Photos : ©Tokpa Korlo
Sur la base d’une prise de conscience du caractère changeant et imprévisible de chaque phénomène, de la valeur de l’existence humaine et du mécanisme des causes et des effets, nous pouvons œuvrer à nous extraire de la confusion qui brouille de façon naturelle notre perception de la réalité. S’il s’agit du chemin que nous souhaitons suivre et de l’orientation que nous voulons donner à notre vie, des points de référence sont alors utiles pour faciliter notre cheminement et éviter de nous disperser et de perdre du temps.
Dans le bouddhisme, ce repère signifie « prendre refuge » et se décline en trois aspects. L’expression « prendre refuge » dénature un peu le sens littéral. En tibétain, il s’agit plutôt d’aller vers une protection : celle du Bouddha, de ses méthodes et de ceux qui les ont réalisées en les mettant en pratique. Dans la vie, rien ni personne ne peut offrir de protection matérielle ou extérieure qui soit permanente et stable.
En quoi le Bouddha, son enseignement et la communauté des pratiquants accomplis sont-ils différents ?
Le Bouddha n’est pas un dieu que l’on révère et dont le contentement peut délivrer de notre condition ou le courroux créer des obstacles. Il s’agit de l’exemple d’un homme qui a cheminé, pas à pas, jusqu’à découvrir la façon de mettre un terme définitif au mal-être, en d’autres termes d’atteindre l’éveil. Son enseignement n’est pas un dogme, il est constitué de méthodes variées à mettre en pratique et à tester en fonction de nos affinités avec l’une ou l’autre pour pouvoir soi-même devenir un bouddha. Il s’agit en fait d’un concept à comprendre et à appliquer. Enfin, les pratiquants accomplis qui ont eux-mêmes parcouru le chemin et eux-mêmes mis en œuvre ces méthodes sont des aides et des sources d’inspiration, à l’image des bodhisattvas.
Cette protection est différente de celles que nous connaissons parce qu’elle n’opère pas de l’extérieur : nous devons l’établir en nous.
Le Bouddha, ses méthodes ainsi que les accomplis qui les véhiculent et les transmettent constituent des points de référence et une ligne directrice à intégrer dans notre viequotidienne, sans aucune exigence d’âge, de condition physique, de niveau intellectuel ou social, de sexe... Le refuge est universel et s’adresse à tout le monde. Le message est simple, mais sa compréhension peut prendre du temps, cela dépend de chacun.
Qu’est-ce que l’éveil ?
Un état stable libre de tout mal-être. L’esprit est si clair qu’il n’a plus aucune raison d’être pris par la confusion et de créer les conditions de la souffrance. Cet état ne s’actualise pas au terme d’un séminaire d’une semaine. C’est un parcours et il est important d’être conscient que jusqu’à la fin du chemin, nous rencontrerons toujours les difficultés inhérentes à notre existence imparfaite.
Prendre refuge est une méthode qui peut conduire à la libération permanente de la souffrance en actualisant l’éveil. D’autres chemins permettent d’atteindre certains niveaux, mais pas l’état de bouddha. […]
Un lien entre le temple et la vie
Prendre refuge dans le Bouddha, dans les méthodes, le Dharma, et dans le Sangha, la communauté des bodhisattvas, n’est pas une pratique réservée aux débutants ou à un certain moment de la journée. Il ne s’agit pas d’une phrase à répéter, mais d’une référence à garder à l’esprit quoi que nous fassions. C’est ainsi que le refuge ne demeure plus un point de repère extérieur, mais intègre notre vie et épouse notre esprit. La qualité de présence à ce que nous faisons change alors, imperceptiblement. Une orientation s’ancre en nous, naturellement, par le simple fait d’être vigilants et de nous souvenir du refuge. La progression s’effectue ainsi : sans étapes significatives ou grades décernés, elle se niche dans les petits riens du quotidien, dans le lien entre le temple et la vie. Les néophytes imaginent souvent que la pratique spirituelle est réservée au temple, lieu calme et apaisant, propice au recueillement et à la concentration. Cette vision de la pratique spirituelle est parcellaire. Il s’agit, en fait, d’amener les concepts acquis dans la salle d’enseignement au sein de la vie quotidienne. Prendre refuge ne signifie donc pas s’incliner devant une statue ou déposer des offrandes, mais créer l’habitude mentale de ce point de référence. Cette présence naturelle permet d’agir en bodhisattva. Il n’y a ainsi plus de différence entre le fait d’être assis dans un temple ou de vivre son quotidien. Au début, une forme de séparation est normale, mais elle s’amenuise, au fur et à mesure que l’habitude s’acquiert. Ainsi, en reliant tout ce que nous faisons aux notions du refuge et de l’enseignement bouddhique, nous devenons spontanément plus enclins à la bienveillance et à la compassion. Ce point est important parce qu’il donne une direction stable à notre vie.
Chacun d’entre nous a le potentiel de devenir un bouddha. Actualiser pleinement ce potentiel n’est pas facile, mais en prenant refuge dans le Bouddha, nous pouvons commencer par emprunter la bonne direction et progresser jusqu’à réaliser cet état à terme. Prendre refuge dans le Dharma, permet d’éviter la souffrance en comprenant les causes qui la créent et, sur la base d’un engagement plus profond, de progresser jusqu’à l’éveil. Pour suivre ce chemin, nous avons besoin du modèle de ceux qui l’ont emprunté, dans le passé et aujourd’hui encore. Si nous ne pouvons pas être exactement à leur image, nous pouvons, en revanche, nous inspirer de leur exemple de vie pour nous développer.
Extrait de Manuel des héros ordinaires paru aux Éditions Rabsel
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°18 ( Eté 2021 )
Lama Jigme Rinpoché, né au Tibet Oriental, est arrivé en France en 1977. Il est le directeur spirituel de Dhagpo Kagyu Ling en Dordogne. Fort d’une solide expérience de l’Occident, son approche unique et moderne rend la sagesse du bouddhisme accessible et permet son application concrète dans la vie moderne.