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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Touchons notre paix, regardons profondément

Rencontre avec Sœur Chan Khong


Le Village des Pruniers, créé en 1982, rassemble aujourd’hui plus de 150 moines et moniales de toutes nationalités répartis dans plusieurs hameaux principaux. Près de 4 000 retraitants y sont accueillis chaque année à l’occasion des 4 retraites d’été du mois de juillet. Une retraite en langue française d’une semaine est conduite au mois d’avril pour les familles francophones ainsi qu’une retraite de santé au mois d’aout[1].


©Philippe Judenne

Sagesses Bouddhistes : Quelle est ou quelles sont les pratiques de méditation que vous conduisez pendant les retraites d’été ?

Sœur Chan Khong : Maître Thich Nhât Hanh a essayé le plus possible de revenir à la source de l’enseignement du Bouddha pour s’adapter à des auditeurs très différents et rendre l’enseignement plus profond et clair.

Au Village des Pruniers, la première chose qu’on enseigne est la respiration. Il y a 16 exercices qui concernent le débutant jusqu’à l’éveillé. Les 4 premiers exercices sont donnés à la première journée de la retraite. Le deuxième jour, 4 autres exercices sont donnés et ainsi de suite.

Le problème est que notre corps est ici mais que notre esprit est ailleurs. Il a toujours un petit mouvement ici ou là, vers une sœur qui passe devant moi pendant que je vous parle. Du fait que nous ne sommes pas pleinement concentrés, nous percevons le monde d’une façon illusoire (superficielle). C’est-à-dire que nous ne percevons que 10, 20 ou 30 % tout au plus des véritables situations en fonction de l’intérêt que nous leur portons ou de la sérénité de notre esprit.

Le Bouddha a dit que dans notre conscience profonde, il y a plusieurs expériences vécues qui conditionnent notre façon d’aborder les situations, à l’image de briques anciennes qu’on réutilise pour donner forme à une construction. C’est ainsi que nous abordons les situations de manière superficielle et c’est pourquoi nous devons méditer. Dans les dhyana, il y a deux parties que j’aime beaucoup : la méditation de samatha, qui essaye de restaurer la sérénité de l’esprit afin de voir en toute tranquillité la situation à laquelle nous faisons face, et la méditation de vipasshyana : un regard plus approfondi sur cette situation. Imaginons par exemple que nous voyons un serpent. Ah ! Et il nous faut revenir à notre tranquillité pour nous rendre compte qu’il s’agit, en définitive, d’une corde. On peut se tromper bien sûr, mais si l’on veut se tromper moins, il faut pratiquer samatha. C’est l’essentiel de l’enseignement du cœur au Village des Pruniers.


À quoi ressemblent ces 16 exercices ?

Vous êtes en train de respirer depuis que l’interview a commencé, n’est-ce pas ? Vous m’écoutez mais êtes-vous conscient de votre respiration ? Essayez de détecter que vous êtes en train d’inspirer…, essayez de détecter que vous expirez…, inspirez…, expirez…. (J’écoute sœur Chan Khong mais je suis mon inspiration, mon expiration.) Ensuite restez totalement avec la longueur de votre respiration. Votre esprit, au lieu de penser à Paris, au prochain coup de téléphone, au prochain article, reste totalement avec l’air qui entre dans vos poumons, l’air qui sort de vos poumons. Essayez de mettre votre esprit totalement avec votre inspiration et votre respiration. C’est un entraînement qui permet d’être plus concentré. C’est ce que nous demandons aux gens pendant les retraites d’été : revenir totalement à leur souffle quand ils marchent, un, deux, trois pas sur l’inspir, un, deux, trois pas sur l’expir. C’est cela l’entraînement pendant la semaine de retraite d’été : pratiquer samatha, le calme mental, stopper la dispersion de l’esprit, arrêter de penser à droite et à gauche, à Paris, au Village, à Sagesses Bouddhistes, pour être concentré dans le moment présent. Parce que c’est dans le moment présent où vous écoutez, dans le moment où vous regardez une personne dans les yeux, que vous voyez en profondeur sa conscience, ce qu’elle pense, ce qu’elle souhaite ou ce qu’elle craint. Vous pouvez lire son cœur, son esprit jusqu’à un certain point. Avec l’esprit bien ancré dans samatha, vous pouvez pratiquer le regard profond appelé vipasshyana. Il y a donc deux entraînements : samatha, calmez-vous, touchez votre paix, et vipasshyana, regardez profondément.


Pendant ces retraites d’été, la méditation sur le coussin est pratiquée avec d’autres formes d’entraînement comme la relaxation totale, le toucher de la terre, la pratique d’un nouveau départ, la marche consciente et la respiration consciente dans les activités quotidiennes invitée par le son de la cloche. Pourquoi ?

La relaxation totale est une pratique qui relie le corps et l’esprit. Quand le corps est agité l’esprit ne peut pas être en paix. Plus l’esprit est en paix, plus il peut être concentré. Quelles que soient les conditions, il faut restaurer un certain calme relatif avant toute chose, comme faire face à une émotion par exemple : pourquoi êtes-vous en colère à l’égard de cette personne ? Vous examinez calmement la situation et détectez un certain nombre de causes. Après cela vous allez parler à l’autre avec beaucoup de bonté, de gentillesse et de fermeté quand c’est nécessaire. C’est important de ne pas condamner l’autre même si vous avez été blessée. Peut-être vous êtes-vous mal compris ? Invitez l’autre à la réflexion sur cette question. La gentillesse dans ces moments est importante car elle invite la personne à ouvrir son cœur pour dire parfois des choses très intimes.

