top of page
loading-gif.gif
  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Les huit principes

Comment faire quand on ne sait pas ce qui va suivre ?


Permettez-moi de commencer par vous raconter l’histoire de deux voisines habitant l’une à côté de l’autre. Chacune a décidé de planter un arbre fruitier. La première voisine plante son arbre dans la cour de devant, tout près de sa maison. Elle l’arrose et l’entretient tout en pensant que lorsque l’arbre sera adulte, elle pourra profiter de ses fruits sucrés.

La deuxième voisine plante également son arbre devant sa maison, mais elle le plante plus loin, près de la clôture de son jardin. Elle aussi arrose et entretient l’arbre. Et elle pense qu’un jour, lorsque cet arbre sera adulte, ceux qui passeront par là pourront profiter de ses fruits sucrés en sa compagnie. Les deux voisines ont exactement le même travail à faire. Elles arrosent et entretiennent un arbre. Mais la portée de leurs actions est complètement différente.

Ce que je suggère ici, c’est que nous pouvons vivre une transformation de notre façon de faire les choses, mais peut-être aussi une transformation plus profonde de notre motivation à les faire en premier lieu. Sommes-nous ici pour accumuler ce que nous récoltons, ou pour partager généreusement le fruit de notre travail ? Du point de vue de l’entraînement de l’esprit, l’intention est très puissante et peut façonner le moment présent et même l’avenir – car si vous abordez le moment présent avec sagesse, bienveillance et un sens des responsabilités, vous n’aurez pas à vous soucier de l’avenir. Il se déroulera bien de lui-même.

Voici huit principes pour vous aider à approfondir votre pratique de l’éveil en période de peurs et de tensions.

1. Servir la lumière

Qu’est-ce que la lumière ? Vous êtes la lumière, avec votre capacité à être conscient et attentif, à agir avec sagesse et prévoyance. Servir la lumière signifie agir – et par cela j’entends être présent –, avec ce que nous avons de meilleur et de plus élevé en nous ; agir pour nous-mêmes et aussi agir pour les autres dans cette vie.

Je me souviens qu’un jour j’étais assis dans le garage avec mon neveu, qui avait 6 ans à l’époque. Il avait eu quelques jours difficiles à l’école primaire et avait besoin d’un adulte à qui parler. J’avais du travail par-dessus la tête, mais à ce moment-là, j’ai eu l’occasion d’être une lumière pour lui : être là, écouter, aimer, et éclairer les problèmes qu’il rencontrait à la lumière de mon expérience et de ma compréhension attentive. Il s’est détendu, un soupir de soulagement est venu sur ses lèvres, et un sentiment de confiance et de calme est revenu dans ses paroles.

C’est cela, être une lumière. Il ne m’a pas fallu grand-chose, juste la décision d’agir quand c’était nécessaire. Lorsque l’occasion se présente, soyons là pour partager notre sagesse et être une lumière pour nous-mêmes et pour les autres.

 

2. Casser les standards

Par casser les standards, je ne veux pas dire peindre des slogans sur le mur de quelqu’un à la peinture aérosol. Ce que je veux dire ici, c’est casser nos propres standards. C’est rompre avec notre propre conditionnement. Traverser le mur créé par la fixation et la bulle étroite de nos opinions, par notre rigidité, nos jugements et notre critique aveugle, incessante. Casser les standards signifie d’abord être un révolutionnaire dans son propre esprit, quelqu’un qui met par terre les structures d’habitudes rigides et les défenses égotiques qui sont en nous grâce à un entraînement à la pleine conscience, à l’attention, grâce à l’amour et à la compassion.

Ramenez des profondeurs jusqu’à la surface les croyances qui vous limitent. Si vous avez du mal à identifier ce qu’elles sont, voyagez davantage, même si c’est juste pour aller dans la maison de quelqu’un d’autre. Dans les trente-sept pratiques des bodhisattvas[1], le maître bouddhiste du xive siècle Gyelsay Togmay Sangpo dit : « Abandonner sa propre maison – c’est la pratique des bodhisattvas. » En effet, dès que nous quittons les circonstances auxquelles nous nous sommes habitués, nous nous trouvons en territoire étranger et il est alors plus facile de se rendre compte de l’étroitesse d’esprit qui est la nôtre, avec toutes nos opinions, nos jugements, habitudes, etc.

Il nous faut sortir de notre zone de confort.

 

3. Aimer avec abandon

Aimer en s’abandonnant est une affaire de gentillesse et de compassion, mais c’est aussi une question de gratitude. Rappelez-vous dès maintenant tout ce que les gens ont fait pour vous dans votre vie. Depuis l’époque où vous étiez un petit enfant ayant besoin de nourriture, de vêtements, d’un logement, d’une formation et d’une éducation jusqu’à aujourd’hui, pensez à toutes les personnes qui ont dû se présenter pour que vous puissiez être dans un environnement chaleureux, bien éclairé, amical et confortable en lisant ces phrases à la minute même.

