Traduction : Sylvie Gauthier
L’image que l’on associe le plus souvent à la méditation bouddhiste est celle d’un bouddha assis, jambes croisées. Cette représentation est sans aucun doute inspirante et agréable à contempler, mais pour un profane, elle évoque une posture statique, figée, pratiquée exclusivement dans une salle de méditation.
Pour que la méditation prenne tout son sens dans notre quotidien, elle doit pouvoir se pratiquer à la maison – pas seulement à notre domicile, mais dans toute situation où notre attention se trouve. Cela requiert une approche pragmatique, dynamique, très souple dans l’organisation du temps, du lieu de pratique ou de la posture. Considérée ainsi, la méditation trouvera sa place dans la vie quotidienne, et en deviendra même le point d’ancrage.
Sachez tout de même que faire une place à la méditation dans son quotidien ne va pas de soi. C’est pourquoi vous devez être motivé. L’intention ne suffit pas. Une bonne dose de détermination est nécessaire.
Examinez vos priorités. Qu’est-ce qui est le plus important : passer des heures sur internet ou devant la télé, ou consacrer une demi-heure à l’assise, pour votre plus grand bénéfice ?
Même si on la considère simplement comme une forme d’hygiène mentale ou de sas de décompression du stress, une période d’assise quotidienne chez soi permet d’enraciner la pratique. Elle permet aussi au méditant d’apporter plus d’harmonie dans ses relations familiales et professionnelles.
Méditer chez soi, c’est porter attention à sa vie de tous les jours. Le mot le dit : il s’agit de « faire attention », de « demeurer présent ». L’attention débouche sur la « présence d’esprit ». Bien qu’il existe différents degrés d’attention, qui peuvent aller jusqu’à l’inattention, on peut la diviser en deux catégories : l’attention « ordinaire », machinale, et l’attention « ouverte », intentionnelle, que l’on développe en méditation.
Une attention soutenue est « vide » ; elle reçoit les phénomènes sans que l’esprit n’y réagisse. Une attention ouverte se manifeste lorsqu’il y a mouvement ou activité, incluant les pensées réflexives sur les phénomènes observés.
Sur quoi portons-nous notre attention ? Sur notre propre corps, notre propre esprit. L’attention peut s’établir sur quatre aspects :
Le corps : être à l’écoute de ses ressentis de base, prêter attention aux mouvements et à l’activité physiques.
Les sensations : agréables, désagréables ou neutres (ne pas confondre avec les émotions).
Les états d’esprit : bonheur, tristesse, calme, exaltation, dépression, etc.
Le mental : ce qui se passe « dans la tête » : pensées, concepts, idées… En un mot : les histoires.
Utilisez l’expérience prédominante dans n’importe laquelle de ces « quatre sphères d’attention » pour vous laisser guider dans la méditation, en portant votre attention sur ce qui surgit dans le corps et l’esprit, moment après moment.
Il est important de trouver vos repères. Pour cela, connectez-vous à vos sens en choisissant de vous concentrer sur l’une des six portes des sens : vue, ouïe, odorat, goût ou toucher, ou encore la sixième, la conscience, la porte de l’esprit. En maintenant une présence, une « attention vide » devant n’importe laquelle de ces six portes, vous êtes à même d’observer ce qui se passe entre les sens et leurs objets lorsqu’un stimulus survient.
À ce moment-là, observez la sensation. Si elle est désagréable, une réaction négative se manifestera. Si elle est agréable, une saisie germera. L’esprit ne fait que réagir : il aime, il n’aime pas. Dès lors, vous êtes pris dans le cycle conditionné de la souffrance, qui naît de l’arrimage entre la sensation et la saisie (voir encadré). Mais il est possible de fonctionner autrement. Si vous interceptez la sensation première à la porte des sens avant qu’elle ne s’arrime à une émotion, elle n’ira pas plus loin. Donc, pas d’attachement, pas de j’aime/je n’aime pas, fin de l’histoire. Fin de la souffrance.
Le discernement est la clé de cette pratique. Soyez vigilant devant la porte des sens et ayez à l’esprit les « quatre sphères d’attention ». Votre attitude joue ici un rôle primordial. Se poser comme témoin de l’expérience plutôt que d’y réagir automatiquement, apprendre à accepter toutes les pensées, sensations et tournures d’esprit sans discrimination, sont des fonctionnements qui se développent et permettent de devenir plus réceptif et plus intime avec ce qui est observé.
Le Bouddha décrit différentes bases intermédiaires qui apparaissent dans notre esprit quand nous découvrons et percevons le monde. Une base apparaît et va servir de base pour la suivante qui apparaîtra à son tour et ainsi de suite. Ces liens décrivent le fonctionnement et le conditionnement de l’esprit et constituent un apport majeur de la Paticcasamuppāda (coproduction conditionnée) à la psychologie occidentale.
Le contactComme il est énoncé : « Sur la base des six bases sensorielles, se manifeste le contact. »Le contact est le lien qui désigne la rencontre des sens qui perçoivent et du monde apparemment extérieur.
