top of page
loading-gif.gif
Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

L'impermanence, c'est maintenant


©Eric Cook

Grâce à l’impermanence, tout est possible.


Il y a des tortues qui vivent jusqu’à trois ou quatre cents ans, et des séquoias qui vivent plus d’un millier d’années. Notre propre durée de vie est d’environ cent ans au maximum. Comment vivons-nous ces années ? Que faisons-nous de nos journées ? Qu’est-ce que nous devons réaliser ou accomplir durant notre passage sur terre ?

À la fin, nous pouvons regarder en arrière et nous interroger : « Qu’ai-je fait de ma vie ? » Le temps passe si vite. La mort vient à l’improviste. Comment pouvons-nous marchander avec elle ? Si on attend demain, ce peut être trop tard. Nous voulons tous vivre notre vie profondément, de façon à ne pas gaspiller notre vie et à ne pas avoir de regrets au moment de la mort.

Lorsque nous sommes pleinement établis dans le moment présent, nous savons que nous sommes vivants et que c’est un miracle d’être vivant. Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore là. Maintenant est le seul moment où nous pouvons être en vie, et nous avons ce temps !


Nous devons faire du moment présent le plus merveilleux moment de notre vie.


Contempler l’impermanence nous aide à toucher la liberté et le bonheur dans le moment présent. Cela nous aide à voir la réalité telle qu’elle est, pour que nous puissions accueillir le changement, faire face à nos peurs et apprécier ce que nous avons. Lorsque nous pouvons voir la nature impermanente d’une fleur, d’un galet, de la personne que nous aimons, de notre propre corps, de notre douleur et de notre chagrin, et de toute situation, nous pouvons faire une percée dans le cœur de la réalité.

L’impermanence est quelque chose de merveilleux. Si les choses n’étaient pas impermanentes, la vie ne serait pas possible, Une graine ne deviendrait jamais un pied de maïs, l’enfant ne deviendrait pas un jeune adulte, il ne pourrait y avoir ni guérison ni transformation, et nous ne pourrions jamais réaliser nos rêves. Donc, l’impermanence est très importante pour la vie. Grâce à l’impermanence, tout est possible.



ON VERRA, ON VERRA

©Eric Cook

C’est une vieille histoire chinoise. M. Ly était un paysan dont l’activité reposait sur son cheval. Un jour, son cheval s’enfuit et tous ses voisins le prirent en pitié. « Quelle malchance tu as ! Quelle infortune ! » Mais M. Ly n’était pas inquiet. « On verra, dit-il, on verra. »

Quelques jours plus tard, son cheval revint, accompagné de plusieurs chevaux sauvages. M. Ly et sa famille étaient devenus riches. « Quelle chance ! » s’exclamèrent les voisins. « On verra, répliqua M. Ly, on verra. » Or, un jour que son fils était en train de dresser l’un des chevaux sauvages, il fit une chute et se cassa la jambe. « Quelle infortune ! » déclarèrent les voisins de nouveau. « On verra, dit M. Ly, on verra. »

Quelques semaines plus tard, l’armée impériale passa par le village pour enrôler tous les jeunes hommes valides. Le fils de M. Ly, qui souffrait toujours de sa fracture de la jambe, ne fut pas conscrit. « Quelle chance tu as ! » dirent les voisins. « On verra, répondit M. Ly, on verra. »

L’impermanence est tout autant capable d’apporter du bonheur que de la souffrance. L’impermanence, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. En raison de l’impermanence, les régimes despotiques sont sujets à l’effondrement. Grâce à l’impermanence, les maladies peuvent guérir. Grâce à l’impermanence, nous pouvons apprécier les merveilles des quatre saisons. Grâce à l’impermanence, tout peut changer et se transformer dans une direction plus positive.

