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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

L’ego, ce mal-aimé



À l’occasion d’un enseignement donné au sein de l’association Vivekerama le 24 avril, la question suivante fut posée à Ajahn Sundara.


L’ego est souvent désigné comme le responsable de tous nos malheurs, dont il faut se débarrasser avec toutes nos pensées encombrantes. Est-il possible de connaître et de toucher l’ego alors même que le Bouddha dit qu’il n’existe pas ? Comment fait-on l’expérience de l’ego dans la voie de la vision profonde ?


Ajahn Sundara : L’ego est notre histoire et nous n’avons pas à le juger. L’ego est aussi tout ce qui souffre en nous. Alors, quand les gens se plaignent de leur ego, je leur dis : « Écoutez, c’est tout ce que vous avez pour vous libérer. Allez devant votre autel de méditation, inclinez-vous trois fois et remerciez gentiment votre ego d’être là pour vous dire à quel point vous êtes aveugle. »


L’ego est un conditionnement, et malheureusement il est souvent en décalage avec la réalité du moment présent. L’ego n’est pas du tout un problème. Vous n’avez pas à vous inquiéter de l’ego. D’une certaine manière on pourrait dire que l’ego n’existe pas. C’est juste une pensée avec son histoire. Mais ne me croyez pas aveuglément, vous devez faire confiance à votre propre expérience.


Plus nous observons l’ego, plus nous voyons que ce que nous appelons « moi » est impermanent, insatisfaisant, et non soi. À un certain moment de la pratique, on comprend que ce qui souffre en nous, c’est l’ego, rien d’autre. L’ego est une pensée personnelle qui se prend très au sérieux. Nous sommes offensés parce que les gens nous critiquent. Nous voulons faire de grandes choses parce que nous voulons montrer notre valeur aux autres. L’ego se manifeste dans cette sorte de dualité : Je ne veux pas ce qui me fait mal et je veux ce qui me rend heureux.


Pendant très longtemps, on souffre de cet ego. Cela correspond à ce dont parle le Bouddha lorsqu’il énonce les quatre nobles vérités : Dukkha (la souffrance), Samudaya (la cause de la souffrance), Nirodha (la cessation de la souffrance) et Magga (La voie de la libération de la souffrance). Cette souffrance peut être traduite par « stress », le stress ressenti lorsque nous sommes aveugles à la réalité des choses telles qu’elles sont. Nous nous identifions à ce monde conditionné et cette identification est l’ego. Mais l’ego n’est pas un problème. L’ego est simplement une réactivité aveugle et sans sagesse de notre attachement au monde conditionné. C’est un mécanisme qui réagit sans discernement, embourbé dans des états de colère, de désirs et d’ignorance. Lorsque l’ego a peur, lorsqu’il est maltraité, lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il désire, il a envie de blesser les autres et, ce faisant, il ne fait qu’ajouter plus de souffrance. On a des regrets. On est en colère. On devient malheureux. On devient triste ou déprimé.

L’enseignement du Bouddha ne s’arrête pas à la reconnaissance de la souffrance mais indique également les causes de cette souffrance, ainsi que l’état de paix qui apparaît lorsque la souffrance cesse. Et enfin, le Bouddha enseigne la voie qui nous guide pour vivre en harmonie avec le Dhamma qui représente l’enseignement du Bouddha.



« Remerciez votre ego. Faites un petit geste de gratitude à son égard. Traitez-le avec gentillesse et commencez à vous en « débarrasser » avec compassion, non pas en le rejetant mais en l’acceptant totalement tel qu’il est. »


Le Bouddha nous parle d’anatta ou non-soi. Atta est le monde de la personnalité qui a été créée par le conditionnement de nos vies, cette vie-ci et peut-être les vies précédentes. Dans cette vie, nous avons grandi, nous sommes devenus l’être humain que nous sommes. Ce sont toutes ces vies qui nous traversent. À un moment donné, nous nous rendons compte que notre vie fonctionne à partir d’une structure inadaptée. Elle est inadaptée car elle vit une vieille histoire au lieu d’être présente dans le moment présent. L’ego agit ou réagit à l’aveugle. Il est aveugle par rapport au Dhamma. C’est la vision limitée de notre monde. C’est la vision qui est prise dans nos habitudes, nos conditionnements, notre histoire, dans le passé. C’est la vision qui anticipe constamment le futur.


À une époque, il y a eu pas mal de conférences sur le bouddhisme et la psychothérapie. Les gens avaient l’impression que les bouddhistes n’osaient jamais parler de l’ego. Ils s’imaginaient qu’être bouddhiste signifiait se débarrasser de l’ego et concluaient que si vous aviez un ego, vous n’étiez pas encore un bon bouddhiste. Cela me semblait vraiment ridicule. Au contraire, c’est parce que vous êtes tellement incommodé par l’ego que vous devenez bouddhiste ! Alors, remerciez votre ego. Faites un petit geste de gratitude à son égard. Traitez-le avec gentillesse et commencez à vous en « débarrasser » avec compassion, non pas en le rejetant mais en l’acceptant totalement tel qu’il est.



