Un enseignement oral d'Adrianne Ross
Les cinq rivières de l’expérience sont au cœur de la fabrication du « moi » : comment créons-nous le « moi » et en quoi la souffrance est-elle causée par notre attachement et notre identification à ce « moi » ? En effet, à chaque fois que nous nous attachons à une situation qui se présente ou que nous nous identifions à elle, il y a une contraction, une limitation qui s’opère et signe la promesse d’une profonde insatisfaction. Car, en notre for intérieur, nous savons que tout change constamment, que nous ne pouvons espérer que les choses puissent rester comme elles sont.
Le Bouddha a décrit tous les éléments de l’expérience humaine, qu’elle survienne en nous-même ou à l’extérieur dans le monde, dans la nature ou en ville. Où qu’elle prenne place, dans les instances du passé, du présent, du futur, de l’expérience la plus évidente à la plus subtile, le Bouddha n’en laissa aucune de côté qui ne puisse être décrite dans ce qu’il appela les cinq agrégats.
Ils sont souvent appelés les cinq agrégats d’attachement car nous avons tendance à incorporer chacun d’eux comme élément de ce que « je suis ». Et chacun constitue le terrain de l’illusion, le terrain où s’enracine le sentiment de « je suis » avec une continuité de « je », « je », « je »...
L’expérience humaine est une constellation de ces cinq éléments en perpétuel changement, que Thich Nhât Hanh a décrits comme les « cinq rivières de l’expérience » et qui constituent une part importante de l’enseignement qui nous libère de l’attachement et de l’insatisfaction.
Les cinq agrégats de l’expérience.
1) la forme – les formes physiques (rupa), 2) les ressentis (vedana), 3) les perceptions liées à la mémoire (samjna), 4) toutes les fabrications mentales (samskara : pensées, imaginations, états d’esprit, etc.), 5) et la conscience sensorielle (vijnana).
Il y a d’une part la forme, qui est physique, tandis que les quatre autres facteurs sont mentaux et qu’ils apparaissent presque simultanément pour créer l’expérience. Le nom pali de trois d’entre eux – les ressentis, les perceptions et la conscience sensorielle – est basé sur une même racine qui signifie « savoir ». Ainsi, le ressenti « sait » ou « reconnaît » ce qui est agréable, désagréable ou neutre ; la perception reconnaît l’expérience vécue, met un nom dessus et l’interprète ; et la conscience sensorielle reconnaît l’expérience à son niveau le plus basique : un son, un objet visuel, un toucher, etc. Quant à l’autre élément mental, les sankhara ou fabrications mentales, il a pour racine le mot pali qui signifie « faire ». Ainsi, trois catégories mentales ont trait au savoir et la quatrième correspond à « ce que nous faisons avec ce que nous savons », c’est l’intention, notre relation à l’expérience.
Le premier agrégat est physique : « la forme ». C’est la conscience ressentie de tout le monde physique, les quatre éléments fondamentaux : la terre, l’air, l’eau et le feu, et c’est aussi le corps en tant que combinaison de ces éléments. En général, nous fonctionnons superficiellement, au niveau des concepts, nous voyons le corps comme quelque chose de solide. Mais ici le Bouddha nous invite à pénétrer dans l’expérience directe de la forme. En ce moment, par exemple, mon expérience physique c’est de la chaleur, un peu de sécheresse dans la gorge, un peu de vibration, et comme tout cela est impermanent, c’est changeant. De quoi êtes-vous conscient si vous posez maintenant l’attention sur la forme physique, sur votre corps ? Quel est le flux d’expériences, instant après instant ? Sentez-vous ce champ d’énergie qu’est la forme physique ? Sentez-vous ses fluctuations rapides ? Lorsque nous mettons la continuité de notre attention sur ces objets changeants, l’illusion de la solidité du corps se dissipe et l’esprit se détend. Nous sommes simplement conscients de la réalité sous-jacente, nous sommes ouverts au mystère. Parfois, le sentiment d’avoir un corps disparaît, les frontières entre nous et le monde changent, on a l’impression d’une absence de forme, d’une vaste ouverture. Quelle est votre conscience de la forme physique en ce moment ? Si vous vous y autorisez, vous verrez que la forme est impermanente, qu’elle n’est pas ce que vous êtes. Normalement, nous voyons à travers nos concepts habituels sur la forme physique, mais l’expérience directe de ce qui se passe