Il y a eu des moments durant la guerre du Vietnam où il semblait que la violence n’aurait jamais de fin. Nos équipes de Jeunes Assistants sociaux travaillaient sans relâche pour aider à reconstruire des villages qui avaient été détruits par les bombes. Tant de gens avaient perdu leur maison. Il y avait un village près de la zone démilitarisée que nous avons reconstruit non pas une fois ni deux, mais même trois fois après des bombardements répétés. Les jeunes venaient me demander : « Faut-il reconstruire ? Ou devons-nous abandonner ? » Par chance, nous avons eu la sagesse de ne pas abandonner. Abandonner aurait signifié laisser tomber l’espoir.

Je me souviens qu’une fois un groupe de jeunes est venu me voir pour demander : « Cher Maître, pensez-vous que la guerre va finir bientôt ? » À ce moment, je ne voyais aucun signe d’une fin proche de la guerre. Mais je ne voulais surtout pas que nous nous noyions dans le désespoir. Je suis resté silencieux un moment. Puis j’ai dit : « Chers amis, le Bouddha a dit que tout est impermanent. La guerre doit finir un jour. » La question, c’est que pouvons-nous faire pour accélérer l’impermanence ? Il y a toujours des choses que nous pouvons faire chaque jour pour aider à changer la situation.



LE POUVOIR DE LA VISION PROFONDE


Nous pouvons accepter la vérité de l’impermanence, mais continuer à nous comporter comme si tout était permanent, et c’est là que réside le problème. Cette attitude nous empêche de saisir l’occasion qui se présente à nous de changer une situation, d’apporter le bonheur à nous-mêmes et aux autres. Avec la vision profonde de l’impermanence, vous n’attendez pas, vous agissez. Vous faites tout ce que vous pouvez pour faire la différence, pour rendre heureuse la personne que vous aimez et pour vivre la vie que vous souhaitez mener.


Le Bouddha nous a offert la contemplation de l’impermanence non pas pour que nous la gardions précieusement comme une notion, mais pour que nous ayons la vision profonde de l’impermanence et que nous l’appliquions à notre vie quotidienne. Il y a une différence entre une notion et une vision profonde.

Disons que nous craquons une allumette pour obtenir une flamme. Dès que la flamme se manifeste, elle commence à consumer l’allumette. La notion d’impermanence est comme l’allumette et la vision de l’impermanence comme la flamme. Lorsque la flamme se manifeste, elle consume l’allumette, dont nous n’avons plus besoin. Ce dont nous avons besoin, c’est de la flamme, pas de l’allumette. Nous utilisons la notion d’impermanence pour obtenir la vision profonde de l’impermanence.


Nous pouvons faire de la vision profonde de l’impermanence une sagesse vivante qui nous accompagne à chaque moment.


La vision profonde de l’impermanence a le pouvoir de nous libérer. Supposons que quelqu’un que vous aimez vienne de dire quelque chose qui vous a mis en colère, et que vous vouliez le punir en lui renvoyant des paroles méchantes. Il a osé vous faire souffrir, et vous voulez lui répondre et le faire souffrir à son tour. Vous allez commencer une dispute. Mais vous vous souvenez de fermer les yeux et de contempler l’impermanence. Vous imaginez votre bien-aimé dans trois cents ans. Il ne restera rien de lui, que des cendres. Il ne faudra pas trois cents ans, peut-être trente ou quarante ans, pour que vous soyez tous les deux réduits en cendres. Vous réalisez soudain comme c’est ridicule d’être en colère et de se disputer. La vie est si précieuse. Cela ne prend que quelques secondes de concentration pour reconnaître et toucher votre nature d’impermanence. La vision profonde de l’impermanence détruit toute colère. Et, lorsque vous rouvrez les yeux, vous n’avez plus du tout envie de vous disputer. Vous voulez juste prendre l’autre personne dans vos bras. Votre colère s’est transformée en amour.



VIVRE À LA LUMIÈRE DE L’IMPERMANENCE


Beaucoup de gens que j’ai aimés, des membres de ma famille et des amis proches, sont déjà décédés. Que je puisse encore respirer est un miracle, et je sais que je respire pour eux. Chaque matin au réveil, je fais des étirements et quelques exercices de gymnastique douce, qui m’apportent beaucoup de bonheur.