Il y a d’innombrables personnes, de loin en loin, qui se donnent de la peine pour que vous puissiez profiter de ce moment. Ils se lèvent tôt le matin, ils font leur yoga, ils méditent, ils pratiquent leur métier et ils contribuent à rendre le monde plus convivial pour nous tous. L’amour puise ses racines dans la gratitude, dans l’appréciation et dans le fait de ne pas oublier tout ce que les autres font pour vous chaque jour.

 

Récemment, j’ai emmené un groupe de pratiquants en voyage au Bhoutan, le magnifique royaume bouddhiste niché entre la Chine et l’Inde. Le Bhoutan a une longue tradition de ce qu’on appelle la folle sagesse. Cette tradition, qui célèbre les expressions non conventionnelles d’un comportement éclairé, est plus étroitement associée à un homme nommé Drugpa Kunley, qui au xve siècle a répandu les enseignements du Vajrayana au Bhoutan et qui était également un fêtard et un homme lubrique. Dans tout le Bhoutan, des phallus sont peints à grande échelle sur les maisons, et des phallus en bois sculpté sont installés bien en vue sur les maisons et au-dessus des seuils et des portes, à la fois pour honorer les enseignements de la folle sagesse et aussi pour servir des préoccupations plus quotidiennes comme se protéger de la jalousie et de la malveillance. Au cours de notre voyage, nous avons rencontré des maîtres bouddhistes bhoutanais et un membre de notre groupe a demandé : « Pouvez-vous nous en dire plus sur la tradition de la folle sagesse ? Qu’est-ce que cela signifie pour les gens ici au Bhoutan ? » L’un des maîtres a répondu : « Vous voulez savoir ce que cela signifie ? Ça veut dire : "Arrêtez de faire le con." Arrêtez le narcissisme, l’hypocrisie et l’auto-indulgence ; arrêtez le bruit mental et les scénarios confus que vous fabriquez et qui nourrissent le drame en cours dans votre vie et dans le monde. Et enfin présentez-vous là où l’on a besoin de vous, où que vous vous trouviez, pleinement présent. »

Quand je dis qu’il faut s’approprier sa merde, c’est aussi qu’il faut s’engager dans une sorte de processus de restitution. J’ai été, comme tant d’autres, ému par la cérémonie de pardon à Standing Rock entre Leonard Crow Dog, un ancien autochtone lakota, et Wes Clark Junior, le fils de Wesley Clark Senior, général de l’armée américaine à la retraite et ancien commandant suprême de l’OTAN. Il a fallu cinq cents ans pour arriver à ce moment historique[3].

S’approprier sa merde c’est d’abord dévoiler quand vous portez ou avez porté préjudice ; à vous-même ou à quelqu’un d’autre. Révélez ces moments-là à votre conscience. Ouvrez tout. Ne vous esquivez pas en vous cachant de vos propres saletés. Ensuite, une fois que vous les avez révélées et que vous les avez vues, permettez-vous de ressentir le regret, qui surgit naturellement lorsque vous réalisez que vous vous êtes fait du mal ou que vous en avez fait à quelqu’un d’autre. Troisièmement, reconnectez-vous avec la partie de vous qui sait mieux, la partie de vous qui se soucie des autres, la partie de vous qui peut comprendre, la partie de vous qui est sage. Et enfin, réorientez vos actions. Engagez-vous dans une voie différente, comme les vétérans américains qui sont venus à Standing Rock avec Wes Clark Junior pour s’excuser.

 

5. Ne craignez personne

Ce principe concerne les choses qui nous séparent, qui sépareraient les gens nantis, ceux qui ont, de ceux qui n’ont pas, les démunis. Ces séparations nous font avoir peur les uns des autres et nous font avoir peur de nous-mêmes. Ne craindre personne, c’est au moins ne pas avoir peur de soi-même. Apprenez à vous connaître et commencez à envisager la possibilité d’une véritable égalité avec autrui. L’égalité ne signifie pas que vous vous réfréniez de dire à quel point vous êtes beau et intelligent. L’égalité veut dire que tous les autres, aussi, ont de telles qualité. L’égalité consiste à renoncer au désir incessant de s’élever au-dessus des autres pour paraître supérieur à eux. L’éveil consiste à élever les autres avec vous.

