Par Kankyo Tannier
Une nouvelle ère… tournée vers la survie
Nous entrons dans une nouvelle ère. Dans quelques années, vingt, trente, quarante au plus, il ne restera pas grand-chose de l’ancien monde. C’est ce que prédisent climatologues, biologistes, experts en énergie ou économistes atterrés par la bulle spéculative. Pas besoin de Nostradamus, ni des prophéties mayas : des modèles scientifiques systémiques, de plus en plus précis, dessinent unanimement un avenir en décroissance. Et plus les capacités d’analyse augmentent — nouveaux outils de mesure ou de traitement des données —, plus les résultats sont de mauvais augure pour la suite de notre film commun. Les ressources de la planète ayant fait long feu, la main de Dieu étant occupée ailleurs, le miracle scientifique — une nouvelle source d’énergie pas chère et facile d’accès — étant sur répondeur, les petits humains semblent condamnés à changer ou à disparaître.
D’aucuns me rétorqueraient que c’est le cas à chaque génération, que la génération numérique n’a plus grand-chose à voir avec celle d’avant. Soit. Mais cette fois-ci, c’est de survie pure et simple dont il est question. Comment l’être humain va-t-il négocier la fin programmée des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) ? Comment va-t-il réagir au fait que la croissance verte est une — douce —illusion ? Comment va-t-il accepter, ou pas, de vivre avec beaucoup moins de possessions et de confort ?
Des changements rapides, contraints et inévitables
Outre le fait qu’il est trop tard pour réduire l’impact des générations précédentes sur le climat, la moindre création d’objet requiert de l’énergie. Pour le résumer : il faut beaucoup de pétrole pour construire une éolienne. Ou encore : remplacer ma brosse à dents plastique par une brosse manche bambou ne suffira pas à inverser la courbe du réchauffement climatique. La seule optique envisageable semble donc de retourner à un mode de vie plus simple, avec moins de possessions matérielles... et plus de richesses intérieures.
Ici, en Alsace, plusieurs études prédisent précisément une augmentation globale des températures de 8 à 10 °C d’ici à 2050 et les sécheresses qui en découlent. Aux frontières de l’Europe, des réfugiés climatiques (Soudan, Bangladesh, Mozambique...) se pressent déjà pour échapper à la famine ou au stress hydrique (une jolie formule signifiant concrètement : pas d’eau = mort assurée). Les bouleversements se sont accélérés ces dernières années comme le prouvent tornades, pluies diluviennes ou fonte ultrarapide de la glace des pôles. Et leurs effets sont des plus inquiétants.
Au cœur de l’éco-anxiété
Peut-être ces mots vous étonnent-ils ou créent-ils un malaise. Loin de moi l’idée de vous effrayer ou de vous déprimer. Bien au contraire. Nous avons besoin de l’énergie et de l’enthousiasme de chacun pour créer le monde de demain. Quand j’ai découvert l’étendue du désastre climatique, l’état de la Terre, autrefois, j’ai commencé par plonger dans une profonde dépression. Elle porte le doux nom de « dépression climatique » ou d’« éco-anxiété » et se répand comme une traînée de poudre ces derniers mois, sans doute amplifiée par ces longues heures passées devant les écrans pour tromper l’ennui lors du confinement.
Mais elle n’a pas duré et c’est dans la résonance du choc initial que j’ai décidé de rire et de sourire à nouveau. Car ces données, pour terribles qu’elles soient, sont aussi l’occasion pour chacun de se mettre en mouvement. Il faut parfois des circonstances exceptionnelles, un chaos hors du commun, pour aller vers le meilleur de soi, vers l’action, vers les changements de vie longtemps repoussés avec l’idée d’une trajectoire et de l’évolution humaine.
Il n’y sera aucunement question de culpabiliser, de condamner ou de stigmatiser tel ou tel groupe social. Pas de riches contre pauvres, de végan contre omnivores, ni de peuple contre les élites. Juste quelques pistes, individuelles et collectives, pour exister de la meilleure façon et entrer dans la danse. [..]
Quand l’avidité guide nos choix
D’un point de vue bouddhiste, la source de tous ces déséquilibres et de toute cette souffrance — du changement climatique à l’emballement des marchés financiers — est double :
L’avidité ET l’avidité. Ou l’avidité au carré, si vous préférez. À la base de l’exploitation outrancière des ressources de la planète, il y a ce désir unanimement partagé d’obtenir et de posséder. Plus. Et encore plus. Toujours plus. L’auteure de ces lignes n’y échappe pas, qui vient de tendre la main vers un délicieux gâteau végan aux cacahuètes pour se donner un peu d’inspiration. Végan. Soit. Bio. Soit. Mais d’où proviennent ces cacahuètes ? Qui les a récoltées ? Avec quelle quantité d’eau pour leur culture ? Et en ai-je vraiment besoin ? Ce geste est venu du désir — de l’avidité — et a entraîné un résultat. C’est infime me direz-vous, mais à l’échelle de huit milliards d’êtres humains, la dépense écologique est colossale.
C’est l’avidité encore qui est en background des modèles de réussite contemporains : SUV, Iphone, appartement à Paris, maison à la campagne, vacances à l’île de Ré, etc. Appartenir à tel ou tel groupe social devient un besoin vital, avec les conséquences financières qui en découlent. Pour atteindre ce standard, je vais monter une entreprise, commercer avec l’Asie, faire travailler des enfants, transporter mes marchandises sur des containers tankers dopés au pétrole, faire entrer mon capital en Bourse, etc. On le voit, il y a différents niveaux de soif, de la plus visible à la plus discrète, qui toutes contribuent à l’épuisement des ressources. Ce n’est pas grand-chose de grignoter sans avoir faim, pour le plaisir, mais pour la Terre, c’est une catastrophe. Ce n’est pas grand-chose de prendre un café au distributeur, dans un gobelet plastique avec une touillette en plastique et une serviette en papier, mais à l’échelle de plusieurs continents, c’est une pollution gigantesque.
Le plaisir de la décroissance, pour redonner du sens
À noter que cette « soif », cette avidité ontologique, est également à l’œuvre pour survivre, nous reproduire ou établir un territoire de sécurité. Elle fait partie de notre nature humaine, ou d’animal humain si vous préférez. Elle n’est pas l’ennemi à abattre, mais une énergie à canaliser, à apprivoiser, à raisonner. Nous avons besoin de cette soif pour nous maintenir en vie, certes, mais il est possible de réduire notablement notre empreinte écologique sur Terre. L’idée est simple : décroître. Sortir de la consommation comme d’un mode d’être au monde, revaloriser la contemplation, la lenteur, la transmission des savoirs intuitu personae, les relations humaines et mesurer la valeur d’une vie à l’aune de la sagesse plutôt que de la richesse.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )
Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteure du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis une quinzaine d’années dans un monastère en Alsace.