Je ne fais pas des exercices pour être mince ou en bonne santé ; je les fais pour goûter le plaisir d’être vivant.


Le bonheur et la joie de pratiquer des mouvements en pleine conscience nourrissent mon corps et mon esprit. À chaque mouvement que je fais, je sens comme c’est merveilleux que je puisse toujours le faire. En faisant des exercices comme cela, j’apprécie d’avoir un corps et je ressens une grande gratitude. Même en vieillissant, avec des problèmes de santé et des douleurs qui s’installent, nous pouvons encore profiter des moments où la douleur n’est pas trop forte. Si vous pouvez toujours respirer, il est possible d’apprécier la respiration. Si vous pouvez toujours marcher, il est possible d’apprécier la marche. Si vous pouvez entrer en contact avec les éléments de paix et de fraîcheur en vous et autour de vous, votre corps et votre esprit en bénéficient tous les deux et cela vous aide à accueillir les difficultés et les douleurs dans votre corps.

Peut-être avons-nous peur de mourir, nous avons du mal à imaginer que nous allons vieillir. Nous ne pouvons pas croire qu’un jour nous ne pourrons plus marcher, ni nous tenir debout. Si nous avons de la chance, un jour nous serons assez vieux pour être en fauteuil roulant. En contemplant cela, nous apprécions chaque pas, sachant que, à l’avenir, cela ne sera pas comme c’est maintenant. Reconnaître l’impermanence nous permet d’apprécier réellement les jours et les heures qui nous sont donnés. Cela nous aide à apprécier notre corps, nos bien-aimés et toutes les conditions de bonheur que nous avons en ce moment. Nous pouvons être en paix, sachant que nous vivons pleinement notre vie.



RESPIRE - TU ES VIVANT


J’apprécie les jours et les heures

que j’ai à vivre.

Ils sont si précieux.

Je fais le vœu de ne pas

gaspiller un seul instant.


La pratique consiste à ne pas gaspiller un seul instant. Que je sois en train de marcher ou de travailler, en train d’enseigner ou de lire, de boire le thé ou de partager un repas avec ma communauté, je goûte profondément chaque moment. J’ai vécu chaque respiration, chaque pas, chaque action en profondeur. Où que j’aille, je combine ces mots avec chaque pas. En inspirant, je dis « respirant des respirations légendaires » et, en expirant, je dis « vivant des moments légendaires, des moments merveilleux ». Le bonheur est là à chaque pas, et je sais que, demain, je n’aurai pas de regrets.


Respirer est une forme de célébration.

Nous célébrons le fait d’être en vie,

encore en vie.


©Braedon Mcleod

FAIRE FACE À NOS PEURS SILENCIEUSES


Souvent, la joie de savoir que nous sommes toujours en vie contient en elle une peur enfouie que nous ne voulons pas regarder en face : notre peur de mourir. Bien que nous ne voulions pas l’admettre, ni y penser, tout au fond de notre cour, nous savons qu’un jour nous devrons mourir. Le jour viendra où nous serons sans vie, notre corps se raidira. Nous ne serons plus capables de respirer, nous ne serons plus capables de penser, nous n’aurons plus d’émotions ni de sentiments et notre corps commencera à se décomposer. Il se peut que nous soyons mal à l’aise chaque fois que nous pensons à la mort. Nous pouvons avoir tendance à éloigner ces pensées de nous.

Nous sommes peut-être dans le déni. Cette peur peut nous hanter silencieusement, guidant nos pensées, nos paroles et nos actions à notre insu.

Installer dans notre vie quotidienne la conscience que notre corps physique n’est qu’une petite partie de ce que nous sommes peut nous aider à transformer cette peur de mourir, qui est profondément ancrée dans l’inconscient. Nous pouvons voir les multiples façons dont nous nous continuons. Nous ne devrions pas être dans le déni concernant l’impermanence de ce corps physique. Garder cette conscience vivante dans notre vie quotidienne peut nous aider à voir clairement comment faire bon usage du temps qu’il nous reste encore. Le Bouddha a enseigné les cinq remémorations, une contemplation à réciter chaque jour, comme un exercice pour apaiser notre peur de mourir et nous rappeler à quel point la vie est précieuse.



