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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

La Butsu Zen zone

Les fondus du zen à la japan Expo


Par Philippe Judenne et la Butsu Zen Zone

Photos : Butsu Zen Zone



La France est le deuxième plus gros consommateur de mangas dans le monde devant les États-Unis et derrière le Japon. La culture manga a tellement imprégné le public de l’Hexagone qu’une nouvelle génération de bandes dessinées françaises, se réclamant littéralement des mangas, est apparue. Tous les codes du manga y sont repris, tant dans leurs styles graphiques que dans leurs scénarios. Cet engouement croissant a même décidé les éditeurs japonais à publier simultanément des mangas en japonais et en français. 


Née en France en 1999, la Japan Expo parisienne est l’une des conventions les plus anciennes et les plus populaires du milieu. Chaque année, au début du mois de juillet, durant quatre jours, elle rassemble des centaines d’exposants français et japonais, éditeurs de mangas, de dessins animés ou de jeux vidéo, maisons de disques, créateurs de mode, vendeurs de goodies, de gadgets, de jouets, de vêtements, de nourriture et aussi de nombreuses associations culturelles. En 2018, la « JapEx » a totalisé environ 240 000 visiteurs.  

Les organisateurs de l’événement parlent depuis quelques années d’un rendez-vous à ne pas manquer : celui de la BZZ, la Butsu Zen Zone, un stand de l’expo consacré à la découverte de la méditation zen. 

Nous rencontrons Christian Gaudin et Geneviève Gauckler, au départ de cette aventure improbable et passionnante. Ces deux pratiquants de longue date du zen Sôtô, profondément humains et hilarants, font se rencontrer des univers comiques, graphiques et illustratifs d’une effervescence vivifiante. De cette ébullition permanente jaillit un sens de la répartie et de l’image qui « taille » une situation en quelques mots ou quelques images. 

 

Comment est née l’idée de la Butsu Zen Zone ? 

 

Christian Gaudin : J’avais découvert le manga dans les années 1980 comme éditeur de BD aux Humanoïdes Associés. Quinze ans plus tard, j’ai eu la chance d’être publié au Japon et de tomber amoureux de ce pays, de sa culture et de ses habitants. Entre-temps le phénomène « japan pop », cette culture générationnelle centrée sur le « Cool Japan », dessins animés, mangas, jeux vidéo, j-music et mode, avait pris dans la jeunesse une allure de tsunami mondial à l’instar de la pop culture anglo-américaine des années 1970. 

La création de la Japan Expo s’est faite par et pour des passionnés ignorés des grands médias, dans un esprit communautaire générationnel qui s’appuie toujours sur le bénévolat et le partage. Cela perdure encore. Il y règne une atmosphère étonnante, très différente des festivals de bande dessinée car, malgré l’affluence, il n’y pas de stress ni d’agressivité. C’est la même foule tranquille et bon enfant des grandes villes japonaises, comme si certaines valeurs de cette culture s’exprimaient déjà inconsciemment dans le comportement grégaire de ces fans européens nourris de culture nippone. 

Au printemps 2008, alors que je revenais d’une retraite de méditation, a surgi du tréfonds de ma non-pensée l’intuition qu’il y avait là une opportunité pour présenter notre pratique à cette génération. Encouragé par Roland Rech, j’ai vite contacté l’organisation de la fameuse expo. Lorsque j’ai proposé à ces jeunes organisateurs qui utilisent le terme « zen » pour leur billetterie de montrer à la JapEx ce qu’est le « Vrai Zen », cœur de l’âme japonaise, l’accord fut enthousiaste.  




Des illustrations contemporaines et drôles permettent de dédramatiser l’image du zen qui peut être perçue comme rigide, aride voir inaccessible.

 

Il y a une veine comique et graphique très marquée sur le stand de la BZZ. Pourquoi ? 

Christian Gaudin : La première expo, en 2008, montée en trois semaines, a été déterminante. Geneviève, qui avait acheté une imprimante A3, était aux manettes graphiques et nous avons rapidement créé pour notre « Butsu Zen Zone » une soixantaine de posters sur la pratique : textes, dessins, gags, schémas, photos de dojos, de temples et images des grands maîtres historiques. Geneviève, qui a toujours aimé faire du photo-montage, a introduit illico le côté parodique qui a donné les visuels de maître Yoda, Dark Vador et autres héros de la jeunesse en posture de méditation. L’idée était de couvrir le mur du stand avec des affiches. Nous n’avions aucun budget pour la déco et la seule chose que nous pouvions faire était de voir ce qui pouvait sortir de notre esprit et l’imprimer. 

Maintenant encore, quand les festivaliers passent devant ces affiches colorées et amusantes, leur premier contact avec le zen se fait dans le sourire et l’humour. L'humour est extrêmement rassurant et éloigne toutes les inquiétudes liées à un phénomène sectaire. Des illustrations contemporaines et drôles permettent de dédramatiser l’image du zen qui peut être perçue comme rigide, aride voir inaccessible. Les affiches éveillent la curiosité des visiteurs qui s’arrêtent, s’interrogent et rient volontiers. Il devient alors plus facile de les inviter à seulement s’asseoir sur les zafus (coussins de méditation) et les aider à toucher leur esprit. La zen zone forme une bulle de calme étonnante dans l’ambiance générale qui intrigue fortement le public. 



