons-nous dans le langage de la bienveillance afin que chacun puisse comprendre le point de vue des autres, n’utilisons pas les cris, la condamnation et autres choses similaires. C’est pour le profit de la nation tout entière. » Cela, tout le monde peut l’accepter. Vous n’avez pas à vous qualifier de bouddhiste afin de faire ça. Vous pouvez être hindou, musulman, chrétien, et pourtant vous pouvez pratiquer cela. Et j’ai aussi proposé que, quand l’atmosphère du Congrès deviendrait trop chaude, que personne n’écouterait plus personne, celui qui partage puisse inviter la cloche de pleine conscience, pour que tout le monde inspire et expire, se calme, sourit, et que seulement ensuite le Congrès reprenne la discussion. Il était très inspirant, M. Narayan. Mais il ne pouvait pas faire beaucoup. Quelques jours après que je suis parti, il est parvenu à créer un comité appelé le Comité d’éthique pour l’Assemblée nationale, et l’ex-Premier ministre était le président de ce comité. Il est devenu le président d’Inde plus tard. Le jour où je l’ai rencontré, j’ai pensé qu’il était profondément spirituel. Je lui ai dit : « Monsieur le Président, aujourd’hui, vous devez instaurer deux nouveaux ministres dans le gouvernement, et pourtant vous avez le temps de rencontrer un moine ? » Il a dit : « Non. J’ai toujours le temps de rencontrer un moine ! »
Les enseignements du Bouddha sont clairs : si nous pouvons transformer notre conseil municipal en Sangha, le bonheur sera là pour la ville entière. Si nous pouvons faire de notre Congrès une Sangha, tout le pays en profitera. Nous ne nous battons pas seulement pour notre intérêt national, nous travaillons ensemble pour préserver notre planète. Donc les enseignements du Bouddha, les instructions données par le Bouddha sont très claires, et si nous pratiquons concrètement selon ces termes, nous pouvons transformer notre famille, notre ville, notre pays, notre communauté internationale en une Sangha.
Il y a beaucoup de groupes de jeunes dédiés à l’idée de servir les autres. Ils essaient de se regrouper, de travailler et de combattre ensemble pour leur cause. Cette cause peut être très belle, mais ils ne peuvent pas rester très longtemps soudés. Ils se divisent, et ils doivent abandonner leur idéal, parce qu’ils n’ont pas la force d’une Sangha, ils n’ont pas assez de force spirituelle pour nourrir leur groupe. La Sangha est une communauté, et un vrai refuge, parce que la signification de Sangha est « harmonie ». Les trois joyaux sont le Bouddha, le Dharma et la Sangha. La Sangha est le joyau le plus concret. Elle est faite de personnes comme vous et moi, et nous pouvons entrer en contact les uns avec les autres, sentir la présence de chacun très clairement. Si la Sangha est bien construite, si c’est une bonne Sangha, alors elle porte en elle le Bouddha et le Dharma, et grâce à elle, beaucoup de personnes sont capables de comprendre profondément le Bouddha et le Dharma. Vous devez prendre refuge dans un joyau afin d’être capable de toucher du doigt les deux autres, et la Sangha est le joyau le plus concret. Dévouer son temps, son énergie et sa vie pour construire une Sangha, c’est une chose très noble à faire.
Quand j’étais un jeune moine, en 1954, j’ai pu présenter les enseignements du Bouddha de telle façon que cela puisse aider les gens à souffrir moins, parce qu’il y avait un maximum de confusion au Vietnam pendant cette période de guerre. Depuis ce temps, moi et mes amis, nous avons toujours suivi la ligne des enseignements du Bouddha. Maintenant votre génération continue et j’espère qu’elle fera mieux que la nôtre, et apportera le vrai bouddhisme dans nos vies, nos vies quotidiennes personnelles, familiales, professionnelles, sociales et communautaires.
Né en 1926 au Vietnam central, Thich Nhât Hanh devient moine à l’âge de 16 ans. Maître bouddhiste zen vietnamien, poète, jardinier, inlassable défenseur de la paix, il figure parmi les personnalités les plus engagées du bouddhisme dans le monde occidental. En 1965, il fonde l’École de la Jeunesse au Service Social, qui réunit près de 10 000 travailleurs sociaux dans 42 provinces du Sud-Vietnam, véritables artisans de la paix en plein cœur de la guerre. En juin 1966, il est contraint à l’exil après avoir lancé un appel contre la guerre du Vietnam. Le pasteur Martin Luther King le propose pour le prix Nobel de la paix en 1967.
Réfugié en France, il poursuit son œuvre de paix en apportant son aide aux boat people venus du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Thich Nhât Hanh vit actuellement dans le sud-ouest de la France au sein d’une communauté bouddhique, le Village des Pruniers, qu’il a créée en 1982. Il est l’auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°3 (Été 2017)