1ère Partie
Extrait des enseignements de Tilmann Borghardt (lama Lhundrup)
inspirés du Précieux Ornement de la Libération de Gampopa
Souvent notre recherche spirituelle démarre par une situation de crise. Mais pas toujours. Certains éprouvent tout simplement le souhait d’avoir dans leur vie des expériences plus profondes ou de pouvoir faire plus pour les autres. En tous cas, à un moment donné, nous commençons à nous poser des questions sur la vie. Au début, celles-ci sont souvent encore très vagues, et un certain courage est nécessaire pour pouvoir les laisser accéder à la conscience. Afin de permettre une formulation plus précise de ces questions, nous pouvons faire l’exercice suivant :
1. S’interroger sur sa vie
Ne mettez pas de côté les questions sur votre vie, osez les exprimer d’une façon audible et consciente. Peut-être serait-il utile de les noter. Ces questions sont le début de votre fil rouge personnel, le point de départ de votre chemin spirituel. Qu’est-ce qui vous préoccupe concernant la vie et la mort ? Quelles sont vos questions sur la vie ? Les questions peuvent changer au cours de votre chemin, elles peuvent gagner en profondeur et en précision. Qu’est-ce qui donne un sens à votre vie ? Qu’est-ce que je veux faire de cette vie ? Creusez à partir de ces questions plutôt générales vers des questions de plus en plus précises.
Peut-être que notre vie jusqu’à présent nous ennuie ; peut-être que notre vie n’est pas si mal que ça, seulement, nous avons comme l’impression qu’elle pourrait être plus utile ; peut-être que nous nous trouvons en pleine crise et que nous en cherchons désespérément la sortie ; peut-être sommes-nous malades et pensons-nous à la mort – peu importe la situation actuelle : le chemin commence justement ici. Aucune situation de la vie n’est inadaptée pour se poser des questions profondes au sujet de la vie. Cependant, nous devons apprendre à nous détendre un peu. Parce que, une fois détendus, nous sommes en bien meilleure disposition pour aborder ce genre de questionnement avec plus de clarté, que lorsque nous sommes stressés et tendus. Afin de nous détendre, quelques minutes de pause dans la vie quotidienne suffisent. L’exercice suivant est un premier essai. Nous nous occuperons des détails plus tard.
2. Se détendre
Asseyons-nous confortablement. Laissons nos bras et nos jambes complètement relâchés. Sentez-vous votre respiration ? Que votre respiration soit rapide ou lente importe peu. Posons notre esprit sur la respiration comme il nous est possible de le faire. C’est tout pour le moment. Laissons simplement entrer et sortir la respiration. Ça se fait tout seul, et ceci est déjà un cadeau. Il n’y a rien d’autre à faire que d’être conscient de la respiration. Réjouissez-vous de votre respiration, le cadeau de ce moment. Soyez comblés par la respiration. Ne cherchez pas à intervenir ; notre respiration se calmera toute seule lorsque nous aurons pris suffisamment d’air.
Dans la tradition tibétaine on soulève le fil du chemin spirituel par les quatre contemplations qui détournent l’esprit des occupations extérieures et l’orientent vers l’essentiel de la vie :
• Contemplation de la précieuse vie humaine
• Contemplation de l’impermanence
• Contemplation des causes et effets (karma)
• Contemplation des trois types de souffrances (souffrance du changement, souffrance de la souffrance, souffrance de la nature conditionnée de l’existence)
Nous allons maintenant nous consacrer à ces quatre contemplations et, parallèlement, nous occuper de toutes les questions qui surgiront dans ce contexte.
La contemplation de la qualité précieuse de notre situation actuelle
La première contemplation consiste à penser à la qualité précieuse de notre situation actuelle. Nous devenons conscients de tout ce qui mérite de la reconnaissance. La reconnaissance envers notre situation actuelle fait se développer le souhait de vouloir l’utiliser à meilleure fin. Il y a tellement de choses pour lesquelles nous pouvons être reconnaissants. Nous éprouvons peut-être de la gratitude pour une profonde respiration, pour le fait d’être en vie, d’avoir assez à manger, d’avoir le temps pour de telles contemplations, d’avoir tous nos cinq sens en bon état, de ne pas vivre dans une situation de dispute ou de guerre, du fait que quelqu’un nous sourit gentiment et que nos soucis nous semblent moins importants. Devenir conscient de toutes les raisons pour lesquelles nous pouvons éprouver de la reconnaissance est un bon remède contre la dépression et donne de la vigueur.