N’avoir peur de personne signifie ne pas être intimidé. Ni par des orateurs sur une scène, ni par des professeurs de spiritualité avec des titres, ni par des avocats, des médecins, des députés ou des sénateurs, ni par des présidents. Ne soyez pas intimidé. C’est simple : n’ayez peur de personne. Vous êtes comme moi, comme tout le monde, immergé dans le processus de maturation et de développement de votre potentiel. Vous mûrissez spirituellement, vous mûrissez émotionnellement, vous mûrissez intellectuellement ; vous mûrissez dans votre capacité à aller de l’avant. Il n’y a personne que vous deviez craindre. Vous êtes aussi précieux et aussi important que tous ceux qui vous ont déjà donné un discours, un enseignement ou une conférence. Ce n’est pas parce que quelqu’un se tient sous l’éclairage d’une scène qu’il vous est supérieur ou que vous lui êtes supérieur. Nous sommes dans le même bateau, alors n’ayez peur de personne. C’est le cinquième principe.


6. Danser dans le feu

Pour introduire une partie de ce principe, je vais vous guider dans un court exercice avec vos émotions. La première émotion que je voudrais vous faire partager est l’émotion de la tristesse. Pensez à un moment où quelque chose vous a blessé ou déçu ; où quelqu’un ou quelque chose vous a brisé le cœur. Laissez cette émotion se manifester et vivez-la. Peut-être avez-vous perdu quelque chose ou quelqu’un de spécial. Comment votre corps ressent-il la tristesse ?

Comment votre posture exprime-t-elle la tristesse ? Changez ce sentiment en vous souvenant d’un moment où quelque chose s’est passé pour vous. Vous avez connu un succès, un véritable triomphe personnel. Vous vous souvenez de la fierté que tout le monde éprouvait pour vous ? Vous avez été fantastique ! Laissez entrer cette émotion. Ressentez le succès, l’exaltation et la satisfaction de ce moment. Laissez-la se manifester dans votre posture.

Revenez ensuite à la tristesse. Renouez avec cette émotion d’avant.

Et maintenant, changez à nouveau votre état d’esprit. Cette fois, souvenez-vous de la première fois que vous êtes tombé amoureux – peut-être la première fois que vous avez tenu cette personne dans vos bras. Laissez cette expérience de l’amour vous remplir. Ressentez l’amour de ce moment extraordinaire. Peut-être que le moment qui vous vient à l’esprit est celui où vous avez eu votre premier enfant, où vous vous êtes fiancée, ou bien encore où vous avez craqué pour un chien au refuge pour animaux. Laissez le sentiment d’amour naître en vous et laissez-le transparaître dans votre attitude.

Changez à nouveau d’état d’esprit, et cette fois, accordez-vous à la joie. Laissez la joie pure s’élever en vous. Qu’est-ce que vous ressentez ? Qu’est-ce que la joie veut faire à travers vous ? Quel est le message que la joie a pour vous ? Ouvrez-vous à elle, laissez-la entrer, laissez-la s’exprimer.

Tous ces sentiments et ces émotions sont d’une grande intensité. Cela nous amène au sixième principe : danser dans le feu. Nous parlons de la conscience d’un esprit qui libère constamment des émotions et des expériences. Au milieu de tout cela, vous pouvez vous rendre compte que vous n’êtes en fait pas piégé. Vous venez d’illustrer par l’exercice ci-dessus que vous pouvez changer rapidement d’émotions si vous vous en donnez la permission. Il suffit que vos pensées changent, que votre attitude change, que votre objectif change et que votre expérience change. Vous êtes libre d’effectuer ce changement à tout moment. La question devient alors : que ferez-vous de cette liberté ? Comment allez-vous l’utiliser et dans quel but ?

 

7. Cultiver la confiance

En général, nous pensons que la confiance est quelque chose qui doit être gagné. Non seulement le monde doit gagner votre confiance, mais d’autres personnes doivent également la gagner. Mais le monde et les autres sont dans des changements incessants, complexes et incertains, de sorte que votre confiance restera limitée.

Vous pouvez attendre et vous dire : « Peut-être qu’un jour, lorsque tout sera sous contrôle, je pourrai avoir davantage confiance. Ou bien, dès que je pourrai prévoir ce que les autres vont dire et comment ils agiront, alors peut-être pourrai-je avoir un peu plus confiance. » Mais bien sûr, ce jour n’arrive jamais. Et donc vous vivez renfermé sur vous-même, petitement, vous vous ratatinez, et votre confiance aussi se ratatine.

Ce que je suggère ici, c’est de prendre l’option inverse : choisir de cultiver la confiance au lieu de ne l’accorder à personne (pas même à vous). Simplement parce que vous en avez la possibilité et que c’est une option ouverte. Plutôt que d’attendre que le monde devienne plus sûr ou que les autres deviennent plus prévisibles, vous allez de l’avant avec la confiance parce que c’est la bonne chose à faire pour vous et pour les autres. Et parce que c’est bon pour vous : la confiance vous rend ouvert, calme, fiable, paisible et heureux – ces qualités inciteront l’autre à cultiver davantage de confiance également.


