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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Le bouddhisme, une voie d’optimisme

Présentatrice de l’émission : Sandrine Colombo

 

 

Sandrine Colombo : Nous avons une chance immense, celle de pouvoir progresser. Tout être en a le potentiel : c’est l’un des messages clefs de l’enseignement du Bouddha. Un message résolument optimiste : ainsi, quand tout va mal autour de soi ou en soi, il est possible de ne pas se résigner et d’arriver à se sentir mieux. Et même quand tout va bien, s’entraîner au bonheur permet d’affronter plus sereinement les difficultés qui surviennent. Nous verrons ainsi comment notre nature nous permet de progresser, pourquoi il est fondamental de comprendre l’impermanence et comment on peut s’entraîner au bonheur.

 

Partons du commencement : quelle est la vocation exacte du bouddhisme ?

Marie-Stella Boussemart : Je ne sais pas si on peut parler de vocation, mais le bouddhisme est une voie qui concourt au bonheur au travers d’une progression intérieure.

 

Alors à qui cela s’adresse-t-il : particulièrement à ceux qui n’arrivent pas à trouver le bonheur, qui sont malheureux, ou à ceux qui ne trouvent pas le sens à donner à leur vie ?

En fait, beaucoup plus largement, j’aurais tendance à dire que le bouddhisme s’adresse à tous ceux qui voudraient se prendre en main et qui aimeraient ne pas subir de manière passive les événements de la vie, qui cherchent donc une méthode pour essayer de tirer parti, finalement, de quelque événement que ce soit, même de ce qui sinon ne serait que des épreuves.

 

Est-ce que tout le monde a le « potentiel » de justement se mettre à trouver le bonheur ?

C’est peut-être l’un des points principaux : selon le bouddhisme effectivement — dans notre langage technique on dit que tous les êtres ont la « nature de Bouddha », et en termes beaucoup plus clairs, ça veut dire que tout le monde a un potentiel qui ne demande qu’à être développé. Évidemment, selon le type de naissance que l’on a, les conditions dans lesquelles on se trouve, ce sera plus ou moins facile, et on pourra aller plus ou moins loin, en tous cas pour le moment ; mais tous, chacun de nous avons des qualités qui, si nous les développons, nous permettront de nous sentir mieux, plus heureux et également de pouvoir avoir un impact bénéfique sur les autres.

 

Cela veut-il dire que l’on peut aussi devenir meilleur ? Quelqu’un qui a eu un passif mauvais peut-il se bonifier et finalement devenir meilleur ?

Peu importe le point de départ : le tout est de prendre conscience d’un certain nombre de choses et également d’une certaine manière de prendre confiance en soi en se disant : « Peut-être que j’ai commis des erreurs, mais ce n’est pas non plus figé dans le marbre, et à partir de maintenant, si j’essaie de progresser, je peux m’améliorer, je peux aussi petit à petit devenir plus utile aux autres. » Et ça, c’est dans l’histoire du bouddhisme mais également dans toutes les autres traditions : on voit des personnes qui au point de départ sont parfois des criminels, des gens apparemment pas très recommandables et qui, ultérieurement, changent et deviennent des gens très bien. On parle par exemple chez les Tibétains du célèbre Milarépa qui, au départ, a voulu venger sa famille et qui a utilisé des moyens quand même assez rudes et violents — il a tué un certain nombre de personnes qui avaient nui à sa mère et à lui-même — mais qui a ensuite complètement changé de cap et est devenu l’un des plus grands ermites tibétains. Il est un exemple de la manière dont on peut devenir Bouddha dans cette vie-là.

 

En quoi la notion d’impermanence est-elle importante à comprendre ?

Il y a deux aspects dans l’impermanence : l’aspect le plus simple c’est que nous naissons, nous vieillissons et nous mourons. Un objet est fabriqué, il s’use et un jour devient obsolète. Et sur un plan plus subtil, d’instant en instant nous changeons : et ça, c’est formidable parce que ça veut dire que nous pouvons très bien d’un instant à un autre devenir meilleurs !