3. Développer de la reconnaissance
Préparation : Asseyons-nous à nouveau dans une position confortable. Respirons d’abord consciemment pendant un certain temps, sans suivre un quelconque but. Laissons libre cours à nos pensées, c’est-à-dire, ne les poursuivons pas, mais revenons toujours à la respiration. Ainsi, réjouissons-nous simplement du moment.
a) Ensuite, tournons notre esprit vers la question : pour quelles raisons pourrais-je éprouver de la joie et de la gratitude en ce moment ? Beaucoup de réponses peuvent surgir, des petits détails, qui semblent être presque sans importance, ou des faits et conditions très marquants, qui rendent notre existence humaine sur cette terre possible. Tout, même le plus petit détail, mérite d’être pris en considération. Nous pouvons également – si cela facilite notre réflexion – nous servir d’un stylo et d’un bloc-notes.
Le coussin sur lequel je suis assis a été confectionné par une personne, la maison a été construite par quelqu’un, la nourriture a été cultivée et préparée. Chaque objet a son histoire, de même que les grands événements tels la guerre et la paix dans le monde, les grandes invasions, les découvertes...
b) La contemplation traditionnelle commence par la prise de conscience de toutes les conditions défavorables dont nous sommes affranchis. Réfléchissons maintenant à quel point notre vie pourrait être plus difficile. Quelle serait notre situation, si ceci ou cela n’était pas possible ? Ensuite, pensons à tous ces êtres qui ne sont pas aussi libres que nous. Regardons clairement avec quels handicaps ou limitations d’autres êtres sont contraints de vivre, et à quel point, dans de telles conditions, il doit être difficile pour eux d’avancer sur le chemin spirituel. Et souhaitons-leur de pouvoir trouver ces libertés.
c) Ensuite, développons la reconnaissance de pouvoir nous réjouir des libertés intérieures et extérieures. Tournons-nous vers toutes ces conditions favorables qui sont réunies pour nous permettre d’être maintenant assis ici et d’orienter notre esprit vers le chemin intérieur. Cela demande une multitude de facteurs : il est essentiel d’être en bonne santé et d’avoir un esprit ouvert. Plus particulièrement les enseignements sur le chemin intérieur, le Dharma, doivent être disponibles, et notre situation actuelle doit être appropriée à la pratique spirituelle. Pensons aux nombreux êtres qui ont contribué à cette situation où la transmission du Dharma nous est accessible – combien de gens, par exemple, se sont impliqués pour sauvegarder les enseignements spirituels pour les générations à venir. Ils ont étudié, contemplé et médité le Dharma. Ils ont enseigné, copié des textes, traduit et commenté. Ils ont réuni des disciples autour d’eux, construit des bâtiments et créé des structures appropriées à la transmission spirituelle.
Parfois, nous avons tendance à nous plaindre de toutes les difficultés que la vie nous procure. Cette contemplation nous aide à changer notre façon de voir – d’après la devise : « Mon verre n’est pas à demi vide mais à demi plein, voire pas mal plein ! Donc, finalement, je suis assez riche ! » Ainsi, nous développons de la gratitude et une grande joie. Nous découvrons que notre existence humaine est quelque chose de très précieux, un magnifique cadeau, une chance.
Mais, dans quel sens notre vie est-elle un cadeau ? Nous n’avons toujours pas élucidé complètement la question concernant le but de notre vie. Il est conseillé de respirer profondément et de revenir à l’exercice n° 1, afin de l’approfondir.
Vous vous trouvez en voyage de découverte. Chaque fois que vous faites cet exercice, vous allez découvrir une nouvelle nuance, un nouveau plan de significations et d’expériences. Vous rencontrerez également des choses bien connues mais, à chaque fois, se manifestera un approfondissement ou un éclaircissement. Les réponses à vos questions, c’est à vous de les trouver à travers votre pratique personnelle. Par conséquent, ces enseignements ne vous expliqueront que la manière de procéder et comment utiliser la matière de l’enseignement traditionnel. Il faudrait que cela reste un voyage de découvertes personnelles, sinon votre pratique manquera d’ardeur, de « jus ». Donnez-vous la peine de chercher toujours plus loin, de regarder toujours plus distinctement.
*Dans le bouddhisme tibétain Vajrayana, on énonce des conditions favorables d’existence dont on peut se réjouir, comme par exemple le fait d’être né en pleine possession de nos moyens, sans handicap des sens (y compris le mental), de ne pas être né dans une région du globe difficile et marquée par les conflits, d’être né dans un endroit au contact des enseignements authentiques du Bouddha, de ne pas être sous l’influence de points de vue erronés, etc. ( Voir les enseignement sur la précieuse existence humaine.)
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n° 7 (Eté 2018)
Tilmann Borghardt (Lama Lhundrup)est médecin et homéopathe de formation. Il a enseigné pendant 17 ans les différentes retraites traditionnelles de trois ans au monastère de Kundreul Ling en Auvergne. Il favorise depuis longtemps les échanges entre enseignants bouddhistes et psychothérapeutes et a créé en 2015 l’institut Ekayana pour un bouddhisme contemporain.