top of page
loading-gif.gif
Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Le pouvoir de la compassion

Par Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama | Photos : Olivier Adam


Extrait de La foi fondée sur la raison, une approche de la Voie du Milieu par Sa Sainteté le Dalaï-Lama, paru aux Éditions Vajra Yogini



La compassion est source de force intérieure, la compassion amène aussi la vérité.

Cela fait des siècles que les êtres humains ont réalisé l’importance de tirer parti de l’intellect. Ils ont donc développé l’écriture puis, finalement, ont développé une éducation structurée. De nos jours, dire que l’éducation est vitale est une évidence. Il est toutefois important de se remémorer le but plus vaste de l’éducation. Après tout, à quoi sert d’accumuler des connaissances si cela ne conduit pas à l’obtention d’une vie plus heureuse ?

Nous connaissons tous des gens qui ne sont pas heureux malgré l’excellente éducation qu’ils ont reçue. L’éducation leur a probablement permis d’accroître leurs capacités d’analyse et de nourrir de plus grandes espérances, mais comme ils ont eu du mal à réaliser leurs attentes, cela les a rendus anxieux et frustrés. Manifestement, l’éducation, à elle seule, ne garantit pas une vie plus heureuse. Je conçois l’éducation comme un instrument que l’on peut utiliser à des fins soit constructives, soit destructives. Vous pensez peut-être que le but de l’éducation consiste uniquement à augmenter notre aptitude à accroître nos richesses, nos possessions ou notre pouvoir. Mais la simple connaissance en elle-même ne suffit pas à nous rendre heureux : les biens matériels ou le pouvoir ne peuvent pas, à eux seuls, résoudre nos soucis ni surmonter nos frustrations. Il doit exister dans notre esprit un autre facteur capable de créer le fondement d’une vie heureuse, quelque chose qui nous permet d’affronter efficacement les problèmes.


Je me présente généralement comme étant un simple moine bouddhiste. L’éducation officielle que j’ai reçue n’a pas été vraiment complète. J’ai quelques notions de la philosophie et des textes bouddhiques, mais comme au début de mes études, j’étais un élève plutôt paresseux, mes connaissances sont restées limitées même dans ce domaine. De plus, en ce qui concerne des matières comme les mathématiques, l’histoire ou la géographie, je n’ai quasiment rien appris. Enfin, je menais une vie plutôt aisée étant jeune : les Dalaï-Lamas n’étaient pas des millionnaires, mais je jouissais cependant d’une vie confortable. Aussi, quand les Chinois nous ont envahis et que j’ai dû fuir ma terre natale, je n’avais qu’une connaissance limitée des enseignements bouddhiques et que peu d’expérience de gestion des problèmes. J’ai soudainement hérité d’un immense fardeau et d’une lourde responsabilité, et le peu d’éducation que j’avais reçue fut bientôt mise à l’épreuve. Durant toutes ces années, l’amie sur laquelle j’ai pu compter le plus a été ma qualité intérieure de compassion.

La compassion est source de force intérieure, la compassion amène aussi la vérité. Avec la vérité, vous n’avez rien à cacher, vous ne dépendez pas de l’opinion d’autrui. Cela vous donne confiance en vous, et grâce à cette confiance vous pouvez gérer n’importe quel problème sans perdre espoir ni détermination. Sur la base de mon expérience personnelle, je peux affirmer que lorsque la vie devient difficile et que vous êtes confronté à une avalanche de problèmes, si vous maintenez votre détermination et poursuivez vos efforts, les obstacles ou les problèmes deviennent alors vraiment très utiles, car ils enrichissent et approfondissent votre expérience. C’est pourquoi je pense que la compassion est le bien le plus précieux.

Qu’est-ce que la compassion ? La compassion implique un sentiment de proximité avec les autres, un respect et une affection qui ne sont pas fondés sur l’attitude des autres à notre égard. Nous avons tendance à éprouver de la compassion pour ceux qui nous sont chers. Ce type de sentiment de proximité ne s’étend pas à nos ennemis, à ceux qui pensent du mal de nous. Or, la véritable compassion considère que les autres, au même titre que nous-mêmes, désirent avoir une vie heureuse couronnée de succès, qu’eux non plus ne veulent pas souffrir. Ce genre de sentiment et de considération peut s’étendre aux amis comme aux ennemis, sans tenir compte de l’appréciation qu’ils nous portent. C’est cela la véritable compassion !

