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Le Bouddha est un thérapeute cognitif suprême

Dernière mise à jour : 10 oct.

Le chemin graduel du Lamrim


Par la Vénérable Robina Courtin

Traduction : Sylvie Gauthier                                                                                                                                        


 La tradition Gelug (et les pratiquants Gelugpa) remonte au xive siècle. Son fondateur, Tsongkhapa, s’appuie sur les écrits d’Atisha. Le lamrim, la voie graduelle vers l’éveil, est un enseignement majeur transmis au sein de cette tradition. La vénérable Robina Courtin a donné une présentation très simple du lamrim en Californie, au Land of Medecine Buddha, un centre du FPMT (Fondation pour la préservation de la tradition Mahayana), en 2005. L’extrait suivant représente une toute petite partie de son introduction[1].

 

« Éveil » est un terme couramment utilisé. On le retrouve dans de nombreuses traditions et son emploi varie grandement ; ici, il fait référence à la « bouddhéité ». L’étymologie du mot sanscrit « bouddha » est pourtant une très bonne indication : elle nous donne exactement le résultat, qui nous donne à son tour exactement la méthode pour y arriver. « Budh » signifie l’éradication complète de l’ego, des névroses, de l’attachement, de la colère, de la dépression, etc. Nous considérons ces choses comme faisant partie intégrante de nous mais le Bouddha nous dit qu’il n’en est rien : tout cela peut être extirpé de notre esprit. « Dha » implique le développement à la perfection de toute la bonté, de la vertu, de la sagesse qui existent en nous : voilà ce qui réside au cœur de l’être. C’est le potentiel naturel de tous les êtres sensibles.

Qu’est-ce qui devient bouddha? C’est votre esprit, votre conscience. Le Bouddha ne parle pas d’une âme ou d’une émanation. Son expertise, c’est l’esprit.

 

Se débarrasser du négatif : l’apprenti pâtissier

Voilà qui est radical ! Une telle proposition n’existe tout simplement pas dans les neurosciences ou la psychologie moderne. Nous accordons le même poids au positif et au négatif, considérant que les deux coexistent en nous. Personne n’imaginerait pouvoir éliminer totalement la colère, l’ego et tout le reste. Nous sommes ainsi faits, nous n’y pouvons rien. Nous nous efforçons simplement de faire de notre mieux. Nous n’envisageons pas de cultiver nos qualités et de nous débarrasser de nos défauts. Par contre, s’il s’agit de faire un gâteau ou n’importe quoi d’autre, notre point de vue est différent : nous ne naissons pas pâtissier, mais nous pouvons le devenir, si nous suivons un cours de pâtisserie. Nous ne naissons pas mathématicien, mais nous pouvons apprendre. Il y a des cours pour cela, n’est-ce pas ?

 

Mais il n’existe aucun cours pour apprendre à devenir plus aimant, plus sage, plus compatissant. Voyez jusqu’à quel incroyable degré nous pouvons maîtriser le piano. Nous sommes phénoménaux, en Occident, lorsqu’il s’agit de technique, mais pour ce qui est de développer les qualités de notre d’esprit, nous ne sommes pas aussi doués. Eh bien, voilà où le Bouddha intervient. Le Bouddha peut nous aider à développer notre esprit jusqu’à un degré prodigieux. Cela devrait nous enthousiasmer. Les cours sur le bouddhisme devraient être pleins à craquer ! Nous ne voulons peut-être pas tous devenir mathématicien – et nous ne souffririons sans doute pas de ne pas être mathématicien, mais nous souffrons tous de jalousie, de confusion, de dépression, d’envie de tuer, de mentir ou de voler… Nous devrions nous précipiter vers les cours proposés par le Bouddha ! Le Bouddha est un expert de l’esprit : il peut nous montrer comment débarrasser notre esprit de toutes les souillures et développer la perfection du bien.

 

« Plus vous pratiquez, meilleur vous devenez. Ouf ! Cela devrait nous donner du courage. »

 

L’éveil est possible

Nous souhaitons tous être aimants et bons, nous ne voulons pas être méchants ou déprimés, mais nous ne savons pas vraiment comment faire. Nous avons vaguement entendu parler de méditation, et pensons que si nous fermons les yeux, allumons un encens, tamisons la lumière, mettons une musique douce, il se passera quelque chose de mystérieux, de l’ordre du spirituel. Vous me suivez ?

 

Eh bien, ce n’est pas tout à fait cela. Ce n’est pas ce que le Bouddha propose. Le Bouddha nous dit que la tâche est ardue, mais que c’est faisable, si on commence par le commencement et qu’on persévère. Persévérez et vous y parviendrez. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron. » Les Tibétains disent : la difficulté n’augmente pas avec l’expérience. C’est la même chose. Quel soulagement ! Plus vous pratiquez, meilleur vous devenez. Ouf ! Cela devrait nous donner du courage. Au départ, il faut comprendre que le but est de réaliser l’état de bouddha. Pourquoi ? Parce que vous êtes un être vivant et que vous en avez le potentiel. On dit que nous possédons la nature de bouddha. Nous ne nous exprimons généralement pas ainsi, n’est-ce pas ? Nous ne disons pas : le gland possède la nature du chêne. Mais nous comprenons très bien ce que cela veut dire. C’est une façon assez originale de le formuler.