Les sensationsComme il est énoncé : « Sur la base du contact, se manifeste le lien des sensations. »La conscience qui appréhende les choses par l’intermédiaire des portes des six sens est karmiquement encline à préférer certaines expériences et à en rejeter d’autres. Par conséquent, lorsque l’esprit qui perçoit rencontre le monde extérieur, il l’affecte à trois catégories distinctes : ce qu’il trouve agréable, ce qu’il trouve désagréable et ce qui le laisse indifférent.
L’envie irrésistible Comme il est énoncé : « Sur la base des sensations, se manifeste l’envie irrésistible. »Dans ce contexte, « l’envie irrésistible » est le désir de reproduire une expérience agréable qui s’est manifestée par l’intermédiaire du « contact » ou, de la même manière, la détermination à éviter une expérience désagréable. Nous pouvons dire que par ce lien, la conscience qui perçoit s’implique davantage dans ses objets qui eux-mêmes la définissent un peu plus.
La saisie Comme il est énoncé : « Sur la base de l’envie irrésistible, se manifeste la saisie. »« La saisie » est une intensification de la réaction au monde qui se manifestait dans l’envie irrésistible. Il s’agit de la formation d’une fixation ou d’une dépendance.
Pour que votre conscience s’ouvre et que votre pratique se déploie, efforcez-vous de cultiver une attention soutenue pendant au moins quelques heures par jour. Pour ce faire, soyez particulièrement attentif à vos gestes, à vos actions, à vos sentiments et à vos états d’esprit, selon ce qui se présente, le plus longtemps possible, quelle que soit la situation dans laquelle vous vous trouvez dans le courant de la journée.
Rien ne doit être considéré comme futile : faire le ménage, manger, se brosser les dents… chaque geste, chaque action est observée, encore et encore, jusqu’à créer l’habitude, jusqu’à ce que l’attention devienne une seconde nature. Bien sûr, cela demande patience, persévérance et une bonne dose d’humour, surtout si les oublis constants engendrent de la frustration.
Vous pouvez introduire un exercice de pleine conscience quotidien axé sur un « élément déclencheur » qui servira de rappel. Par exemple, chaque fois que vous êtes en contact avec de l’eau, rappelez-vous de revenir au moment présent : lorsque vous vous lavez les mains, faites la vaisselle, arrosez le jardin, lavez le chien, etc. Il suffit de réussir une fois pour que l’habitude s’installe peu à peu.
Faire le point à la fin de la journée vous aidera à consolider votre pratique. Vous pouvez noter vos efforts dans un journal de méditation, mais attention à ne pas formuler de jugement sur la qualité de la pratique, ni à vous laisser décourager par des pages vierges.
Ne laissez pas tomber les périodes d’assise quotidiennes ; elles sont importantes pour maintenir et stabiliser la pratique. Avec nos vies bien remplies, il est facile de se convaincre que nous n’avons plus le temps de méditer. Lorsque nous sommes fatigués, nous sommes tentés d’abandonner.
Naturellement, lorsque nous sommes stressés ou épuisés, nous n’avons pas trop envie de nous confronter à ces malaises en méditation. Mais en général, cette résistance disparaît rapidement. Évitez aussi le négativisme qui vous incite à croire que si votre méditation laisse à désirer, vous perdez votre temps. Chaque séance apporte de l’eau au moulin. Persistez. Ce n’est que par la répétition que vous récolterez des bénéfices durables.
Voici ce que dit Sa Sainteté le Dalaï-Lama à propos de la pratique de la compassion : « Je dis aux bouddhistes, car j’y crois sincèrement, que la question du Nirvana peut attendre. Il ne faut pas être pressé. Si vous menez une bonne vie, basée sur l’honnêteté, l’amour, la compassion et un peu moins d’égoïsme, naturellement cette vie vous mènera au Nirvana. Mais si vous négligez la pratique quotidienne au profit de beaux discours philosophiques sur le Nirvana, vous n’obtiendrez qu’un faux Nirvana. L’enseignement doit s’incarner dans la vie quotidienne. »
On dit que le début et la fin d’un voyage se ressemblent. Cela est particulièrement vrai pour la méditation. Pour découvrir votre vraie nature, nul besoin d’aller bien loin : votre chez-soi n’est autre que votre port d’attache de méditation.
Comment méditer ?
Tout d’abord, prenez une posture assise qui permet au corps de se détendre, mais à la colonne de s’étirer en respectant sa courbe naturelle. Peut-être avez-vous déjà remarqué comment un jeune enfant s’assied sans effort dans cet équilibre.
La tête se tient naturellement dans le prolongement de la colonne, sans pencher vers l’arrière, sans rigidité. Le menton est légèrement rentré, de sorte que les yeux et les oreilles se trouvent sur le même plan horizontal. Le visage est détendu.