L’amour ordinaire est partial et mélangé à de l’attachement. Comme les autres émotions perturbatrices, au lieu de s’appuyer sur la réalité, l’attachement repose sur une projection mentale. Il exagère la réalité : un objet peut réellement avoir quelque chose de bien, mais l’attachement le perçoit comme étant beau ou bon à cent pour cent. La compassion est nettement plus proche de la réalité, cela fait une grande différence.

[…] La grande question est : peut-on cultiver une telle compassion ? Sur la base de ma propre expérience, ma réponse est oui ! Cela est possible parce que, en tant que nature même de notre existence humaine, nous possédons tous la graine de la compassion. De fait, en tant qu’être humain, notre simple survie dépend grandement de l’affection et de la compassion des autres, particulièrement tout au long des premières années de notre existence. Si nous avons survécu jusqu’à aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’au début de notre vie, notre mère (ou quelqu’un d’autre bien sûr) a pris soin de nous. Si notre mère nous avait négligés ne serait-ce qu’un ou deux jours, nous serions morts. En tant qu’êtres humains, en utilisant notre intelligence, nous pouvons étendre ce sentiment de bienveillance tout au long de nos vies.

La nécessité de cultiver et d’accroître systématiquement cette aptitude naturelle est, de nos jours, plus pressante que jamais. En cette époque moderne, à cause de la démographie, de la technologie comme de l’économie moderne, le monde est désormais profondément interconnecté. Le monde devient de plus en plus petit. En dépit des différences politiques, idéologiques, voire dans certains cas religieuses, les gens du monde entier doivent travailler et vivre ensemble. C’est la réalité ! C’est pourquoi, au niveau international, le rôle de la compassion est vital.


Le XXIe siècle doit être le siècle du dialogue.

Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama Mind & Life Institute

Ainsi, lorsque nous devons faire face à des conflits ou à des rivalités d’intérêts, la meilleure manière de les résoudre (en fait la seule manière efficace) est de dialoguer. Vous devez respecter les intérêts des autres ainsi que leurs aspirations, et faire des compromis. Parce que si vous négligez les intérêts de vos interlocuteurs, ultimement, vous-mêmes serez amenés à souffrir. Vous devez prendre en considération les intérêts des autres.

Je dis souvent au cours de mes conférences que le xxe siècle a été un siècle de violence, et que par cette expérience nous savons maintenant que la violence ne peut pas résoudre les conflits. La seule façon de les régler est de trouver des solutions pacifiques.

Dès lors, le xxie siècle doit être le siècle du dialogue. Pour cela, nous avons besoin de détermination et de patience, nous devons avoir une perspective plus vaste. Une fois encore, c’est ici que la compassion joue un rôle important. Tout d’abord, comme je l’ai mentionné, la compassion nous donne confiance en nous. La compassion nous permet de reconnaître profondément les droits d’autrui. La compassion nous procure également un esprit serein grâce auquel nous pouvons percevoir la réalité plus clairement. Lorsque notre esprit est dominé par les émotions perturbatrices, nous ne pouvons pas voir la réalité et par conséquent, nous prenons de mauvaises décisions. La compassion nous offre une vision plus holistique.

Je respecte les dirigeants politiques du monde. Mais il m’arrive quelque fois de penser qu’ils devraient avoir plus de compassion. Si seulement l’un d’entre eux développait la compassion, alors des millions d’innocents connaîtraient plus de paix. Il y a plusieurs années de cela, au cours d’une réception officielle en Inde, j’ai fait la connaissance d’un politicien de l’État indien du Bengale. La rencontre prévoyait un échange de points de vue sur l’éthique et la spiritualité au cours duquel il déclara qu’en tant qu’homme politique, il ne savait pas grand-chose de ces sujets. Bien qu’il ait probablement dit cela par humilité, je l’ai néanmoins gentiment réprimandé en lui répondant que les politiciens avaient encore plus besoin de moralité et de spiritualité que les autres. Si un pratiquant religieux perdu dans un endroit isolé fait quelque chose de nuisible, cela n’a probablement pas beaucoup d’incidence au niveau global. Mais lorsque des dirigeants et des politiques ne sont ni consciencieux ni compatissants, cela est très dangereux.

Je suis persuadé que la compassion n’est pas une question religieuse. Certaines personnes pensent que la compassion et le pardon sont du domaine de la religion ; si des gens ont une vision négative de la religion, ils peuvent également devenir négatifs sur ces thèmes.

