Introduction à la méditation vipassana
Par Alain Durel
On retrouve dans un certain nombre de traditions religieuses, plus fréquemment en Orient mais également ailleurs la technique qui consiste à être attentif à son souffle, sa respiration – et plus communément à chercher à la contrôler. Quelle est la différence entre les techniques de rétention, de contrôle du souffle, et la méthode proposée par le Bouddha dans l’Anapanasati sutta ? Précisément, c’est justement cette notion de contrôle et de maîtrise. Dans l’approche du Bouddha, nous trouvons un point essentiel qui nous ramène à l’enseignement sur le non-soi : il n’est pas question de créer, de développer un sujet qui soit « maître et possesseur » de sa propre respiration et qui puisse la contrôler. Non, il s’agit avant tout d’être attentif, d’observer la respiration. Cette approche différente implique une philosophie, une spiritualité complètement différente et par conséquent des effets complètement différents.
Est-ce que nous pouvons être détendus dans notre posture ? Si nous pouvons détendre notre corps, nous pouvons certainement détendre notre esprit. Se sentir détendus, c’est ne pas résister à quoi que ce soit ; ne pas résister à ce qui se passe dans le corps, à ce qui se passe dans l’esprit. Il s’agit maintenant d’apprendre à se sentir amical, comme le dit Godwin Samararatne ; amical et reconnaissant envers notre ami, le souffle. Laissons notre corps respirer naturellement. Laissons-le respirer comme il aime respirer. Quand il expire, nous savons qu’il expire. Quand il inspire, nous savons qu’il inspire. Le Bouddha nous demande d’avoir toute notre attention et notre vivacité d’esprit portées sur l’inspiration et l’expiration. Est-elle longue, courte, rapide, lente ? Il est naturel que nous ayons des pensées : sachons simplement que nous avons des pensées. Ne leur résistons pas, ne les détestons pas mais faisons de plus en plus attention à l’inspiration et à l’expiration. Si nous éprouvons des sensations corporelles désagréables, apprenons à en tenir compte, à en être conscients, à les noter, puis à nous faire ami avec elles. À leur dire oui, à ne pas leur résister mais à les observer. Je vous suggère dans un premier temps d’oublier tout simplement la respiration, de laisser le corps respirer naturellement comme il le souhaite. S’il vous plaît, passez un peu de temps à apprendre ce qu’on appelle le « non-agir », en permettant au corps de faire ce qu’il aime relativement à la respiration. Ne voyez pas cela comme de la « méditation », mais considérez cela plutôt comme un jeu. Ce jeu consiste à ne rien faire. Laissez votre corps respirer comme bon lui semble. Si nous pensons que la méditation est quelque chose de spécial, alors comme le dit Godwin Samararatne, nous aurons probablement des problèmes très spéciaux. Le paradoxe de la respiration est le suivant : si nous essayons de la maîtriser, elle va se comporter d’une manière inhabituelle ; mais si nous l’ignorons, alors elle redevient normale. Il s’agit de trouver la voie du milieu : être attentif à la respiration, ce n’est pas chercher à la contrôler, mais ça n’est pas non plus l’oublier complètement, sinon ça ne serait pas de l’attention à la respiration, anapanasati. Il faut trouver ce difficile équilibre comme le vol de l’aigle qui plane et semble immobile dans le ciel, ni agir, ni non-agir. Notre attention doit se faire elle-même d’une manière naturelle, elle doit épouser le mouvement du souffle, adhérer à lui, comme les ailes de l’aigle dans le vent. Ne voyez pas la méditation et la respiration comme des choses spéciales, s’il vous plaît. Soyez simplement présents à elles. Et même quand vous êtes à l’extérieur, quand vous pensez que vous ne méditez pas, essayez de rester connectés avec votre souffle ; essayez cela tout à l’heure afin de continuer à être conscients du souffle à d’autres moments que pendant la méditation assise.
Vous pensez en ce moment ; ce n’est pas possible d’arrêter les pensées. Plus nous essayons d’arrêter les pensées, plus nous avons de pensées : c’est là l’erreur de toutes les techniques qui veulent arrêter les pensées. Il est naturel que des pensées surgissent, comme il est naturel que les chiens aboient, que les oiseaux chantent. Ce que nous essayons de faire, c’est simplement d’être conscients, attentifs aux pensées elles-mêmes, de ne pas nous identifier à elles. L’attention à la respiration, à l’inspiration, à l’expiration, aux différents moments de l’inspiration et de l’expiration, au caractère unique de chaque inspiration, unique de chaque expiration, cela peut nous conduire à la vision pénétrante du non-soi. Ce n’est pas vous qui respirez, ça respire en vous ; ça respire même quand vous dormez profondément. Pensées, sons, sensations, tout ce qu’il y a dans l’esprit et le corps deviennent maintenant l’objet de notre attention : si vous entendez un bruit à l’extérieur, un véhicule qui passe, vous l’observez, vous le notez. Cela n’a pas plus d’importance, ni moins d’importance que vos pensées. C’est un phénomène impermanent qui surgit, se transforme et disparaît. Par conséquent si vous avez des pensées il n’est pas nécessaire d’être en conflit avec vous-mêmes, de vous battre avec vous-mêmes.