Ce qui vous empêche de cultiver la confiance est ce que j’appelle le drapeau rouge du « Et si… ? » Chaque fois que vous pensez « Et si… ? », vous ajoutez généralement un message déstabilisant par la suite. Et si tout cela tourne mal ? Et si je perdais mon emploi ? Et si mon mariage échoue ? Et si ma santé se dégrade ? Et si je n’ai pas assez d’argent ? Et si je n’ai pas assez de temps ? Et si elle ou il ne m’aime pas ? Et si je me rends ridicule ? Et ainsi de suite… Ce que la plupart d’entre vous ne réalisent pas, c’est que tout ce que nous ajoutons après « Et si… ? » est par nature de l’imagination pure. Et si c’est de l’imagination, cela signifie qu’elle peut être modifiée et que nous avons le choix.


À partir de maintenant, chaque fois que vous entendrez ou penserez les mots « Et si… ? », je veux que vous imaginiez une personne imposante, guerrière et déterminée, brandissant un énorme drapeau rouge, qui vous dirait : « Arrête ! À cet embranchement, tu as le choix mon lapin ! » Le choix, c’est que vous pouvez imaginer quelque chose de différent. Et si vous étiez d’accord ? Et si tout allait bien se passer ? Et si vous alliez avoir assez d’argent ? Et si vous alliez avoir assez de temps ? Et si vous alliez être en bonne santé ? Et si les gens vous aimaient véritablement ? Et si vous pouviez faire demi-tour ? Le fait que vous soyez encore ici en mesure de lire ceci est la preuve que pendant la plus grande partie de votre vie, si ce n’est toute votre vie, vous avez trouvé ou reçu ce dont vous aviez besoin.

Pourquoi vivre dans la peur de vos voisins, de votre monde, et de la vie elle-même ? Assez de cela. Cultivez la confiance ; choisissez d’être celui qui n’attend pas que les autres soient prévisibles ou que le monde soit immuable. Choisissez d’être celui qui cultive la confiance encore et encore, parce que c’est aussi bon pour vous que pour le reste d’entre nous.


8. S’appuyer sur la Vérité

Le huitième principe consiste à défendre des vérités ou à s’appuyer sur elles – ces vérités que nous appelons souvent des vérités intemporelles, que nous pourrions décrire comme des montagnes d’or. Tout le monde a ses opinions, mais une opinion est difficile et lourde à porter, parce qu’il faut s’en convaincre, l’argumenter et la défendre devant soi-même et devant les autres, même à la lumière de données contradictoires. Vous devez constamment prouver pourquoi vos opinions sont meilleures que celles des autres.

Ensuite, il y a les montagnes d’or. Les montagnes d’or sont des vérités universelles. Les montagnes d’or n’ont pas besoin que vous les portiez. Elles sont là complètement visibles de tous. Chaque fois que vous parlez des montagnes d’or, les gens disent : « Oui, c’est vrai, c’est une sagesse au-delà du temps et des circonstances » – non pas parce que c’est votre opinion, mais parce que c’est vrai. Vous avez en vous un détecteur de bullshit[4] très sensible. Ce détecteur est finement développé, logique et implacable si vous le laissez travailler pour vous. Il vous permettra de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, quelles que soient les opinions des autres. S’appuyer sur la vérité signifie cultiver cette capacité. Faites-lui confiance, appuyez-vous dessus. Fiez-vous à la vérité.

 

 

Facebook : @dawatarchinphillips.


[1] Les 37 pratiques du bodhisattva constituent un texte de référence du Vajrayana ; il est écrit sous forme d’aphorismes, de courtes maximes (voir Sagesses Bouddhistes n° 13 ou liens internet).

[2] Anglais : own your shit

[3] Voir Helen Hunt Jackson, Un siècle de déshonneur, 1881 ; Éditions 10/18, 1972, traduction d’Éric Viel.

[4] En anglais : B.S. Detector (pour Bullshit Detector, littéralement « détecteur de conneries » en français).

 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°14 ( été 2020 )

 

Dawa Tarchin Phillips est enseignant résident au centre Bodhi Path de Santa Barbara (Californie) et président de Mindfulness Teachers Association, une organisation professionnelle regroupant des enseignants de la pleine conscience de plus de 30 pays.

Chercheur, expert et auteur sur les sujets de pleine conscience et de méditation, ce lama du bouddhisme tibétain Vajrayana a effectué en France deux retraites de méditation consécutives de trois ans.

Opmerkingen


bottom of page