réellement, c’est que nous sommes assis là et c’est tout. Il y a contraction puis expansion. Lorsque nous allons au-delà des concepts pour avoir une expérience directe de la forme, pour voir ce qui se passe réellement, il est bon de nous libérer de notre idée que le corps est « moi » ou qu’il m’appartient. Nous voudrions que le corps ne vieillisse pas, qu’il reste d’une certaine manière, et plus nous sommes attachés au corps tel qu’il est aujourd’hui, plus il y a de peur ou de douleur et plus nous nous inquiétons du changement. Lorsque nous nous affranchissons de cette idée que la forme physique est « moi », une profonde sérénité arrive avec un sentiment d’ouverture, d’espace. Parfois, nous avons l’impression d’être ici et la limite de l’espace est comme un grand cercle autour de nous ; parfois, c’est comme si nous étions contre le mur et que l’espace était tout autour devant nous ; d’autres fois, nous avons le sentiment d’être au centre de toutes les expériences, de ce vaste espace ouvert. Nous sommes au centre mais, à un certain moment, le sentiment qu’il y a un « je » au centre s’efface, le « moi » disparaît. Quand cela se produit la première fois, on peut avoir peur, mais en général, cela s’accompagne d’un profond sentiment de paix ; une vaste étendue s’ouvre, un espace et une profondeur qui semblent infinis. On a comparé cela au ciel, à l’océan… On a le sentiment que cet espace est à l’origine de tous les phénomènes sensoriels et qu’il imprègne tout notre vécu, comme si les choses émergeaient de là et s’y fondaient ensuite.
Le deuxième agrégat (premier agrégat mental) correspond à la tonalité du ressenti de l’expérience ; cette qualité est agréable, désagréable ou neutre et c’est elle qui conditionne toutes nos réactions. Agréable signifie que nous aimons ; désagréable, que nous n’aimons pas. « Je veux » si c’est agréable, « je rejette » ou repousse si c’est désagréable. C’est le simple résultat du contact de l’un de nos sens avec un objet – un son, une sensation, une pensée – et aussitôt le ressenti « agréable » ou « désagréable » apparaît.
Essayez de reconnaître la tonalité de ressenti juste telle qu’elle est, c’est-à-dire agréable ou désagréable, non permanente, non personnelle. Remarquez-vous la contraction qui survient juste après le ressenti agréable ou désagréable ? Si c’est le cas, nous pouvons briser le cycle du devenir et briser le cycle de l’identification. Nous pouvons vraiment voir la naissance et la mort du devenir autour des ressentis agréables, désagréables et neutres : chaque ressenti a une tonalité et il y a une réaction à cette tonalité. Par exemple : « Agréable. À moi. Je veux. » Mais quand nous sommes capables de voir cela se produire, l’esprit est déconditionné de la saisie.[1]
Le troisième agrégat (deuxième agrégat mental) est la perception. Une fois apparu le ressenti qui suit le contact sensoriel, la perception met un nom dessus en le reconnaissant : blanc, jaune, bol, réveil, etc. Cela ajoute donc un concept mais pas seulement ! Avec le concept apparaissent toutes nos croyances et nos certitudes sur le sujet ; et nous avons aussi des idées très arrêtées sur nous-mêmes, un sentiment de « moi » très solide.
Pour nous libérer peu à peu de ce sentiment de solidité du « moi », nous pouvons commencer à voir les espaces dans l’apparente continuité en approfondissant la qualité d’attention. Souvent nos perceptions se font à la surface des choses mais, en nous en rapprochant de plus en plus, nous commençons à en voir le détail et toutes les finesses. C’est comme regarder une colline de loin et ne voir que du vert ; en s’approchant, on voit des arbres se dessiner et puis, plus près encore, des branches, des feuilles, de l’herbe, etc. C’est ainsi que l’apparence, la première perception, est souvent inexacte. De même, ce que nous appelons « moi » est une constellation de tous ces éléments changeants du corps et de l’esprit. Le sentiment d’un « moi » ferme et solide est un concept erroné.
Lorsque nous nous intéressons de près à la perception, nous constatons, au fur et à mesure que les différentes perceptions apparaissent et disparaissent, que notre attachement à nos idées et à nos opinions personnelles se distend parce qu’elles n’ont rien de solide, parce qu’elles changent tout le temps. Or quand on cesse de s’y attacher, on sent une possibilité d’ouverture, de détente, de bien-être.
