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La guérison spirituelle

  PAROLES DE MAÎT

Au XXe siècle, la réputation de Ajahn Buddhadasa Bhikkhu (« Serviteur du Bouddha ») et de sa pratique se répandirent au point que l’on dit qu’il fut l’un des événements les plus marquantsde l’histoire du bouddhisme thaïlandais. Il basait son travail sur une recherche extensive des textes palis (le Canon pali et les Commentaires) et en particulier sur les discours du Bouddha (le Sutta Pittaka)en s’appuyant toujours sur sa propre expérience et sa pratiquede ces enseignements.


La maladie spirituelle

Dans un texte des Commentaires, on appelle le Bouddha le « docteur spiri- tuel ». En suivant le sens de certains des enseignements du Bouddha est apparu un principe qui identifiait deux types de maladies : la maladie physique et la maladie mentale. Dans les textes, on utilise les mots « maladie mentale » mais ils n’ontpas le sens qu’on leur donne aujourd’hui. À l’époque du Bouddha, ces mots dési- gnaient une vision erronée des choses ou bien le désir. Par contre, de nos jours, ils désignent de réelles maladies mentales basées sur le corps et donc liées à un problème physique. Pour éviter toute confusion, je vais ajouter un troisième terme : nous considèrerons que les ma- ladies physiques et mentales sont toutes deux physiques et nous emploierons le terme « maladie spirituelle » pour désigner ce que le Bouddha considérait comme une maladie de l’esprit.

Le mot « esprit » se réfère aux aspects subtils du mental qui sont malades, sous l’emprise de parasites mentaux, en par- ticulier à cause de l’ignorance et d’une

vision erronée des choses. L’esprit habité par l’ignorance ou la vision erronée souffre d’une « maladie spirituelle » : son regard sur les choses est faux. Voyant faux, il pense faux, parle faux et agit faux et c’est précisément là que se cache la maladie : dans la pensée fausse, la parole fausse et l’action fausse.

Tout le monde souffre de la maladie spi- rituelle et tout le monde doit la soigner spirituellement. Le Dhamma est le remède, cette « simple poignée » d’enseignements bouddhiques qui doivent être pleinement réalisés, utilisés et digérés pour guérir de la maladie.

Notez bien que, de nos jours, les êtres humains ne s’intéressent absolument pas à la maladie spirituelle, de sorte qu’elle ne cesse d’empirer, et pas seulement au niveau de l’individu car, quand chacun est atteint de la maladie spirituelle, le monde entier en est atteint. Le monde est malade, aussi bien mentalement que spirituellement et, de ce fait, au lieu d’avoir une paix durable, nous sommes en crise permanente. C’est perdre son temps que de parler d’une paix durable car toutes les parties concernées sont atteintes de la maladie spirituelle, toutes disent qu’elles ont raison et que les autres ont tort. Toutes les parties sont malades spirituellement et ne font donc que créer toujours plusde dukkha, pour elles-mêmes comme pour les autres.

maladie spirituelle, toutes disent qu’elles ont raison et que les autres ont tort. Toutes les parties sont malades spirituellement et ne font donc que créer toujours plusde dukkha, pour elles-mêmes comme pour les autres.


Le germe de la maladie spirituelle

Le germe de la maladie spirituelle se situe danslesentimentde«moi»etde«mien» qui, sous l’action de l’égocentrisme, de- vient avidité, haine et vision erronée deschoses, ce qui crée des perturbations aussi bien pour soi que pour les autres. Tels sont les symptômes de la maladie spirituelle tapie en nous. Nous pouvons aussi l’appeler « la maladie du moi et du mien ».

Tout le monde est atteint de cette maladie et nous continuons à absorber toujours plus de ce germe à chaque fois que nous voyons une forme, sentons une odeur,touchons un objet, goûtons une saveur ou pensons en ignorants — autrement dit,

avec chaque contact sensoriel.Nous devons prendre conscience du fait que le germe de la maladie spirituelle est l’attachement et qu’il a deux aspects : l’attachement au moi et l’attachement au mien. Etre attaché au moi, c’est sentir quele«je»estuneentité,que«jesuis» comme ceci ou comme cela, que « je suis » égal, inférieur ou supérieur aux autres, etc. Toutes ces attitudes expriment un moi. Quant au mien, c’est considérer que cela m’appartient : c’est « mon » goût, c’est « mon » opinion. Même les choses que nous détestons, nous les considérons comme « nos » ennemis. Voilà ce que l’on appelle mien.Toutes les branches de philosophie de l’époque du Bouddha essayaient de venir à bout de cette maladie ; elles avaient toutes le même but : éliminer le moi et le mien. La différence est que, quand elles parvenaient à éliminer ces sentiments, elles appelaient ce qui restait le Vrai Soi, le Pur Atman, le Désiré. Le Bouddha, quant à lui, refusa d’utiliser ces termes pour ne pas donner naissance à une autre façon de s’attacher à un soi ou à des choses appartenant à un soi. Selon le Bouddha, quand le moi et le mien sont vus pour ce qu’ils sont, il ne reste qu’une parfaite vacuité que l’on appelle Nibbana, absolument vide de moi, vide de mien, et rien d’autre. Le Nibbana est la fin de la maladie spirituelle.Cette question de moi et de mien est très difficile à percer. Sans une profonde concentration, on ne peut pas comprendre que c’est précisément là que se cache lasouffrance, que c’est le germe qui cause la maladie spirituelle.Ce que l’on appelle atta ou « soi » corres- pond au mot latin ego. On peut dire que l’ego est naturel aux êtres vivants et même qu’il est leur centre. Traduit en français,