 

Soyez précis

Nous savons qu’il est important d’employer la terminologie exacte en mathématiques, en science ou en pâtisserie. Si la recette dit une demi-cuillère de ceci, un gramme de cela, mieux vaut savoir ce que ces termes signifient, sinon nous risquons la catastrophe. Dans la sphère quotidienne, nous savons d’instinct que la précision et l’exactitude sont importantes.

 

Là encore, nous n’avons pas l’habitude de transposer cette idée de précision dans le domaine spirituel. Nous parlons d’« éveil » et présumons que ce mot a le même sens pour tous. C’est comme pour le mot « amour » : je te dis « je t’aime », tu me dis « je t’aime », et nous sommes persuadés que nous nous comprenons. Mais si nous nous arrêtions pour définir ce terme, nous en aurions probablement deux définitions complètement différentes.

 

L’approche unique du Bouddha

Parlons maintenant de l’approche du Bouddha, de son discours, du contexte. Car je crois que nous avons tous une idée différente du sens du mot « spirituel ». Nous avons tous une idée de ce qu’est la pratique. Peut-être nous l’a-t-on déjà expliqué, mais il reste encore beaucoup de concepts dans nos esprits. Alors voyons ce que le Bouddha dit.

Ce qu’il dit – et j’y ai fait allusion plus haut – c’est que le potentiel existe en nous, dans notre esprit, dans notre conscience. Alors qu’est-ce qui m’empêche, ici et maintenant, d’être bouddha ? Pourquoi mon esprit ne remplit-il pas l’univers ? Pourquoi ne voit-il pas chaque chose telle qu’elle est, pourquoi n’est-il pas en unité avec toutes les existences? Qu’est-ce qui l’en empêche ? Eh bien, ce sont des choses à l’intérieur de l’esprit. N’est-ce pas ? Si ma conscience a le potentiel d’être parfaitement pure et claire, parfaitement inclusive, sage, etc., c’est donc qu’ici et maintenant, mon esprit est complètement pollué. C’est une bonne image ! Bouddha dit que l’esprit est pollué par ces états d’esprit illusoires, malheureux, dont notre ego est constitué.

 

Spirituel ou bien psychologique ? C’est la même chose !

Alors, qu’est-ce que l’esprit ? Prenons des termes bien connus. Le mot « esprit » (« mind ») évoque les mots « réfléchir », « pensées », « concepts ». C’est très facile à comprendre. Ensuite, il y a les mots comme « émotions », que nous associons au cœur. Puis tout devient confus lorsque nous ajoutons un troisième élément, le mot « spirituel ». Bouddha ne voit pas les choses ainsi. En fait, ce qu’il entend par « spirituel » signifie que vous êtes « spirituel » lorsque vous reconnaissez vos névroses, lorsque vous les transformez, lorsque vous développez amour, compassion et sagesse. Si vous travaillez sur l’attachement, la colère, la jalousie, vous êtes spirituel. Si vous pratiquez la patience, l’amour, vous êtes spirituel.

 

Nous avons tendance à associer cela à la psychologie, alors nous nous tournons vers un thérapeute. Si nous voulons développer notre spiritualité, nous nous tournons vers un lama tibétain, et nous pensons que ce sera différent : il nous donnera un mala, nous réciterons des mantras et nous verrons les bouddhas : nous mettons tout cela dans la case spirituelle.

 

Mais lorsque nous entendons le Bouddha parler de colère, de jalousie, de dépression, d’amour, de compassion, nous nous disons que cela relève de la psychologie, et non du spirituel. Pourtant, c’est ce que le Bouddha entend par spirituel.

 

Par ailleurs, si nous nous gavons jusqu’aux oreilles d’images iconiques, de récitations de prières, croyant ainsi agir de façon purement spirituelle, un recadrage s’impose.Prières, récitations, pratiques de visualisation font simplement partie d’un ensemble d’outils que l’on peut utiliser. Ce sont plus précisément des outils de niveau avancé, de niveau ésotérique, qui peuvent nous aider dans ce travail sans fin qui consiste à nettoyer notre poubelle et à cultiver le bien. Il s’agit là aussi de psychologie ; Bouddha ne parle que de psychologie. Seulement, ce qu’il est possible d’atteindre sur le plan psychologique est stupéfiant dans le contexte de l’éveil. L’erreur serait de croire que la dépression relève de la psychologie et l’éveil, du spirituel. D’après le Bouddha, tout est psychologique, puisque tout relève de l’esprit, et nous savons que le mot « esprit » est utilisé en psychologie.


Pour le Bouddha, psychologique et spirituel sont synonymes. C’est la même chose. Ce que vous faites, en tant que bouddhiste, relève de la psychologie. Si vous travaillez sur votre esprit, comment pouvez-vous dire que ce n’est pas psychologique ? Pour le Bouddha, la notion de psychologie est radicale. Ce que nous pouvons réaliser psychologiquement dépasse largement le cadre de la psychologie moderne.