C’est une erreur ! Que nous adoptions ou non une religion est une affaire personnelle. Mais tant que l’humanité habite sur cette Terre, ces valeurs fondamentales sont essentielles et ne doivent pas être négligées. Tout le monde fait des efforts pour obtenir une prospérité matérielle : c’est très bien. Mais si dans le même temps, nous négligeons notre monde intérieur, nos valeurs intérieures, nous ne serons pas heureux. Nous devons associer le développement matériel au développement interne, au développement des valeurs humaines. Nous avons besoin de développer le respect, l’amour et un sentiment de compassion afin que notre vie soit plus heureuse, que nos familles soient plus heureuses, que nos communautés soient plus heureuses, et au final, que notre monde soit plus heureux. Nous avons besoin de ces qualités intérieures. C’est ce qui doit être le but ultime de l’éducation aujourd’hui.


PRATIQUER LE PROFOND

Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama
Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama

Chaque matin, une fois réveillé, avant d’entamer votre journée, essayez de façonner votre esprit de manière à le rendre bénéfique. Vous pouvez par exemple penser : « Puissent mon corps, ma parole et mon esprit être utilisés avec plus de compassion afin qu’ils puissent servir autrui. » En général, c’est quelque chose que je fais chaque jour. Cela donne plus de sens à notre vie. De même, examinez votre esprit le soir avant de vous coucher. Passez en revue la manière dont vous avez utilisé votre journée et regardez si elle a été bénéfique. Je pense que, même pour ceux qui n’ont pas de religion, c’est une précieuse méthode qui permettra de donner plus de sens à votre existence. Ainsi, quand vous arriverez à la fin de votre vie, vous n’aurez aucun remords, aucun regret. Il est possible que vous soyez triste de quitter ce monde, mais en même temps, vous éprouverez une certaine satisfaction d’avoir vécu votre vie de manière constructive. Une habitude particulièrement utile à cultiver consiste à observer vos processus mentaux : regardez ce qui se passe dans votre esprit afin qu’il ne vous domine pas totalement. Généralement, lorsque nous développons par exemple de la colère, tout notre esprit, tout notre être, semble être en colère. Mais ce n’est qu’une apparence ! Avec un peu d’expérience, vous pourrez apprendre à vous distancer de la colère lorsqu’elle surgira. Il est extrêmement utile d’être capable de reconnaître la capacité de destruction d’une émotion négative à l’instant même où elle se manifeste. Bien sûr, c’est très difficile, mais vous pouvez y arriver avec de l’entraînement. Une fois que vous avez pris quelque distance par rapport à votre colère, vous l’observez et, instantanément, son intensité baisse. Cela marche aussi pour l’attachement, la tristesse, ou l’orgueil, etc. Par l’entraînement et la familiarisation, en en faisant une habitude quotidienne, cela est possible.

Ces méthodes permettent également de faire rayonner les valeurs humaines vers l’extérieur, partant d’une seule personne pour atteindre les membres de la famille, et de chaque membre de la famille jusqu’à leurs amis. C’est le moyen de transformer la famille, la communauté, finalement la nation, et l’humanité tout entière. Si chacun d’entre nous, homme ou femme, cultive son esprit, les effets se répandront et produiront un monde meilleur.

Après ma mort, dans quarante ou cinquante ans, peut-être verra-t-on un monde meilleur. Mais si vous aspirez à ce monde meilleur, vous devez commencer à travailler dès aujourd’hui, dès maintenant ! C’est ce que je voulais partager avec vous.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°5 (Hiver 2018)


 

Depuis plus de 60 ans, Sa Sainteté le 14è Dalaï-Lama, Tenzin Gyatso a contribué à la survie et l’organisation du peuple tibétain en exil, enseigné et relayé inlassablement son message d’amour et de paix. Depuis 2011, il s’est défait de ses responsabilités politiques. Considéré comme une émanation du Bouddha de la compassion, il se décrit lui-même comme un simple moine bouddhiste. Il vit à Dharamsala, dans le nord de l’Inde.


 
Olivier Adam et Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama
© Tenzin Jamphel

Nous remercions Olivier Adam, pour toute son aide et sa collaboration précieuse.

Son travail est visible sur www.olivieradam.net www.daughtersofbuddha.etsy.com propose des tirages de qualité au profit des nonnes himalayennes, au Tibet, en Inde, au Bhoutan et au Népal.





bottom of page