Avec la pratique d’un nouveau départ au Village des Pruniers, j’ai aidé beaucoup de couples à dénouer de nombreuses difficultés dans leur vie. La gentillesse dans la parole est essentielle. Dans la vie de couple il faut essayer de décrire avec beaucoup humilité les actions que l’autre a faites et qui nous ont blessés. Sans jugements, sans condamnations. On va alors découvrir dans l’échange un autre monde, celui de l’autre, un monde différent du nôtre.

Premièrement, chaque fois que vous rencontrez votre bien-aimé(e) et que vous reconnaissez ses qualités, exprimez le fait que vous les appréciez. Deuxièmement, posez-lui la question de savoir si vous avez pu être maladroit(e) avec lui (elle) et exprimez votre regret. Troisièmement, exprimez votre souffrance, votre irritation mais avec beaucoup d’humilité. Vous pouvez aborder ce sujet seul à seul avec votre bien-aimé(e) ou demander de l’aide à une troisième personne avec laquelle vous vous respectez mutuellement et en qui vous avez confiance.

Quatrièmement, posez la question de savoir s’il existe des difficultés, des besoins profonds auxquels l’un ou l’autre aspire et qui ne sont pas satisfaits.


Toute la semaine au Village des Pruniers est faite pour ramener la paix en vous. Quand votre tâche est de ramasser les poubelles votre esprit est seulement dans le moment présent avec les poubelles. Quand vous marchez, vous êtes seulement à la marche. Quand vous épluchez les légumes vous êtes complètement à l’épluchage des légumes.

C’est comme ça que l’on pratique samatha toute la journée, toute la semaine : en ne suivant pas les pensées qui tirent dans différentes directions et en étant plus concentré sur l’action réalisée dans le moment présent. C’est une occasion rare d’être aux Village des Pruniers car chez vous, même si vous connaissez les principes de la pratique, il n’y a pas l’énergie collective de plusieurs centaines de personnes qui pratiquent la même chose, ni des sons de cloche de pleine conscience qui vous ramènent au moment présent.



La pratique de la cloche de la pleine conscience consiste à inviter tous ceux qui l’entendent à faire quelques respirations en conscience et à revenir à soi. Elle retentit souvent à des moments tout à fait banals du quotidien, quand nous marchons, mangeons ou parlons. Pourquoi ?

Votre esprit vagabonde trop loin et trop vite. Il saute d’un sujet à un autre constamment. Par exemple, quand la colère monte, cela se passe très vite et, rapidement, il est déjà trop tard. La cloche est faite pour apprendre à s’arrêter. Simplement. Vous devez vous arrêter au moment où vous n’êtes pas préparé à vous arrêter ! La cloche est faite pour s’arrêter justement au moment inopportun. On ne s’y attend pas et c’est pourtant le moment de s’arrêter. Vous conduisez votre voiture, et le feu passe au rouge. Vous vous arrêtez. Vous respirez. Vous vous apaisez. Vous souriez. Vous revenez au moment présent. C’est un arrêt nécessaire pour avoir un regard plus profond. Si votre regard n’est pas profond vous serez toujours dans la réaction.


Il y a en nous des habitudes très fortes qu’il est difficile d’infléchir. Qu’en pensez-vous ?

Nous devons pratiquer samatha, toucher notre paix pour voir les qualités aussi bien que les habitudes néfastes qui sont très fortement ancrées en nous depuis des générations, ceci afin de les changer. Au Village des Pruniers, nous avons une pratique qui s’appelle le toucher de la terre : il y a deux positions : la station allongée sur la terre et la station debout.

Dans la position debout, en ayant pratiqué d’abord samatha pour établir une paix relative, nous nous concentrons et visualisons notre maman très jeune, très dynamique avec ses meilleurs aptitudes et qualités. Puis nous visualisons notre père, jeune, dynamique, né de nouveau en nous avec ses aptitudes et qualités. Nous nous relions au ressenti positif de nos ancêtres génétiques et spirituels. Auparavant nous avons écrit sur une feuille de papier toutes les qualités de nos ascendants dans leur aspect dynamique et vivant. Nous écrivons ceci dans une colonne sur une feuille. Dans la deuxième colonne nous écrivons les maladresses, des choses qui nous ont heurtés de leur part et nous ont fait souffrir. Tout cela, nous l’écrivons sur le papier. Quand nous touchons la terre, nous inspirons toute la force et la stabilité de la terre, et nous expirons toutes nos souffrances, notre chagrin, notre colère, notre haine, notre peur. Nous déposons toutes les choses que nous détestons et qui nous ont blessés de nos ancêtres. Après avoir réalisé cette pratique deux ou trois fois (qu’il s’agisse des trois ou des cinq touchers de la terre), nous pouvons vraiment nous libérer de beaucoup de souffrances, du sentiment d’aliénation et nous réconcilier avec nos ancêtres, nos parents ou nos amis.



[1] Une retraite sur l’art de faire la cuisine végétalienne en pleine conscience se déroule aussi au mois d’aout.

Pratique d’un nouveau départ :

Pratique du toucher de la terre :



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)


 

©SCK Plum Village

Sœur Chan Khong est la première disciple du maître Thich Nhât Hanh à avoir reçu la pleine ordination. Elle est la directrice de ses projets humanitaires depuis les années 1960. Depuis les années 1980, sœur Chan Khong a aidé Thich Nhât Hanh à créer le monastère du Village des Pruniers dans le sud-ouest de la France. Elle est à présent la nonne aînée de la Sangha internationale du Village des Pruniers.


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