ce mot peut être interprété comme « une âme », mot d’origine grecque, kentricon, qui signifie « centre ». L’atta peut donc être considéré comme le centre des êtres vivants, leur noyau indispensable et, par conséquent, ce serait une chose dont les gens ne pourraient pas se débarrasser et qu’ils ne pourraient pas s’empêcher de ressentir. Il s’ensuit que toute per- sonne non éveillée est obligatoirement constamment animée par l’ego. Il est vrai que cela ne s’exprime pas ouvertement tout le temps mais seulement quand il y a un contact sensoriel, c’est-à-dire quand on voit une forme, on entend un son, on sent une odeur, on goûte une saveur, on touche un objet ou bien quand une pensée apparaît dans l’esprit. Quand, au moment du contact sensoriel, le sentiment de moi et de mien apparaît, la maladie est présente dans toute son ampleur et l’égocentrisme se réveille.

Cet égocentrisme devient rapidement égoïsme et mène la personne sur une voie erronée, la voie de la bassesse ; elle ne pensera plus qu’à elle-même et n’aura plus de considération pour les autres. À ce moment-là, la personne est complètement régie par l’avidité, l’aversion et l’ignorance de la réalité — et cette maladie va faire du mal à soi comme aux autres. C’est le plus grand danger au monde. Si le monde est si troublé et dans un tel chaos, c’est pour la simple raison que tout le monde est égoïste. Les gens se battent les uns contre les autres, non parce qu’ils le sou- haitent mais par compulsion, parce qu’ils n’ont aucun contrôle sur cette force qui les anime. Si le monde a absorbé le germe qui est la cause de la maladie, c’est parce que personne ne connaît ou n’applique ce qui peut résister à la maladie : le cœur des enseignements du Bouddha.


Le cœurdes enseignements du Bouddha

Si on demande à une assemblée : « Quel est le cœur des enseignements du Bouddha ? », on obtient toutes sortes de réponses contradictoires. Les gens répondent en fonction de ce qu’ils ont lu ou entendu, ou de ce qu’ils ont déduit par eux-mêmes. Certains diront : « Les Quatre Nobles Vérités », d’autres diront : « Les Trois Caractéristiques » (impermanence, souffrance et non-soi), et d’autres encore citeront ces paroles : « Ne pas faire de mal, ne faire que le bien et purifier l’esprit ».Tout cela est correct mais seulement partiellement correct parce que les gens récitent ces choses par cœur au lieu de les avoir sincèrement vérifiées par l’ex- périence personnelle.

Pour ce qui est du cœur des enseigne- ments, je voudrais suggérer cette simple phrase du Bouddha : « On ne doit s’atta- cher absolument à rien. » On peut lire, dans les Écritures, qu’un jour quelqu’un s’est approché du Bouddha et lui a demandé s’il pouvait résumer ses enseignements en une phrase. Le Bouddha a répondu : « On ne doit s’attacher absolument à rien. » Et puis il a insisté sur ce point en ajoutant que quiconque entendait ces mots essentiels entendait tous les enseignements, et que celui qui reçoit les fruits de cette pratique reçoit tous les fruits des enseignements du Bouddha.


Si une personne réalise pleinement la vérité de ces paroles, cela signifie qu’elle est libérée du germe qui cause la maladie de l’avidité, l’aversion et l’ignorance, lamaladie de toute action erronée, que ce soit par le corps, la parole ou l’esprit. Ainsi, à chaque fois qu’une forme, un son, une odeur, une saveur, un toucher ou un phénomène mental apparaît, l’anticorps « On ne doit s’attacher absolument à rien » résistera fermement à la maladie. Le germe ne pénètrera pas ou, si on lui permet d’entrer, ce ne sera que pour mieux l’anéantir. Le germe ne se répandra pas et ne causera pas de maladie car l’anticorps continuera à le détruire. Il y aura une immu- nité absolue et perpétuelle. Voilà le cœur des enseignements, de tout le Dhamma : on ne doit s’attacher absolument à rien. Vous avez maintenant compris le sens de l’expression « maladie spirituelle » et quel est le médecin qui la guérit. Mais ce n’est que quand nous constatons nous-mêmes que nous en sommes atteints que nous souhaitons sérieusement nous guérir et utiliser le remède qui convient. Avant

cela, nous nous contentons de jouir de la vie comme il nous plaît. C’est comme quelqu’un atteint de tuberculose ou d’un cancer qui ne ferait que chercher à s’amuser sans se préoccuper de trouver un traitement jusqu’à ce qu’il soit trop tard, et puis finirait par mourir de sa maladie.

Ne soyons pas aussi légers ! Suivons les instructions du Bouddha : « Ne soyez pas négligents. Soyez toujours pleinement attentifs. » Étant des personnes attentives, nous devons considérer la façon dont nous souffrons de la maladie spirituelle et exa- miner le germe qui en est la cause. Si vous le faites correctement et assidûment, vous ne manquerez pas de recevoir, dans cette vie, le meilleur de ce que peut recevoir un être humain. 


Extrait de Le Cœur du message du Bouddha (www.dhammadelaforet.org).

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)

 



Vénérable Ajahn Buddhdasa Bhikkhu (1906 - 1993) est un moine bouddhique thaïlandais. De la tradition theravada, il fut le fondateur du monastère Suan Mokkh, le Jardin de la Libération,

à Surat Thani en Thaïlande.

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