Le quatrième agrégat (troisième agrégat mental) est appelé en pali sankhara. Tel que défini dans le cadre de cet enseignement, il s’agit des objets mentaux – pensées, humeurs, émotions, états d’esprit, etc. ; leurs aspects positifs mais aussi tous ces états d’esprit négatifs difficiles qui nous font tellement souffrir. Les sankhara correspondent à ce que nous faisons des contacts sensoriels après en avoir pris conscience, la façon dont nous y réagissons. Cela commence avec la réaction d’aimer ou ne pas aimer ce qui se présente et ensuite d’essayer de l’obtenir ou de le repousser.
Dès que nous nous identifions à l’un de ces états d’esprit, quel qu’il soit, nous renforçons le sentiment d’un « moi ». Il y a un devenir, une personnalité qui se développe en même temps. Nous savons tous à quelle vitesse une pensée négative se développe jusqu’à créer un état d’esprit négatif, lequel se solidifie et persiste au point que nous le croyons vrai et permanent parce que nous avons cru à l’histoire que l’esprit nous a racontée.
Si, par exemple, vous vous êtes senti fatigué ou découragé aujourd’hui et que le sankhara de « Je suis vraiment nul » ou « Je ne suis pas à la hauteur » est apparu, vous commencez à y croire et cela entraîne une autre croyance : « Je ne saurai pas faire, je n’y arriverai pas », ce qui entraînera encore une autre croyance : « Je ne suis pas bon » ou « je suis mauvais ». Voilà comment se manifeste le devenir dès que nous nous identifions à une pensée ou à un état d’esprit.
Dans le « Grand Sutta sur l’attention », le Maha Satipatthana Sutta, le Bouddha indique l’importance d’être attentif à l’apparition des pensées et des états d’esprit, et d’être conscient de leur disparition. Quand on est conscient de l’apparition et de la disparition des états d’esprit, une intuition surgit : « Ces pensées n’étaient pas là avant », de sorte que le « je suis quelqu’un qui est en colère » devient : « Ah ! La colère est apparue. Elle n’était pas là avant, donc elle ne peut pas être permanente et elle ne peut pas être qui je suis. C’est simplement un état d’esprit. Cette colère n’est pas ‘moi’, elle ne m’appartient pas, elle n’est pas ce que je suis. »
Vous pouvez faire cette simple note mentale : « en train d’apparaître » ou « apparu ». La peur peut apparaître ou la culpabilité, la honte, le doute, le désir, la comparaison, un instant de compréhension juste, un instant de compréhension erronée – tout cela n’est qu’apparition d’une pensée ou d’un état d’esprit.
Quand l’esprit est plus calme et que l’on discerne un espace entre les pensées, on peut vraiment voir l’apparition des pensées et on peut les attraper avant qu’elles n’entraînent des conséquences. Même quand il n’y a qu’un peu de calme mental, on peut observer : « Ah, cette pensée vient de surgir. » Et quand on observe l’apparition d’une pensée, on commence vraiment à voir et à sentir que la conscience de l’apparition n’est pas en colère, n’a pas peur, n’est pas honteuse – c’est aussi quelque chose qui passe. C’est donc juste un flux, comme une rivière qui coule, et c’est merveilleux quand on le voit aussi clairement. C’est tellement libérateur.
Quand nous observons les choses ainsi, nous commençons à voir où se situe le choix : nous pouvons attraper l’histoire au moment où elle apparaît, nous pouvons attraper la croyance au moment où on commence à croire à la réalité de l’état d’esprit qui est apparu, et puis l’identification à l’état d’esprit arrive et nous en prenons note : « Oh, le ‘moi’ est en train d’apparaître. » Toutes ces notes mentales servent de rappel : nous nous souvenons que le « moi » est en train de se créer, qu’il n’est pas réel, que c’est une fabrication mentale. Ainsi nous n’avons pas besoin d’avoir peur de notre esprit parce qu’il ne s’agit que d’un fatras de choses qui se dissolvent et disparaissent. Et enfin nous constatons que le fait même de savoir cela apparaît et se dissout de même.
Nous pouvons avoir conscience qu’un bel état d’esprit est apparu et apprécier pleinement cet état tout en sachant qu’il ne fait que passer. Parfois les états d’esprit vont et viennent très vite, d’autres fois ils durent plus longtemps, toujours en fonction de causes et de circonstances. Et « ce qui a conscience » de ces intuitions apparaît et disparaît aussi.