 

Si vous demandez à votre thérapeute comment atteindre l’éveil, elle vous conseillera d’aller voir un lama tibétain. « Cela n’a rien à voir avec la psychologie ; moi, je peux vous aider à fonctionner au quotidien », vous dira-t-elle. Pour le Bouddha, il n’y a pas de différence. Dans notre culture, la psychologie occupe une sphère bien définie. Même si les modèles sont nombreux, ils s’appuient tous fermement sur la vision matérialiste du cerveau comme siège de l’esprit, sur le fait que vous êtes l’enfant de vos parents, et cela n’est pas considéré comme étant spirituel. Pour le Bouddha, les pratiques que nous qualifions de spirituelles sont des outils qui vous aident à vous développer psychologiquement, jusqu’à atteindre l’éveil.

 

« Nous cherchons à comprendre le fonctionnement profond de notre esprit, nous le sondons, nous tentons de distinguer ce qu’on appelle le positif et le négatif, parce que c’est ça le vrai travail. »

 

Devenir son propre thérapeute

Dans la première étape de notre pratique, que l’on pourrait comparer à l’école primaire, nous travaillons sur des aspects beaucoup plus élémentaires : le corps, la parole, les lois fondamentales du fonctionnement des choses, la loi naturelle du karma, les causes et les effets. Par la suite, à l’école secondaire, nous commençons à devenir notre propre thérapeute. Je ne dis pas cela pour blaguer ; c’est exactement cela. Nous cherchons à comprendre le fonctionnement profond de notre esprit, nous le sondons, nous tentons de distinguer ce qu’on appelle le positif et le négatif, parce que c’est ça le vrai travail. Nous plongeons au cœur de la pratique.

 

Le Bouddha est un thérapeute cognitif suprême. Il enseigne que ce que nous pensons influence nos sentiments, qui influencent nos paroles et nos actions, qui influencent le monde, qui influence – point crucial – nos propres vies futures, etc. Tout relève de l’esprit.

 

 

Changer notre façon de penser

Bouddha aborde l’esprit d’une manière beaucoup plus radicale parce qu’il ne postule pas l’existence d’un créateur, ce qui est déroutant si tant est que vous le considérez comme un être spirituel. Comme je l’ai déjà dit, soit nous sommes des matérialistes philosophiques, soit nous croyons en un créateur. Pas le Bouddha. Il ne dit ni qu’il existe un créateur, ni qu’il n’en existe pas. Il décrit exactement comment les choses naissent, pourquoi nous sommes tels que nous sommes, pourquoi les univers, pourquoi le bonheur, pourquoi la souffrance. Son « principe créatif », si on peut l’appeler ainsi, c’est le karma, la loi naturelle des causes et des effets, que nous étudions à « l’école primaire ». Pour comprendre le karma, il faut absolument comprendre ce qu’est l’esprit.

 

Ayant compris le karma, nous voyons que notre pratique consiste à changer notre façon de penser. Bouddha explique que notre esprit est farci de conceptions erronées, et que ces conceptions sont enfouies si profondément qu’il faut beaucoup de temps pour les voir. Comme notre culture ne nous encourage pas à nous interroger sur nos pensées et nos sensations, nos conceptions erronées persistent jusqu’à ce qu’il soit trop tard, jusqu’à ce qu’elles deviennent un problème.

 

Les méthodes que Bouddha recommande pour creuser notre esprit, ces techniques psychologiques extrêmement habiles et sophistiquées que l’on appelle méditation – j’insiste sur le fait qu’elles sont psychologiques – nous permettent d’explorer les profondeurs vertigineuses de notre esprit, et donc de devenir notre propre thérapeute formidablement doué. Cela est la pure vérité, et j’utilise des termes occidentaux que nous comprenons bien.

 

Nous faisons de la thérapie cognitive : nous apprenons à déconstruire complètement nos constructions mentales compliquées. C’est une entreprise drastique, et c’est terrifiant, car nous savons à quel point une simple démarche thérapeutique, un simple effort de prise de responsabilité à l’égard de nos émotions peuvent être douloureux. Nous le savons.

 

Mais rappelez-vous bien qu’il ne s’agit pas de comprendre notre condition actuelle à la lumière de ce que nous avons pu subir dans le passé. Cela n’est pas du tout la démarche bouddhique. Il s’agit, à « l’école secondaire », d’étudier profondément notre esprit ; mais d’abord, étudier notre passé à la lumière du karma pour comprendre qui nous sommes, et surtout, qui nous pouvons devenir : ultimement, un bouddha. Un autre petit morceau qui est important, extrêmement important.


[1] Document source FPMT : A very simple présentation of the lamrim par Robina Courtin – novembre 2019, monastère de Kopan – pdf – 384 pages.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )

 





Robina Courtin est née à Melbourne en Australie. Elle est nonne dans le bouddhisme tibétain Gelugpa, de la tradition et la lignée de lama Thubten Yeshé et lama Zopa Rinpoché. En 1996, elle fonde le Liberation Prison Project, dont elle s’occupera jusqu’en 2009. Enseignante internationale, elle est connue pour son énergie extraordinaire, sa compassion flamboyante et son franc-parler.

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