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La question du végétarisme

Choisir son alimentation est une question de santé pour le corps et l’esprit. Question sensible que celle du végétarisme : de quoi, de qui se nourrit-on ? Pourquoi ? Quelle est l’attitude juste ? Des maîtres nous éclairent sur le sujet.


Tulkou Trinley Rinpoché et Thanissaro Bikkhu - Propos recueillis par Philippe Judenne

© Salva Magaz

Tulkou Trinley Rinpoché est enseignant du Vajrayana tibétain.


Sagesses Bouddhistes : Le végétarisme a-t-il été préconisé explicitement par le Bouddha ?

Tulkou Trinley Rinpoché : Des maîtres tibétains expliquent que boire une tasse de thé, une action neutre a priori, est en fait équivalent, voire pire, à boire une tasse de sang quand on considère les milliers d’insectes qui sont tués sur les plantations de thé.

Je pense à l’un de mes maîtres, le précédent Kalou Rinpoché, qui a joué un rôle important dans l’introduction du bouddhisme Vajrayana en Occident : il mangeait de la viande et, lorsque je voyageais avec lui dans certains pays bouddhistes, on lui reprochait de ne pas être végétarien. Cependant, à chaque fois qu’il mangeait de la viande, il prenait toujours un petit morceau de la chair et le mettait de côté. Tous les jours il priait et récitait des mantras pour ces animaux tués.

Pour répondre à votre question : les premiers moines disciples du Bouddha étaient des mendiants. Ils ne possédaient rien et dépendaient de bienfaiteurs qui partageaient avec eux de la nourriture. En tant que tels, les moines acceptaient ce qu’on leur donnait. Le Bouddha n’a donc pas obligé ses disciples à être végétariens ; en revanche, ils devaient s’assurer qu’un animal n’avait pas été spécifiquement tué pour eux. Si un bienfaiteur avait tué un animal pour le manger lui-même, et qu’il voyait des mendiants et le partageait ensuite avec eux, à ce moment-là le moine pouvait l’accepter.

Le Bouddha a dit que la nourriture que vous devez recevoir est par excellence celle qui n’est pas de la chair animale. Ce qu’il faut entendre là, c’est que la nourriture végétarienne est la meilleure qui soit pour nous. C’est dans l’enseignement commun.

Dans le bouddhisme en général, il n’y a pas de tabou particulier par rapport au fait de manger de la chair, comme par exemple pour des raisons de santé. Certains ne mangent pas de viande rouge mais consomment beaucoup de poisson, estimant que c’est très bon pour la santé et qu’il ne s’agit pas vraiment de « viande », bien que nous parlions ici de toutes les formes de chair. Il est clair que ce type de raisonnement n’est pas empreint de compassion, c’est juste un choix alimentaire pour sa propre santé ou motivé par diverses idées reçues.

Je pense qu’être végétarien, et même peut-être vegan, correspond beaucoup plus à l’esprit du bouddhisme et à l’attitude du Bouddha.


Avec les moyens d’information actuels, peut-on encore ignorer et accepter la souffrance animale causée par notre régime alimentaire carnassier ?

Nous devons garder à l’esprit qu’il s’agit de minimiser la souffrance des êtres sensibles.

Un point important est à mentionner : dans le bouddhisme, on considère également que les insectes ou les petits crustacés sont des êtres sensibles. Prenons par exemple une assiette de fruits de mer : il s’agit souvent de dix, vingt, voire trente êtres sensibles qui ont été tués pour un plat qui ne nourrira au final qu’une seule personne. Un massacre. Tandis que la viande rouge provient souvent d’un très gros animal dont la chair nourrira des familles entières pour plusieurs repas. Il faut prendre ce point-là en considération.

Autre point : beaucoup pensent que manger des légumes est sans conséquence néfaste pour les êtres sensibles. Mais si l’on regarde tout ce qui est mis en œuvre pour avoir une assiette de salade devant soi, on réalise qu’il peut y avoir des centaines de petits vers qui ont été tués pour quelques feuilles de laitues qui seront, au final, très peu nourrissantes. Même si vous avez un régime strictement végétarien, beaucoup d’animaux auront été tués pour ce simple repas.

Manger de la viande est synonyme de souffrance, mais manger des légumes l’est aussi ! L’idée à suggérer est de minimiser au maximum la souffrance animale et d’avoir une attitude face à la nourriture qui ne soit pas uniquement tournée vers le plaisir de manger, mais qui soit de se nourrir pour se donner des forces afin de pouvoir vivre, pratiquer, méditer et utiliser sa vie dans un sens positif.

Au lieu de dire : « Je mange ceci ou je ne mange pas cela », la vraie question est de savoir quelle attitude on doit avoir face à la nourriture : pourquoi mange-t-on ? Quel est le sens de notre vie, comment nous nourrissons-nous et comment minimiser autant que faire se peut l’impact sur, non pas seulement l’environnement, mais aussi et surtout la souffrance ?

 
Par Thanissaro Bhikkhu - Propos recueillis par Philippe Judenne


Thanissaro Bikkhu est enseignant de la tradition des moines de la forêt (Theravada)


Sagesses Bouddhistes : Que pensez-vous du végétarisme de nos jours, alors que tout le monde peut être informé sur la manière dont la viande est produite ?

Thanissaro Bikkhu : Vous voyez toutes ces vidéos sur le sort des animaux dans les fermes et les abattoirs, et c’est épouvantable. Il y a cependant beaucoup de types de physiologie différents, dont certains ne peuvent tout simplement pas vivre avec un régime végétarien. Cela doit donc être un choix personnel. Les règles pour les moines sont que, si nous ne voyons, n’entendons ou ne suspectons pas que l’animal a été tué spécialement pour nous nourrir, alors nous pouvons manger cette viande. Pour les personnes laïques, le précepte est simplement que vous ne devez pas tuer ou donner l’ordre aux autres de tuer. Mais si vous voulez prendre ce précepte et le développer à un niveau plus pur, dans lequel vous vous dites : « Je ne veux pas soutenir cette industrie en achetant de la viande », et si votre corps vous permet de le faire, alors tant mieux. C’est une forme vertueuse de mérite.

 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°3 (Été 2017)

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