Parfois nous avons une intuition profonde que nous apprécions énormément et à laquelle nous nous attachons très fort au point qu’elle semble nous appartenir. C’est un peu comme si nous nous enfermions dans un petit réduit pour profiter au maximum de cette révélation alors que, de l’autre côté de la porte, il y a un tas d’autres révélations qui essaient d’entrer. Nous devons donc apprendre à permettre aux révélations de passer. Laissez-les aller. Ayez confiance dans le déroulement des choses, dans ce qui va venir après.
Dans notre pratique, plus nous contemplons ce flux, cette rivière de sankhara, moins nous les personnifions et plus nous avançons vers l’expérience directe de l’instant où les pensées se pensent toutes seules. Parfois nous pouvons distinguer les causes et circonstances qui les ont fait apparaître. Il y a une certaine pensée, celle-ci déclenche une humeur ou une émotion ; ensuite la pensée va peut-être disparaître tandis que l’humeur ou l’émotion va durer quelque temps. Mais si nous sommes assez attentifs, nous pouvons voir ce qui l’a déclenchée, ainsi que les causes et les circonstances de son apparition.
Nous pourrons constater aussi que croire dans la réalité des états d’esprit ou les condamner ne fait que renforcer le sentiment de « moi » et cela a pour résultat de les faire durer encore plus longtemps. Nous les croyons permanents, nous nous sommes identifiés à eux. Mais plus nous développons l’attention, moins nous nous identifions aux états d’esprit qui passent. Cela nous prouve que nos réactions sont optionnelles et que nous y identifier et y croire est un choix que nous pouvons faire. C’est un choix de croire aux histoires que nous raconte l’esprit. Ce n’est pas l’impression que nous avons sur le moment mais c’est vraiment à nous qu’il revient de choisir d’y croire ou pas. Ces pensées ne sont pas réelles, elles sont fabriquées par le mental suite à une série de circonstances. Dans tous les cas, tout ce qui apparaît va finir par disparaître. Nos réactions aussi vont finir par disparaître.
Le cinquième agrégat (quatrième agrégat mental) est la conscience sensorielle. Dans ce contexte il s’agit d’une connaissance pure et simple de ce qui est vécu, claire comme un reflet dans un miroir. C’est juste une conscience de ce qui est – un son, par exemple – avant que s’ajoutent les perceptions, les pensées et les opinions : juste conscience d’un son. Et cette conscience sensorielle apparaît également en fonction de causes et de circonstances. Pour que j’entende ce son, il faut qu’un son soit émis à l’extérieur, que j’aie des oreilles, une bonne ouïe. Mais il faut aussi que j’aie cette conscience auditive.
En ce moment (ndlr : Adrianne Ross donne un enseignement oral), votre conscience est présente au son, il y a écoute, il y a contact avec le sens auditif. Et vous entendez des mots. Et la perception reconnaît les mots et les comprend. Et la tonalité du sentiment, qu’elle soit plaisante, déplaisante ou neutre peut s’élever selon la manière dont vous l’expérimentez. Vous pourriez être intéressé, ennuyé ou complètement distrait et ailleurs. Et selon la version, vous continuerez à être intéressé ou deviendrez complétement distrait par vos imaginations ou vous finirez par vous endormir (rire dans la salle). Il s’agit vraiment de voir ici que c’est sur ces bases que le « soi » est créé et que l’insatisfaction en découle.
Il s’agit d’un flux et, tandis que notre pratique s’affine, nous commençons à voir la conscience sensorielle apparaître en même temps que l’objet des sens et puis réapparaître et réapparaître, et toutes ces apparitions sensorielles ne sont pas séparées ; elles sont différentes mais pas séparées. L’objet et la conscience de l’objet se rejoignent et s’écoulent à une vitesse extraordinaire dans le flux de l’expérience.