Cette notion est fondamentale parce que s’il n’y avait pas l’impermanence on ne pourrait pas changer. Et c’est l’intérêt de voir qu’en fait nous sommes soumis à l’impermanence : même si pour le moment ça ne va pas très bien, ça ne veut pas dire que ça ira toujours mal ; même si pour le moment nous avons l’impression que nos qualités sont relativement limitées, ça ne veut pas dire qu’elles vont toujours rester limitées, donc admettons qu’actuellement nous ne soyons pas très patients — je parle pour moi (rires) : c’est un chantier que je peux me proposer pour essayer de devenir petit à petit plus patiente. Si l’on voit les choses de cette manière-là, ce qui jusqu’à présent était particulièrement énervant, irritant, va devenir autant d’atouts pour progresser du point de vue de la patience. Ce qui était donc insupportable va devenir finalement un facteur favorable : ça change complètement le regard sur les choses et sur les autres.

 

Pourquoi l’entraînement peut-il changer justement notre regard sur les choses ?

Il s’agit de voir d’abord que nous avons cette capacité à aller vers quelque chose de mieux et également de comprendre qu’il y a des méthodes qui vont nous le permettre. À partir de là, c’est comme pour n’importe quel entraînement sportif, artistique et autre : ça va prendre un peu de temps, mais c’est un peu comme si on prenait conscience que nous disposons d’un bateau — c’est notre corps — et que ce bateau pourrait nous permettre d’aller au-delà de la souffrance. Mais il faut que nous apprenions à le piloter. Il faut également que nous regardions d’un peu plus près pour voir quels sont ses points faibles et ses points forts. Ses points faibles : il y a sûrement des moyens pour colmater, arranger… Et les points forts, nous allons pouvoir peut-être les rendre encore plus performants. De là, nous allons pouvoir avancer ; il est évident qu’il est plus facile d’apprendre à naviguer au calme.

 

Cela veut-il dire qu’il y a peut-être des moments plus favorables pour commencer à s’entraîner ?

C’est beaucoup plus facile quand tout va bien : on peut prendre son temps, notamment. Quand on est dans le vif de l’action et qu’on est en période de crise, on manque en général de recul. Ça ne veut pas dire qu’on ne puisse rien faire mais il est certain que si l’on a acquis un certain nombre d’outils au préalable, et surtout si l’on a pris conscience qu’on en était capable, alors au lieu de se laisser complètement désarçonner ou démoraliser, ça permettra de garder la tête hors de l’eau.

 

Cela veut-il dire qu’on peut commencer à s’entraîner dès le plus jeune âge, avant même d’avoir des obstacles dans la vie ?

Plus on commence jeune et mieux ça vaut puisqu’un enfant c’est une véritable éponge : toutes ses réactions sont apprises quand il est petit. Nous par exemple, les Français, nous apprenons à être à l’heure ; et là, ça serait presque le contraire de la patience (rires) : au lieu d’être toujours mécontents de ce que l’on a, il s’agirait de voir qu’après tout, ça dépend des points de comparaison. Et c’est un point important : c’est souvent parce que nous regardons vers ceux qui auraient apparemment plus que nous que du coup nous nous sentons mécontents. Alors que si nous voyons que somme toute nous sommes plutôt favorisés, avantagés à pas mal de points de vue, ça nous permettra de nous sentir beaucoup mieux. Et comme le disait le maître Shantideva : après tout, quand il y a un problème, il faut regarder les choses comme elles sont. Soit il y a une solution : pourquoi s’inquiéter ? Il faut appliquer la solution. Soit il n’y a pas de solution : à quoi bon s’inquiéter ? Il vaudrait mieux à ce moment-là prendre acte et voir comment on pourrait bien vivre le moment présent.

 

Vous parliez tout à l’heure de l’impatience : faut-il se concentrer sur l’un de ses défauts, ou un défaut sur autrui, et essayer de le percevoir différemment ?

