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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

L’entrée dans le courant

Une retraite longue de 39 mois



La congrégation monastique de Dhagpo Kundreul Ling, située en Auvergne, a fêté le 15 août 2019 la sortie des retraites de 3 ans, 3 mois et 3 jours. À cette occasion, plusieurs centaines de personnes se sont rendues dans ce lieu reculé des Combrailles pour assister aux rituels qui ont ponctué cet événement exceptionnel.


À quelques jours de la sortie de retraite, la congrégation monastique est fébrile et bruisse des préparatifs des cérémonies destinées à accueillir le retour de ces femmes et de ces hommes qui terminent de vivre une expérience exceptionnelle : vivre retranchés dans des centres de retraite fermés afin de pratiquer intensément la méditation et l’étude des enseignements du Bouddha. Coupés des moyens de communication modernes, ils achèvent une retraite longue de 39 mois. Les centres où ils vivent et pratiquent, les droupkang, sont des bâtiments de taille respectable pouvant accueillir dans des chambres individuelles une dizaine de personnes. Au nombre de dix, ces bâtiments sont répartis autour du monastère des hommes au Bost, alors que ceux réservés aux femmes sont accolés à leur monastère à Laussedat, quelques kilomètres plus loin.


Cette congrégation monastique a été fondée en 1984 par lama Guendune Rinpoché, un yogi et maître spirituel pleinement réalisé que le XVIe Karmapa Rangjoung Rigpé Dordjé a choisi pour diffuser le Dharma en Occident, ainsi que préserver la tradition monastique. C’est le 10e cycle de retraite qui s’achève là. Ainsi, à l’heure où l’immédiateté règne en maître, cette communauté spirituelle perpétue la tradition des longues retraites telles qu’elles étaient pratiquées au Tibet. Les enseignements et les instructions de pratique sont donnés par des droupen, des enseignants et guides de retraite qualifiés, qui se rendent dans les centres presque quotidiennement. Le programme des journées des retraitants alterne entre la méditation individuelle dans leurs chambres et des sessions de rituels collectifs dans les petits temples de chaque centre. Les retraitants prennent leurs repas en commun et les tâches collectives sont réparties à tour de rôle. Le seul contact avec l’extérieur est le courrier qui leur est distribué deux fois par semaine. C’est donc une vie d’ascèse

dédiée à la pratique et à l’introspection que mènent ces pratiquants. Ainsi, au fur et à mesure des mois et des années passés derrière les hauts murs de leurs centres fermés, ils développent des qualités en suivant la voie tracée par le Bouddha.

Après ces longues années d’un quotidien rythmé par les sessions de méditation, la sortie est un événement attendu tout autant qu’appréhendé. Du côté des familles et amis de celles et ceux ayant fait ce choix de pratique intensive, l’attente a été longue. Alors ils viennent nombreux, en ce 15 août, assister à la sortie d’un fils ou d’une fille, d’une sœur, d’un frère, d’une amie, voire d’un époux. Le monastère d’ordinaire si paisible situé face à la chaîne des Puys est soudainement le point de convergence de personnes de tous horizons : des différentes régions françaises, de plusieurs pays d’Europe ou d’Asie aussi puisque les retraitants sont de nationalités multiples et variées. La fébrilité de l’assistance est perceptible lorsque la porte est enfin déverrouillée et que les retraitants apparaissent au grand jour. Au son des gyaling, instruments de musique de rituels, ils sortent en file indienne en direction du stoupa tout proche où ils effectuent alors des prières de dédicaces des mérites accumulés par toutes ces années de pratiques. Le groupe en robes monastiques pourpres reste soudé, concentré sous l’œil ému de la foule. Il leur faut ensuite rejoindre le petit temple du monastère afin de réitérer la dédicace lors de l’offrande du mandala. À nouveau, ils élaborent une pyramide de riz safrané à l’aide de petits cerveaux d’étain puis la déposent devant la statue de Bouddha. C’est avec beaucoup de ferveur qu’ils récitent les prières de souhaits qui accompagnent leur offrande rituelle. Lorsque celle-ci s’achève, quelques secondes de silence s’étirent infiniment : la retraite est maintenant officiellement terminée.



C’est alors l’heure des retrouvailles et des embrassades avec les proches qui attendent dehors. Les effusions de joie ne sont que de courte durée car le programme de la matinée n’est pas achevé. Hommes et femmes sortant de retraite, la communauté monastique dans son ensemble, les pratiquants bouddhistes qui lui sont reliés ainsi que les familles et les amis des retraitants se rassemblent dans le grand temple rouge, blanc et or du Bost pour une cérémonie solennelle. Celle-ci s’effectue en présence de lama Jigmé Rinpoché, le directeur spirituel de cette congrégation religieuse. Dans le temple de style tibétain, les retraitants réunis sont assis au centre face à une imposante statue de Bouddha devant laquelle ils effectuent à nouveau l’offrande du mandala. Puis ils vont offrir aux maîtres présents en cette occasion exceptionnelle une kata, l’écharpe traditionnelle de satin blanc brodée de signes auspicieux, afin de recevoir leur bénédiction. À leur suite, c’est toute l’assemblée qui reçoit individuellement la bénédiction et bientôt, des centaines de personnes arborent autour du cou ces belles écharpes satinées.


À la fin de la cérémonie, la foule prend le chemin des centres de retraite. Ces lieux habituellement fermés ouvrent en effet grandes leurs portes en ce jour de réjouissances. Les retraitants ont préparé de grandes quantités de nourriture destinées aux visiteurs et chacun passe d’un bâtiment à l’autre ou pique-nique sur l’herbe des jardins attenants. Les familles se retrouvent pour un repas champêtre par cette belle journée d’été. Puis vient le temps des visites des chambres. Le public est curieux de la caisse de méditation où les pratiquants méditent et dorment, des autels aux belles statues de Bouddha ainsi que des photos des maîtres de la lignée. Les retraitants racontent leur quotidien, les différentes sessions de pratique, les difficultés qu’ils ont éprouvées aussi. Ce temps d’échange est l’occasion pour les familles d’évoquer à leur tour ce qu’elles ont vécu pendant l’absence de l’être cher et les événements survenus pendant ces années de séparation. Ainsi, le fil se renoue entre les vécus de chacun, instants forts où déborde l’amour qui n’a pas pu être exprimé autrement que par lettre pendant ces longues années. Ce moment rare de retrouvailles est rendu plus précieux encore par la perspective d’une nouvelle séparation. Plusieurs retraitants font en effet le choix de retourner en retraite pour trois ans, trois mois et trois jours afin d’approfondir plus encore leur pratique

méditative. Certains intègrent quant à eux le monastère alors que d’autres font le choix de redevenir laïcs et de retrouver la vie mondaine. Autant de perspectives de vie et de trajectoires diverses mais avec un vécu intense en commun : ces années à pratiquer la méditation et l’étude dans l’isolement des centres de retraite. 


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°11 (Automne 2019)

 

Virginie Kozerawski est une grande voyageuse empreinte de curiosité et d’esprit de découverte. Elle est pratiquante du Vajrayana.


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