Il y a donc ces cinq « rivières de l’expérience » et il ne faut s’attacher absolument à aucune d’elles comme étant « moi » ou « mienne ». Avec l’œil de la sagesse, nous constatons que le « moi » prend naissance de très nombreuses fois par jour. Il se recrée chaque fois que nous nous attachons à l’un de ces cinq aspects de l’expérience, chaque fois que nous nous saisissons de l’un ou de l’autre, qu’il s’agisse d’une forme, d’une réaction agréable ou désagréable, de nos perceptions, de nos émotions ou de notre conscience. Chaque fois que nous sommes en contact avec eux et que nous nous contractons à leur contact, nous sommes réduits à un « petit moi ». Nous pouvons sentir cette contraction, nous pouvons sentir les limites qu’elle crée. Nous voyons par nous-mêmes cette insatisfaction inhérente au fait que nous essayons de retenir, de saisir – finalement, de résister à la vérité de l’impermanence et de l’impersonnalité de tous les phénomènes.
Lorsque nous parvenons à accueillir tout ce qui se présente sans nous y attacher, le résultat est vraiment beau. Nous sentons qu’il n’y a, en réalité, rien à quoi s’attacher. Tout s’écoule tellement vite. Nous voyons alors que le lâcher-prise se fait tout seul. Tout est lâché, libéré : les choses apparaissent et passent, apparaissent et passent… Parfois nous avons conscience de nous saisir de quelque chose mais c’est juste un moment de saisie qui apparaît et qui passe, et puis un moment de lâcher-prise qui apparaît et qui passe. Et tout cela s’écoule dans la rivière de l’attention pleine et entière.
Ces cinq agrégats ne cessent d’aller et venir et nous sommes libérés de l’illusion du « moi » quand il n’y a aucune contraction autour de ce mouvement naturel. Il y a, au contraire, une expansion dans cette vaste conscience ouverte et lumineuse au travers de laquelle tout s’écoule. Nous sommes ouverts aux possibilités, libérés des concepts figés. Dans ce domaine qui s’ouvre, tout est possible et si l’impression d’un « moi » apparaît, elle est aussitôt décelée et elle se dissout d’elle-même.
Quand nous contemplons les cinq agrégats et le mouvement de saisir un « je » ou un « mien », nous contemplons toute la structuration et l’identification que nous avons dans nos vie, tous les biais cognitifs que nous ne voyons pas habituellement, les choses qui nous amènent à blesser ou faire du mal, la façon dont nous avons été inconsciemment définis par la société et les autres, la façon dont nous nous voyons nous-même et les autres qui est limitante, réductrice et cause de bien des souffrances.
Pour terminer, je voudrais insister sur les formidables révélations qui peuvent arriver quand on est en retraite, comme la profonde révélation des caractéristiques de l’existence[2]. Tout cela nous arrive et c’est merveilleux et puis, à la méditation suivante, c’est comme si rien ne s’était passé et l’esprit se remet à croire à toutes les pensées qui passent par la tête. Ce qui m’a aidée à accepter cela c’est – comme le démontrent les études sur le cerveau – que les premiers changements sont toujours temporaires. Par contre, s’ils sont profonds, répétés et progressifs, ils sont, en quelque sorte, « sauvegardés ». Il ne faut donc pas s’inquiéter de leur impermanence mais plutôt orienter notre esprit dans cette direction encore et encore. C’est comme polir la face d’un cristal jusqu’à ce qu’elle brille, puis polir une autre face, et tout cela grâce à la présence de l’attention. Nous nous abandonnons à ces révélations de la vérité encore et encore, de sorte que le cristal devient de plus en plus brillant et vivant en nous. Ensuite nous pouvons commencer à vivre à partir de là.
[1] Le devenir : c’est l’étape qui intervient quand le ressenti (agréable ou désagréable) est saisi par « à moi-je veux » ou « à moi-je ne veux pas ». Il implique la naissance d’une action, d’une expérience consécutive. En s’entraînant à prêter attention au ressenti, en notant simplement sa tonalité agréable, désagréable ou neutre, l’esprit se déconditionne de la saisie. [2] Les trois caractéristiques de l’existence : l’impermanence, l’impersonnalité de tous les phénomènes (ou leur nature vide d’existence propre) et l’aspect insatisfaisant des phénomènes conditionnés.
Traduction : Jeanne Schut pour www.dhammadelaforet.org
et Philippe Judenne pour dharmaseed.org – Adaptation : Philippe Judenne
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°22 (Été 2022)
Adrianne Ross, médecin généraliste, s’intéresse à la méditation depuis 1978. Son enseignement est influencé par les courants birmans et thaïlandais du Theravada, ainsi que par le Dzogchen et les pratiques contemplatives. Elle enseigne également les techniques de Pleine Conscience (MBSR) aux malades et aux personnes souffrant de douleurs chroniques.