Si vous vous asseyez au sol, utilisez un ou plusieurs coussins, de façon à ce que les genoux soient plus bas que le bassin et touchent le sol (pour éviter que la colonne ne se tasse). Sinon, asseyez-vous sur une chaise munie d’un siège ferme (pas sur un canapé). Une posture affaissée augmente la pression sur les jambes et l’inconfort au niveau du dos. Assurez-vous que la respiration se fait librement et aisément. Si votre respiration est bloquée, c’est sans doute que votre posture est rigide. Tournez votre attention vers les parties du corps qui sont en contact avec le coussin, le sol ou la chaise, et abandonnez-vous doucement à ce contact.
À cette étape, il peut être utile de prendre cinq minutes pour faire un « scan » corporel complet, en relâchant toutes les parties du corps.
N’oubliez pas que la « posture parfaite » n’existe pas.
Les douleurs posturales apparaîtront et disparaîtront au fil du temps ; ce processus est tout à fait normal.
La posture ne sera jamais conforme à votre idéal. Mieux vaut se concentrer sur le processus méditatif lui-même, plutôt que de viser une posture parfaite.
Si la douleur devient insupportable, ou si elle est causée par une blessure, notez les sensations ressenties, puis ajustez consciemment votre posture. À mesure que votre concentration s’affinera, des sensations de chaleur, de raideur et de démangeaison se manifesteront. Prenez-en simplement conscience, sans gigoter.
Faites preuve de sagesse à l’égard de votre posture. Ne soyez pas volontariste. La posture s’améliorera avec le temps, dans la mesure où vous accompagnez le corps sans le forcer. Si vous ressentez de vives douleurs pendant une méditation, changez de posture ou remplacez le coussin par une chaise ou un banc de méditation. Vous pouvez même passer quelques minutes debout.
Au début de la séance, accordez-vous un moment de préparation pour détendre et ouvrir le corps et passer la posture en revue.
Points à vérifier pour la posture assise
• Le bassin est-il basculé vers l’arrière ? Cela entraîne un affaissement du corps.
• La région lombaire doit conserver sa courbe naturelle afin que l’abdomen soit relâché, « ouvert ».
• Imaginez que quelqu’un exerce une légère pression entre vos omoplates, mais gardez les muscles détendus.
• Si vous sentez des tensions dans le cou et les épaules, relâchez-les doucement.
La technique de la notation mentale
Il existe une technique qui permet de soutenir l’attention en méditation. Il s’agit de nommer mentalement ce qui se présente dans le corps ou l’esprit. Bien maîtrisée, elle vous sera d’une grande aide.
Chaque fois qu’un phénomène capte votre attention, notez-le silencieusement, de façon répétée, sans appuyer. Par exemple, « toucher », « toucher », « émotion », « émotion », « pensée », « pensée », etc. Faites-le au début de la pratique, lorsqu’il est fondamental de nommer le plus de choses possibles pour ancrer l’attention.
Si cette méthode devient trop mécanique, ou si elle prend tellement de place qu’elle nuit à l’attention, soyez plus léger dans votre approche. Il s’agit d’accorder au moins 90 % de votre attention à l’expérience vécue, et le reste à la nommer. Lorsque vous aurez stabilisé l’attention et la conscience, vous pourrez abandonner l’exercice. Cependant, ne le faites pas trop tôt, car il permet également de pratiquer le détachement mental.
Une fois que vous aurez appris à rester présent avec une attention « vide », revenez à la notation mentale seulement si votre attention faiblit ou se volatilise. Vous pouvez aussi associer cette technique aux portes des sens, en nommant les phénomènes physiques ou mentaux qui s’élèvent lorsqu’un de vos sens est sollicité. Cela vous aidera à ne pas vous laisser emporter par la sensation. Évitez d’analyser ou de catégoriser ; contentez-vous de noter le phénomène ou la réaction au phénomène.
Portez d’abord votre attention sur le corps. La principale sensation est celle de la dureté ou de la souplesse de la surface sur laquelle vous êtes assis. Cela ancrera la présence au corps, surtout si vous nommez la sensation « toucher », « toucher ».
Maintenez votre attention sur ce point jusqu’à ce qu’il soit bien défini. Puis, permettez à votre attention de se déplacer vers le mouvement de la respiration au niveau de l’abdomen, qui devient à son tour le point focal de la méditation.
Vous pouvez nommer les mouvements de l’abdomen : « monte », « monte », « descend », « descend ». Concentrez-vous sur l’air qui circule, et pas seulement sur la forme changeante de l’abdomen.
Lorsque vous sentirez que vous faites un avec les moindres aspects du mouvement – vibration, pression, et toutes ses délicates nuances, vous saurez que vous êtes sur la bonne voie.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )
Le vénérable Pannyavaro est un moine bouddhiste australien instruit par de grands maîtres de méditation au Sri Lanka et en Birmanie. Il connaît naturellement les préoccupations et les besoins des méditants occidentaux. Le vénérable Pannyavaro est l’abbé du monastère de la forêt de Bodhi et d’un centre de retraite communautaire au nord de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie.