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SB

Le fil rouge

Dernière mise à jour : 9 oct.

2e partie


Extrait des enseignements de Tilmann Borghardt (lama Lhundrup) inspirés du Précieux Ornement de la libération de Gampopa



Développer la confiance


Afin que ce voyage de découverte dans l’étendue de l’esprit ait du succès, il ne suffit pas que toutes les conditions sur lesquelles nous avons déjà réfléchi (voir précédente parution, Sagesses Bouddhistes n° 7, page 59, Le fil rouge – 1re partie) soient réunies. Il faut encore plus. D’après Gampopa, grand maître du bouddhisme tibétain, une autre condition primordiale est la confiance. Plusieurs sortes de confiance sont nécessaires pour suivre le chemin intérieur. Mais, avant de nous en occuper plus précisément, nous allons approfondir davantage notre capacité à nous détendre.


1. Approfondir la capacité à se détendre par la respiration


Asseyez-vous confortablement, si possible avec le dos bien droit mais tout de même détendu. Relâchez les épaules et posez vos mains dans le giron. Les jambes aussi doivent être dans une position confortable, aisée à garder pendant un certain temps. Pour relâcher les tensions dans la nuque il est recommandé de faire de légères rotations de la tête et des épaules. Relâchez les membres. Ensuite, prenez votre position préférée et gardez-la sans bouger – « comme une montagne ».


Laissez entrer et sortir le souffle. Sentez la respiration dans le bas du ventre. En suivant les mouvements du ventre, restez avec le moment présent, tel qu’il se présente. Afin de devenir plus sensible aux mouvements de la respiration, vous pouvez poser vos mains sur le ventre. Il n’y a rien à changer à la respiration. S’il y a des tensions dans le corps ou dans l’esprit, vous pouvez vous servir de l’expiration pour les dissoudre. À chaque respiration il y a la possibilité de se détendre dans l’espace infini – tout simplement se laisser glisser dans cette dimension vaste. L’inspiration vient automatiquement et, avec l’expiration, nous pouvons lâcher les tensions. Ensuite nous posons notre conscience sur le va-et-vient du souffle, comme si nous regardions le va-et-vient des vagues au bord de la mer. Dès que nous prenons conscience que nous avons suivi une pensée, nous revenons doucement, mais instantanément, à la respiration.


Le rien faire conscient


Il n’existe, actuellement, pas beaucoup de gens capables de rester assis tranquillement pendant quinze minutes, sans discuter, sans écouter la radio, regarder la télévision ou lire, sans manger ou boire et sans dormir. Rester simplement assis et ne rien faire. Cela pourrait ne pas être si difficile. Bon, nous allons commencer avec cinq minutes. Déjà cinq minutes à ne rien faire changent la journée. Cette activité de ne rien faire est consciente et voulue et ne nuit pas. Elle éveille des niveaux de conscience plus profonds, à travers lesquels nous prenons de nouveau en main le fil de nos véritables questions. Pour le moment surtout ne nommez pas cela « méditation » – pour ne pas en faire quelque chose d’exotique ou un exercice hautement spirituel. Ici, il s’agit tout simplement de ne rien faire, libre de toute distraction venant de l’extérieur. Il n’est pas nécessaire d’appeler cela de la méditation.


La pratique d’être consciemment non actif est étroitement liée à la confiance. Nous développons plus de confiance en notre esprit, parce que nous apprenons à mieux le connaître et, avec le temps, nous nous rendons compte que nous n’avons pas besoin d’étouffer ou de combattre nos pensées et nos émotions. Elles viennent et s’en vont toutes seules. Progressivement, nous réalisons qu’il y a quelque chose comme une santé naturelle dans notre esprit à laquelle nous pouvons nous fier. En plus nous prenons conscience que le monde ne disparaît pas du fait que de temps à autre nous restons quelques minutes à ne rien faire.


Faites l’essai d’introduire dans le courant de votre journée quelques minutes d’une non-activité consciente. C’est très rafraîchissant et cela peut ne pas être si difficile.


Plus complexe est l’exercice qui suit. Nous allons essayer de développer plus de confiance dans le fait qu’un chemin spirituel est réellement possible. Pour cela il nous faut traditionnellement :

  • la confiance dans la base fondamentale, notre être profond (dans notre potentiel spirituel, aussi appelé la « nature de Bouddha »)

  • la confiance dans le but de notre chemin spirituel (dans la réalisation de la bouddhéité)

  • la confiance dans les méthodes et les assistants sur le chemin (dans le Dharma et la Sangha)


Afin de faire évoluer la confiance en notre être profond, on donne traditionnellement des instructions concernant la nature de Bouddha, qui est présente en chaque être. Ce potentiel est la base sur laquelle le chemin intérieur se déploie. La nature de Bouddha est aussi appelée la « cause » de l’éveil.


La confiance dans le but est éveillée par les instructions sur les qualités de la bouddhéité, l’éveil ultime en tant que résultat du chemin.


La confiance dans les méthodes et les assistants sur le chemin à parcourir se développe en recevant les instructions du Dharma et en mettant en application les méthodes expliquées, ainsi que par le soutien apporté sur le chemin par les amis, la Sangha. Mais c’est surtout la personne du maître, notre ami spirituel le plus proche, qui éveillera cette confiance. Cela correspond, en bref, aux indications traditionnelles pour développer la confiance. 


Développer la confiance dans la base, la nature de Bouddha


Maintenant, nous voulons approfondir le premier aspect, la confiance en notre être profond, la nature de Bouddha. Commençons avec un exercice dans lequel nous nous occupons directement de notre propre esprit et examinons le jeu interactif des pensées et de l’espace. Cet exercice ne se fait pas qu’une seule fois. Il nous accompagnera probablement pendant des années, avant d’avoir obtenu la certitude concernant les questions suivantes :


2. Que sont les pensées ?


Pour trouver la réponse, il faut regarder son esprit. Pendant ces exercices, il est indispensable de se détendre et de trouver à chaque fois une harmonie en ne faisant rien consciemment. C’est la seule façon de tourner notre attention vers le courant de nos pensées.


Ne trouvez-vous pas étonnant qu’il y ait une telle multitude de pensées qui s’élèvent et disparaissent de nouveau sans laisser de traces ? Regardez bien : que sont ces pensées ? Les pensées ont-elles une substance ? Laissent-elles des traces ou pas ? Si oui : est-ce que la trace est constituée de la même pensée ou est-elle une nouvelle pensée ? Si non : où va la pensée ?


Pratiquons cette manière de regarder l’esprit en nous posant des questions pendant d’assez courts instants. Ensuite, nous laissons à nouveau l’esprit complètement libre, sans nous occuper des questions. Les réponses viennent de manière plutôt spontanée, intuitive si nous n’obstruons pas le chemin avec des questions trop insistantes. Dans la détente nous demandons à nouveau pour un instant : d’où viennent les pensées ? Quelle est la dimension dans laquelle défile ce jeu de pensées ?


Vous n’allez pas résoudre ces questions la première fois. Aussi, vous pouvez vous demander légitimement : où se trouve le rapport avec la confiance ? Or, la réponse est la suivante :


Pour la plupart des gens il semble être très difficile d’avoir confiance en cet esprit où les pensées pullulent. Car de la confiance, on ne peut en avoir qu’en quelque chose de solide, de sécurisant. Vous aussi, vous avez sûrement fait l’expérience que l’esprit est continuellement et inlassablement rempli de pensées, une chaîne de pensées après l’autre. Le contenu de l’esprit semble être soumis à un changement permanent. Aussi, lui accordons-nous beaucoup d’importance. La preuve est qu’il n’est pas si facile d’observer simplement le courant des pensées sans se laisser séduire ou emporter par leur contenu. Au moment où les pensées surgissent, leur contenu semble pour l’observateur non avisé tellement impressionnant, tellement important, qu’il s’y attache ; cela a pour conséquence un enchaînement de pensées, donc des pensées suivant des pensées suivant des pensées... Nous sommes plutôt inquiets ou dérangés par toutes ces pensées, et nous aspirons à avoir la paix, la tranquillité, des vacances, loin de tout ce bavardage.


Cet exercice a pour but de vous motiver à ne pas prendre, pour une fois, ce à quoi vous pensez, le contenu, pour quelque chose de tellement important, et à plutôt regarder comment tout cela fonctionne. Nous pouvons nous écarter du contenu de nos pensées en les acceptant toutes sans jugement, sans les suivre. Cela crée de l’espace pour expérimenter l’étendue vaste dans laquelle toutes nos pensées semblent transparentes telles qu’un rêve, un mirage, insaisissables, irréelles et tout de même bien existantes. Un peu comme si nous étions plus intéressés par l’écran et le projecteur – donc l’arrière-plan du film et les forces qui l’activent – que par le film lui-même.