Considérez l’ego comme un mode réactif constant. Ce n’est pas si difficile à comprendre. Commencez à expérimenter. L’ego est un processus d’attachement. Une fois que vous aurez compris que l’ego n’est qu’une perception à laquelle vous croyez aveuglément, il est aussi insubstantiel et transitoire que le reste de votre vie. Les pensées sont sans substance. Dans le travail de vipassana, on s’en rend compte assez rapidement. Les pensées vont et viennent. Elles disparaissent. Il suffit d’observer, de prêter attention avec vigilance et conscience. Les pensées s’en vont d’elles-mêmes. Avez-vous remarqué cela dans votre pratique ? Il n’y a pas de substance, vraiment. Mais nous donnons de la substance en rendant une pensée extrêmement importante dans notre vie. Nous rendons les actions et les désirs extrêmement importants. Mais nous pouvons lâcher prise et constater que le désir disparaît, l’action disparaît, la pensée disparaît. En ce sens, l’ego est aussi vide que le reste. Mais nous ne l’avons pas encore observé et perçu assez clairement pour réaliser qu’il est dans cet état.


L’ego est anicca, dukkha et anatta ; il est impermanent, insatisfaisant et non-soi.

Avant d’arriver à ce genre de connaissance, il est très important d’avoir une structure ou une base solide. Vous comprenez ? Parce que quand on commence à entendre : « je suis sans ego », « je suis sans pensées », « je suis sans ceci ou sans cela », on peut avoir l’impression de vide et cela peut vraiment nous effrayer. On peut facilement tomber dans un état dépressif. Nous avons besoin d’une structure et d’une base qui proviennent de la compréhension de nos attachements et de la souffrance qu’ils engendrent.


L’enseignement du Bouddha ne nous demande pas de tout abandonner, mais de réaliser par l’expérience directe que la source de la souffrance provient de l’attachement aux objets et non pas des objets eux-mêmes.

Il faut être très prudent car la pratique de la voie bouddhique ne repose sur aucun dogme. C’est une voie qui nous invite à explorer et à découvrir le Dhamma au travers de notre expérience et non par une idée que l’on se fait des choses.


L’esprit peut être à la fois vide et rempli de toutes sortes d’activités mentales qui surgissent comme les pensées, les sensations, les perceptions et la conscience des sens, etc. Mais si nous ne nous accrochons pas à ces objets, nous pouvons observer notre esprit à la fois sous son aspect actif et transitoire et son aspect vide. C’est la vision de la pleine conscience qui est toujours présente. Mais nous pouvons perdre cette vision claire et nous sentir bloqués et emprisonnés dans une multitude d’activités intérieures et extérieures qui traversent notre esprit, histoires du passé, histoires du présent, histoires du futur.


Nous avons tendance à avoir un esprit très actif et dispersé. Mais nous pouvons aussi le concentrer, ce que nous apprenons tous dans la méditation telle qu’elle a été enseignée par le Bouddha. La concentration de l’esprit est aussi quelque chose que nous faisons à travers le travail et les occupations de notre vie quotidienne qui nous obligent à faire très attention à ce que nous faisons si nous voulons vraiment réussir dans une tâche, un projet, des études, etc. Nous sommes naturellement enclins à être concentrés et attentifs dans les activités qui nous intéressent.


Lorsque vous faites de l’ego un ami, cela vous aide à voir les limites de l’esprit conditionné et maintenu dans l’ignorance. Cette ignorance (avijja) dont parle le Bouddha ne se réfère pas à une absence d’intelligence ou de capacités intellectuelles, mais plutôt à un manque de connaissance de l’enseignement du Bouddha qui, graduellement, nous fait découvrir une vision beaucoup plus large que l’esprit limité par l’identification à « moi » et à « je ».


Il n’est pas facile de se défaire du « moi » et du « je » car nous sommes naturellement très attachés à notre personnalité que nous percevons comme permanente. Depuis très longtemps, nous pensons qu’elle constitue ce que nous sommes. La personnalité n’est pas un problème. Elle peut aussi nous aider quand elle ne devient pas notre monde essentiel, ce que nous croyons être le seul univers de notre vie. Nous avons le choix d’explorer, de lâcher prise et découvrir la possibilité de vivre chaque instant dans la présence de l’esprit éveillé.


Parfois, nous devons prendre des risques. Nous laissons tomber nos croyances. Nous lâchons nos tendances à nous accrocher aux choses, à nous identifier au monde familier de notre environnement quotidien.


Dire à son ego : « Je t’aime » ne signifie pas que l’on soit d’accord avec lui. C’est différent. C’est une façon de voir l’ego sans aversion ni jugement. Cet ego fait toujours appel à l’idée erronée d’une personnalité permanente. À un moment donné, nous réalisons que nos esprits ne sont pas si différents les uns des autres et que c’est nous-mêmes qui construisons constamment les différences. De toute évidence, nous avons des qualités et des capacités différentes, mais nous partageons tous la nature de l’esprit dans son état conditionné et inconditionné. L’enseignement du Bouddha nous encourage constamment à réaliser que l’inconditionné est l’aspect libéré de notre esprit.




Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°22 (Été 2022)

Pour en savoir plus :

 

Ajahn Sundara a rencontré l’enseignement du Bouddha à trente ans passés grâce aux enseignements d’Ajahn Sumedho, disciple Ajahn Chah (tradition des moines de la forêt). En 1979, elle a rejoint la communauté monastique du monastère Cittaviveka en Angleterre (Chithurst) où elle a été ordonnée comme l’une des quatre premières femmes novices. Au cours des trente dernières années, elle a enseigné et dirigé des retraites de méditation en Europe et en Amérique du Nord. Depuis 2004 elle vit au monastère d’Amaravati.







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