Dans cette méditation nous essayons d’être conscients de notre respiration : quand les pensées viennent, soyons-en conscients et faisons-nous amis avec elles, ne rentrons pas en conflit avec elles ; en revanche, revenons toujours à la respiration. Ne pas lutter contre les pensées ne signifie pas pour autant se laisser « embarquer » par les pensées : nous observons le phénomène « pensées » et nous revenons à la respiration. La pensée qui surgit dans notre esprit est comme le chant de l’oiseau à l’extérieur. Nous pouvons être conscients du souffle pendant quelques minutes et puis les pensées reviennent : c’est la nature de l’esprit, sur lequel nous n’avons pas beaucoup de contrôle. La méditation vipassana n’a pas pour but d’augmenter notre contrôle, notre emprise sur les pensées, mais de lâcher prise, de nous détacher d’elles, car elles ne sont pas nous. « Ça » pense, ça pense à travers nous, ça pense à travers ce moi qui lui-même n’est qu’un flux qui surgit et qui disparaît, qui naît et qui meurt à chaque instant. La méditation consiste à comprendre comment notre esprit fonctionne, à se faire ami avec notre esprit et tout ce qui s’y passe : les sensations, perceptions, volitions, toutes les fabrications mentales, tous les états de l’esprit, tous les états de conscience.
Et nous revenons, lentement, doucement, inexorablement à la respiration. Il est important de continuer à être conscients des pensées que nous avons même lorsque nous ne sommes pas assis : quand nous nous reposons, nous déjeunons, marchons, travaillons — nous avons toujours beaucoup de pensées. Par conséquent, quoi que nous fassions, c’est une très bonne pratique que d’être conscients de nos pensées. Et pas seulement quand nous pratiquons la méditation assise, nous pouvons apprendre beaucoup de nos pensées et donc, nous pouvons apprendre beaucoup de nous-mêmes.
Nous pouvons nous poser parfois une question qui vous paraîtra peut-être étrange : quelles sont mes pensées, ici et maintenant, qu’est-ce que je pense, que suis-je en train de penser maintenant ? Nous observons. La plupart de nos pensées nous concernent ou concernent les autres ; parfois les pensées sont négatives à notre égard ou à l’égard des autres — il s’agit de savoir comment des émotions sont créées lorsque nous avons de telles pensées négatives à l’égard de nous-mêmes ou des autres. Comment ça marche, comment ça fonctionne : nous devons arriver à comprendre ce mécanisme qui nous échappe, qui est en nous et nous constitue, mais pas fondamentalement. Ce ne sont rien d’autre que des phénomènes impermanents. Et tout cela, nous pouvons le faire grâce à l’attention au souffle. Avez-vous des pensées sur le passé ou sur l’avenir ? Demandons-nous : pourquoi ai-je plus de pensées concernant le passé ? Pourquoi ai-je plus de pensées concernant l’avenir ? Ai-je des regrets, suis-je anxieux, inquiet ? Nous devons apprendre à connaître nos pensées, comment elles peuvent créer des émotions, des souffrances. Il ne s’agit pas de vouloir à tout prix arrêter les pensées, mais de les comprendre, de les explorer. Et tout cela est possible grâce à l’attention au souffle. J’inspire, je sais que j’inspire ; j’expire, je sais que j’expire. Il y a de la pensée qui s’élève comme une vague à la surface de la mer et qui retombe comme une vague à la surface de la mer. L’attention au souffle crée de l’espace en vous ; vous n’êtes plus obligés d’obéir à vos pensées et de les suivre. Grâce à l’attention au souffle, grâce à cet espace, vous entrez dans une nouvelle dimension, une dimension de liberté intérieure.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°18 ( Eté 2021 )
Alain Durel découvre la méditation Vipassana au Sri Lanka à travers les enseignements de Godwin Samararatne. Il enseigne aujourd’hui la méditation au Centre bouddhique international de la ville du Bourget, en Seine-Saint-Denis. Alain Durel est l'auteur de Vipassana. La pratique de la vision pénétrante, publié aux Éditions du Relié en 2021.