PRATIQUE : LES CINQ REMÉMORATIONS


Vous pouvez prendre un temps pour lire ces lignes très lentement, en faisant une pause pour suivre votre respiration et vous détendre après chacune des remémorations.


- Il est dans ma nature de vieillir.

Je ne peux échapper à la vieillesse.


- Il est dans ma nature de tomber malade.

Je ne peux échapper à la maladie.


- Il est dans ma nature de mourir.

Je ne peux échapper à la mort.


- Tout ce qui m’est cher et tous ceux que j’aime aujourd’hui sont par nature changeants. Je ne peux éviter d’en être un jour séparé.


- Mes actions sont la seule chose que je possède vraiment.

Je ne peux échapper aux conséquences de mes actions.

Elles sont la base sur laquelle je me tiens.



Pour voir la dimension ultime de la réalité, nous devons regarder profondément la dimension historique, la dimension dans laquelle nous vivons. Les cinq remémorations nous aident à comprendre la « vérité relative » de la mort : notre corps passe effectivement par la vieillesse, la maladie et la mort. Mais nous avons aussi notre corps cosmique, et il est très important de s’en rappeler. Et, plus nous regardons avec la vision profonde de l’absence de signe, plus nous voyons que le mot « transformation » est bien plus approprié que « mort ». Lorsque nous contemplons l’impermanence et le « non-soi » à travers la quatrième remémoration, nous commençons à toucher le niveau plus profond de la réalité, la « vérité ultime » au-delà des signes. Si la mort semble nous séparer de ceux que nous aimons, le regard profond nous permet de voir qu’ils continuent d’être avec nous sous de nouvelles formes. Avec la cinquième remémoration, nous nous rappelons que nos actions nous continuent dans le futur et, ce faisant, nous touchons notre vraie nature de non-naissance et non-mort, sans venir et sans partir, ni identique ni différent. En récitant régulièrement les cinq remémorations, nous appliquons progressivement à notre vie quotidienne les visions profondes du vide, de l’absence de signe, de la non-poursuite et de l’impermanence.



VISION PROFONDE APPLIQUÉE


Antoine Laurent Lavoisier, scientifique français, père de la chimie moderne, a déclaré : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. » Je me demande parfois si Lavoisier était capable de vivre sa vie quotidienne en fonction de cette vérité. Lavoisier a vécu à l’époque de la Révolution française, et il a fini guillotiné à l’âge de 50 ans. Il avait une femme merveilleuse qui l’aimait beaucoup et qui était également une femme de science. Mais je me demande si Lavoisier, qui avait cette vision profonde que rien ne peut être détruit, avait peur de mourir le jour où il a monté les marches menant à la guillotine ?

La vision profonde et les découvertes que Lavoisier a faites de son vivant sont toujours d’actualité. Donc, Lavoisier n’est pas mort. Sa sagesse est toujours là. Lavoisier se poursuit sous de nouvelles formes. Lorsque nous disons que rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme, cela s’applique également à notre corps, nos sensations, nos perceptions, nos formations mentales et notre conscience.





Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°23 (Automne 2022)

Extrait de L’art de vivre paru aux Éditions Le Courrier du Livre

 

©PVCEB

Thich Nhât Hanh est le nom sous lequel est connu le maître zen vietnamien dans le monde entier, comme écrivain, enseignant, poète et militant pour la paix. Le 22 janvier 2022, Thich Nhât Hanh est décédé paisiblement au temple Tu Hieu à Hué, au Vietnam, à l’âge de 95 ans. Au cours d’une carrière extraordinaire d’enseignant qui s’étend sur plus de soixante-dix ans, Thich Nhât Hanh a contribué à transformer le bouddhisme en une pratique vivante qui peut continuer à se renouveler au xxie siècle.

bottom of page