Un enfant est pris par l’action du film mais un adulte a la possibilité de prendre du recul et de considérer les conditions qui constituent l’environnement. Si nous prenons pareillement du recul intérieurement, et si nous ne faisons plus attention aux conditions de l’environnement quand les pensées surgissent dans l’esprit, nous devenons conscients de la qualité, semblable à une illusion, des mouvements de l’esprit et remarquons que toutes ces pensées ont lieu dans un espace illimité et indéfinissable qui, lui, ne semble pas changer. Dans cet espace, il y a de la place pour toutes les pensées, tous les films – il semble rester indifférent à tous ces événements qui ont lieu à l’intérieur de lui. Ne rien faire et regarder de cette manière détendue l’esprit, nous ouvre, avec le temps, à des perceptions de l’étendue infinie de l’esprit et éveille un aperçu de quelque chose d’inaltérable, de fondamentalement bon – quelque chose qui existe depuis toujours et pour toujours, sur lequel on peut compter, qui ne change pas, mais qui n’appartient ni à vous, ni à moi, ni à qui que ce soit, et qui ne se laisse pas définir plus que cela.


Les pensées, les sentiments, les perceptions sensorielles n’ont aucune influence sur l’étendue illimitée de l’esprit, il reste inaltéré par ce qui est « bon » ou « pas bon ». La rencontre avec cet espace amène naturellement une sensation de sécurité. D’abord, c’est à peine perceptible. Nous avons peur de nous ouvrir entièrement à cet espace, de nous y abandonner. Mais, nous avons déjà un aperçu de la bonté et de l’amour innés de cet espace. Cette bonté n’est pas soumise aux variations des courants de pensées, elle a une qualité immuable. C’est cela que les textes appellent la « nature de Bouddha ». Cela n’est pas quelque chose, un « truc » que nous pouvons regarder. Nous n’avons pas non plus besoin de la produire – elle est déjà présente. Ce ne sera pas par la volonté, cette barre à mine spirituelle, que nous trouverons l’accès à cette dimension, malgré tous les efforts que nous pourrions faire. Elle se manifeste avec la détente, la confiance et la dévotion. Nous l’expérimenterons de manière directe quand la séparation entre sujet et expérience perçue se dissoudra. Mais déjà maintenant, nous pouvons entrevoir cette dimension, dès que nous devenons conscients de l’espace dans lequel se joue le jeu des pensées.


Cet espace de conscience, inaltérable et désintéressé, est la source des impulsions de la bonté et de l’amour véritables. C’est cet espace qui nous laisse sentir qu’il y a plus dans la vie que l’égocentrisme. Celui qui est en contact avec cet espace, reconnaît que tous les êtres prennent part à cette dimension avec toutes ses qualités, et que cet espace, appelé la nature de Bouddha, est identique pour tous les êtres. C’est de là que vient la certitude que tous les êtres peuvent atteindre la bouddhéité, si seulement ils osent prendre contact avec cette dimension.


L’expérience de ne pas suivre les pensées, de les mettre de côté, de pouvoir les laisser se dissoudre dans l’expérience de l’espace, amène à la détente et au soulagement dans lesquels la saisie égoïste et l’attachement se dissolvent. Et plus nous devenons familiers avec notre esprit, plus la confiance s’amplifie. Le simple fait d’avoir entendu parler de cet espace de la nature de Bouddha peut éveiller en nous la confiance en ce que le chemin de l’éveil est possible. Jamais nous ne devons nous décourager et penser que nous n’avons pas accès au chemin spirituel parce que nous ne sommes pas assez bons ou trop faibles, trop aveugles ou inaptes de quelconque manière. Il en est réellement ainsi : tous les êtres font partie de cet espace. C’est à nous de le libérer. Il n’y a pas d’autre moyen pour le libérer que la pratique personnelle de ne rien faire consciemment (la « méditation »), ainsi que la bénédiction et les instructions d’un maître authentique.



 1 Les instructions traditionnelles relatives au développement de la confiance se trouvent dans le Précieux Ornement de la

Libération de Gampopa aux chapitres n° 1 (la nature de Bouddha), n° 2 (les trois types de confiance), n° 3 (l’ami spirituel), n° 20 (la bouddhéité) et n° 21 (l’action éveillée).


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°8 (Automne 2018)


 


Tilmann Borghardt (lama Lhundrup) est médecin et homéopathe de formation. Il a enseigné pendant 17 ans dans les différentes retraites traditionnelles de trois ans au monastère de Kundreul Ling en Auvergne. Il favorise depuis longtemps les échanges entre enseignants bouddhistes et psychothérapeutes et a créé en 2015 l’institut Ekayana pour un bouddhisme contemporain. 





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