Par Sumedha
Traduit de l’anglais par Fred Le Van
La force de la tendresse m’a toujours étonnée… en méditation et dans la vie courante.
Si je pense depuis longtemps à la méditation comme à une pratique à laquelle s’adonner, je l’expérimente aujourd’hui davantage comme une immersion dans l’être – quelle chose naturelle que de s’asseoir et d’apprendre à fredonner ! C’est comme prendre le chemin de sa maison (même si parfois il y a des rochers en travers, et de l’obscurité). C’est comme apprendre à écouter. Avec sincérité et disponibilité ; laisser s’approfondir l’aspiration à écouter et s’enraciner dans des strates de l’être dont on n’a pas idée quand nous sommes dans nos fonctionnements habituels. Et voir ce qui émerge à la vie.
Et j’apprécie le fait que le Bouddha ait pris soin d'indiquer comment aller plus profondément. J’aime le premier enseignement de la pleine conscience – le corps, le corps, le corps ! Notre corps nous montre tant de choses qu’ignore notre mental. Le rythme naturel et constant de la respiration. Notre interconnexion – nous ne sommes pas si isolés. Notre impermanence. La vulnérabilité et le potentiel qui découlent de l’impermanence.
J’ai l’impression que mon cœur-esprit s’initie, et apprend, à partir du corps et de ses rythmes, sa constance, ses connexions, sa force et ses mémoires enfouies, sa vulnérabilité ; mon esprit reconnaît tout cela afin de se stabiliser et de rester présent dans la tendresse. Rester connecté et autant que possible conscient.
Être tendrement conscient de ces choses qui ont tendance sinon à nous faire nous refermer – la maladie, la perte, la mort.
Le Bouddha était d’une absolue pertinence quand il faisait remarquer que toutes ces choses font partie de la vie et que nous fuyons sans fin à le nier. La Covid, à de multiples niveaux, a interrompu ce déni.
Certes, ici à Ekuthuleni nous sommes privilégiés – dans la nature, avec de l’espace et les moyens de vivre simplement et sans contraintes. Pour autant, dans ma propre vie (comme tout un chacun) je connais la perte, et je n’ai jamais été aussi en contact avec elle que ces trois dernières années.
La perte, la maladie et la mort font partie de la vie ; pourtant, quand elles se présentent, souvent, au début, elles nous dévastent. Selon mon expérience, ce n’est pas doux – cela m’a assurément dévastée d’une façon pas douce du tout.
J’ai essayé de dégager de l’espace pour accueillir la peine, suite à la perte d’êtres chers. J’ai essayé d’être sage. Et lentement j’ai compris qu’il me fallait juste cesser d’élaborer des stratégies. Rester connectée à l’expérience de la peine, de la perte, de l’émerveillement, de la peur, de la joie – tout le manège – semble pour moi la seule manière d’avancer. Sentir les vagues de déconnexion, de démission, d’incompréhension. Les silences. Les rencontres – avec d’autres qui eux aussi connaissent la perte. Là même, rester auprès de ce qui s’ouvre et qui est engendré par la perte. Quelque part en soi, une étincelle de compréhension quant à notre capacité commune à la perte ouvre notre cœur à l’amour, à la créativité, à de nouvelles manières d’exprimer sa bienveillance. Pour soi, pour l’autre en réciprocité, pour la Terre.
Je ressens profondément que notre vulnérabilité, notre interconnexion et notre capacité à perdre et à être perdu peuvent être aussi bien une voie d’accès à notre tendresse et à notre vivacité, à notre désir de prendre soin de chacun et de cette Terre.
« Si tu erres solitaire dans les espaces sauvages, écoute la voix qui te répond… »
Matty Weingast (Ubbiri dans « The First Free Women »)
Ceci a été compris par beaucoup de gens et de nombreuses façons, cependant il semble que chacun doive faire son propre chemin sur ces questions. Prendrons-nous le temps d’écouter et d’honorer la perte qu’implique la vie dans son impermanence ? Et ainsi d’honorer la force de notre écoute et de notre présence ? De découvrir, depuis notre tendresse et notre sentiment d’appartenance à la Terre, ce que nous voulons atteindre dans le souci de soi, des autres et de la Terre ? De reconnaître quand nous nous fermons et, doucement, fermement, de trouver comment revenir à l’ouverture et à la main tendue ?
Alors que j’écris ce texte, je tombe sur une citation d’Elizabeth Kübler-Ross :
« Les êtres les plus magnifiques que nous avons connus sont ceux qui ont connu la défaite, la souffrance, la lutte, la perte, et ont trouvé leur voie pour s’extraire de ces profondeurs. Ces personnes disposent d’une faculté de gratitude, d’une sensibilité et d’une compréhension de la vie qui les remplissent de compassion, de douceur et d’une intention d’amour profond. Les belles personnes ne viennent pas de nulle part. »
Ainsi cela demande du courage – de nous confronter doucement à nous-mêmes et aux autres, de rencontrer notre impermanence et d’y mettre… du cœur ! Non pas pour devenir un héros – pas pour en faire un Noble Chemin et sur-idéaliser la démarche… et non pour ambitionner d’être une belle personne.
Mais peut-être abandonner un moment les stratégies et laisser la vie infuser en soi, en nous. Trouver une réponse dans le monde qui se présente à partir d’une telle écoute.
Il me semble important d’honorer la perte – et la tendresse que cela peut faire éclore – à travers nos différences d’expérience, de situations de vie, de contexte plus ou moins privilégié. Parfois, le soin dont je parle consiste à surpasser la discrimination ou l’aveuglement des autres à notre propre expérience ; parfois il s’agit d’ouvrir nos esprits et nos cœurs à l’expérience d’autrui… Que ce soit à propos d’identité, d’appartenance, de métier, de sentiment amoureux, les occasions de perte sont nombreuses et complexes mais nous pouvons écouter et choisir de nous y relier d’une façon qui ne soit pas blessante et qui honore nos existences diverses. Ainsi que le disait Ram Das : « Nous nous raccompagnons tous les uns chez les autres » – et cela sollicite la force et la douceur de notre cœur, notre écoute et nos réponses, notre travail et notre repos.
Aussi difficile que cela paraisse, il est possible de se comprendre et de se soutenir les uns, les autres, et la Terre avec nous. En restant focalisés sur la tendresse, l’écoute et le soin.
Je ne dis rien de bien nouveau ici, mais peut-être m’encouragé-je simplement, ainsi que chacun de nous, à ne pas perdre de vue notre tendresse.
Particulièrement en ces temps d’isolement vis-à-vis de l’extérieur et alors que le sentiment (et la réalité) de la perte est fort, entraînant un réflexe aussi intense de fermeture, il semble important de prendre conscience que ce n’est pas la seule option. Nous pouvons tendre la main aux autres et à nous-mêmes de nombreuses façons – et découvrir que la force de notre tendresse ouvre un chemin.
En savoir plus sur les activités d’Ekuthuleni : https://ekuthuleni.wixsite.com/retreats/accueil
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°18 ( Eté 2021 )
Une rencontre précoce avec la tradition d’Ajahn Chah a amené Sumedha à être ordonnée nonne avant ses trente ans, au monastère bouddhiste d’Amaravati (Royaume-Uni), où elle resta douze ans. Devenue laïque, son chemin l’a ensuite amenée à co-créer un lieu pour la méditation en connexion avec la nature : Ekuthuleni, situé au pied des Pyrénées françaises.