Vous respectez complètement l’esprit de la JapEx puisque vous êtes vous-même Costume Player (déguisé en véritable personnage de l’univers manga ou film) avec votre identité de maître Banane. D’où vient cette idée ? 

Christian Gaudin : L’idée de « maître Banane » est venue d’un cadeau de mon fils, une boîte bento-range-banane que les Japonais utilisent pour transporter le fruit sans l’abîmer. Je me suis donc mis à porter ce récipient en forme de banane à pas mal d’occasions. Cela a été un véritable catalyseur de rencontres au Japon où les codes vestimentaires sont très respectés. Vous pouvez vous promener totalement nu dans le SPA international d’une grande ville sans susciter le moindre commentaire mais sortir en tenue classique avec une banane autour du cou provoque beaucoup plus de réactions. J’ai beaucoup ri. 

À la première Japan Expo en 2008, un journaliste est venu sur le stand où j’accueillais les gens en tenue zen avec mon kolomo et mon rakusu traditionnels. Il rigolait en examinant cette boîte bento autour de mon cou qui ressemblait à une banane. Il s’est mis à m’appeler Maître Banane. C’était soudain. Je devenais maître Banane dans l’instant, comme dans la soudaineté de la posture de zazen. Maître Banane est devenu mon nom de scène et de conférencier, c’est resté depuis. 

Pour moi, l’humour est le marqueur, le révélateur de la liberté que l’on peut garder à l’intérieur de la pratique du zen. Être iconoclaste envers ses propres maîtres est un exercice transgressif — que ma culture personnelle de l’esprit Charlie Hebdo et Freaks Brothers m’a aidé à traverser. Mais il faut voir aussi que cet humour est très présent dans la culture zen. Le livre The Laughing Buddha : Zen and the Comic Spirit décrit la vie de maîtres bouddhistes drôles et iconoclastes du Chan chinois, bien loin de l’imaginaire indien et romanesque où l’image du Bouddha est vue comme un super héros de Bollywood. Et j’ai pour référence centrale cet enseignement que donne le bouddha en faisant tourner une rose dans sa main. Un seul disciple comprend la question du Bouddha, c’est Mahakashyapa, qui sourit alors en guise de réponse. Ce sourire comme point de départ, c’est formidable, non ? 

 

La Japan Expo est-elle le lieu adéquat pour montrer le zen ? 


Christian Gaudin : Maître Taisen Deshimaru se rendait parfois dans des comices agricoles, des lieux a priori très éloignés du zen où paysans et notables parlaient ensemble de différentes choses. Étaient-ils plus adéquats que la Japan Expo ? Malgré le bruit et la foule, l’Expo offre un cadre favorable. Des milliers de jeunes personnes défilent chaque jour devant notre stand. Très curieux de tout ce qui touche au Japon, ils sont vraiment réceptifs à la pratique de zazen. Ce sont de jeunes gens passionnés par des mondes imaginaires, certes, mais aussi en quête de sens. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’adultes, les valeurs présentes dans les mangas sont souvent de belles valeurs d’effort, d’apprentissage, de camaraderie, de compassion et beaucoup font appel à la dimension généreuse du bodhisattva ou à la relation maître-disciple. Il y a un écho avec leurs univers. Par ailleurs, même si on emploie des termes spécifiques pour expliquer shikantaza — seulement s’asseoir —, le message transmis est surtout adressé au corps, à ce qui leur permet de prendre conscience de leur dimension intérieure malgré le bruit ambiant. C’est fou comme les jeunes et surtout les étudiants peuvent être remplis d’émotions et de stress. Ils ont vraiment besoin d’apprendre à se poser. Ainsi les participants ne reçoivent pas seulement quelques conseils théoriques mais repartent souvent touchés au plus profond d’eux-mêmes. Une bulle de calme s’établissait sur la zen zone, ce qui intriguait fortement le public tout autour. 

 

Quelles sont les situations de la vie où l’humour se trouve le plus ? 

Geneviève Gauckler : Pendant une retraite de pratique, chacun expérimente l’organisation collective et y participe. Chaque chose est bien cadrée, à sa place, organisée. Il suffit qu’un truc, même très petit, ne soit pas au bon endroit ou légèrement bizarre pour cela devienne une source de comique. Et comme il y a toujours des petites choses qui coincent en permanence, c’est fabuleux et le terrain de jeu devient extraordinaire. Je crois qu’on peut expérimenter cela dans toutes les situations. 

 

Christian Gaudin : Il y a toujours une espèce d’humour plus ou moins sous-jacente dans les enseignements du zen et les manières d’être. L’humour c’est souvent prendre quelque chose et le retourner à l’envers comme une chaussette — et c’est ça qui fait rire. Je l’ai toujours trouvé très présent dans ce que je vivais et dans les dojos. L’autodérision est essentielle, c’est un des secrets pour bien vieillir et bien mourir. Si tu arrives à trouver la force et la manière de rire des aléas de la vie, c’est beaucoup plus léger même si parfois cultiver l’humour à tout crin masque une terrible faille. Personnellement, j’ai juste vu la faille avec le grand truc noir au fond. Maintenant, je sais de quoi il s’agit et je fais avec. La joie fait que, même s’il pleut, on est content de se voir, on discute, on rit et on rit encore. 

 

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Pour contacter les animateurs de la Butsu Zen Zone : 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°10 (Eté 2019)

 


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