C’est vrai que, en tant que bouddhiste, il vaut mieux s’en remettre à un maître, qui va être un peu le « coach » spirituel, c’est-à-dire également nous proposer un entraînement qui nous sera parfaitement adapté. Et il y a la méditation en tant qu’outil — la méditation ça n’est pas forcément quelque chose de terriblement compliqué, mais prendre un moment de calme et s’observer soi-même — et à partir de là ça nous permettrait peut-être de mieux prendre conscience de nos points forts et de nos points faibles. Parce que si nous regardons seulement les défauts ça va complètement nous démoraliser ; ce n’est pas du tout le but, au contraire. Il faut également les voir, bien sûr, pour pouvoir essayer d’y remédier. Mais étant donné que nous avons des qualités, qui sont plus ou moins développées, nous allons voir également qu’en les améliorant, en en tirant mieux parti, ça ira mieux pour nous, et ça ira mieux pour les autres. Prenons un exemple de qualité que tout le monde a : la générosité. À partir du moment où nous nous en rendons mieux compte, et que nous voyons que c’est extrêmement facile, finalement, d’être généreux — parce que c’est un état d’esprit — ça peut vraiment éclairer nos journées et également éclairer les journées d’autrui. La générosité ne demande pas forcément d’être richissime : même un sourire, une parole gentille, ça peut tout changer.

 

Est-ce que dans l’entraînement il y a aussi la capacité à se réjouir, de ce qui nous entoure, de notre quotidien… ?

C’est l’une des pratiques qui ont été hautement recommandées par le Bouddha. Il y avait un roi qui s’était adressé au Bouddha en disant : « Mais je n’ai pas beaucoup de temps, méditer, tout ça… je ne peux pas, j’ai trop de travail. Qu’est-ce que je peux faire comme pratique ? » Et le Bouddha de lui répondre qu’il y a une pratique qui est simple et qui peut rapporter gros, si j’ose dire (rires) : où que vous soyez, quoi que vous soyez en train de faire, il faut et il suffit de voir ce que vous avez déjà vous-même de bon et de bien et d’en être heureux, mais également de regarder ce que les autres ont de bon et de bien et, petit à petit, d’apprendre à vous en réjouir. L’intérêt, ici, est que ça préserve de la jalousie qui sinon nous pourrit littéralement la vie.

 

Ça préserve de la jalousie mais ça donne une certaine confiance en soi finalement, de se sentir mieux parce qu’on apprécie les choses autour de soi.

Par rapport à soi, ça permet effectivement de mieux savourer ce que l’on a déjà, de mieux apprécier les amis, la famille, etc., au lieu d’être toujours à regarder ce qu’ils n’ont pas fait. Regarder plutôt ce qu’ils ont fait, justement, et simplement leur présence qui est capitale. Et par rapport aux autres, au lieu de les voir comme des rivaux, des ennemis, ça permet de les voir comme des modèles : face à quelqu’un qui a fait quelque chose de bien, plutôt que d’être dévorés par l’envie, nous pourrions nous dire : « Mais il me montre ce que je pourrais également faire. » Il vaut mieux donc aller de l’avant et peut-être même lui demander conseil.

 

C’est se réjouir pour autrui, finalement ?

Également, oui.

 

Finalement, l’enseignement du Bouddha montre comment regarder les choses différemment peut mettre sur la voie du bonheur…

Oui. Et un point important, c’est qu’il ne s’agit pas non plus de devenir aveugle : il ne faut pas penser que tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Il faut rester réaliste ; il y a des épreuves dans la vie, il peut y avoir des personnes qui parfois se comportent mal, veulent nous mettre des bâtons dans les roues : il faut le voir tel que c’est, également parce que sinon on se met en danger — mais également voir que, quelles que soient les circonstances dans lesquelles on se trouve, on peut en tirer parti. Exemple : quelqu’un qui chercherait à nous faire du tort. Soit nous allons le haïr mais quelque part, nous lui rendons service parce que c’est nous qui sommes malheureux ; soit au contraire nous nous disons qu’en fait cette personne va nous servir de maître de patience. Et grâce à elle, nous allons pouvoir développer de la patience, de l’amour, de la compassion, parce que le malheureux, s’il agit d’une manière tellement stupide, c’est qu’il est sous la coupe de l’ignorance et, parce qu’il est ignorant, il se laisse aller lui-même à la colère. Il est donc plus à plaindre qu’à blâmer.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°14 ( été 2020 )

 



Marie-Stella Boussemart est nonne érudite de la tradition Gelugpa du Vajrayana. Membre de la congrégation Ganden Ling, elle est l’interprète francophone depuis 1979 du vénérable Dagpo Rinpoché. Docteur en langue tibétaine, elle a traduit de nombreux traités bouddhistes, a été présidente de la fédération Union Bouddhiste de France de 2012 à 2015 et a participé aux grands débats sur les questions sociétales (laïcité, bioéthique, etc.).

 

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