Photos : ©Lama Yeshe Wisdom Archive
Cet extrait (dont vous lisez ici la première partie) a été initialement publié en anglais dans l’ouvrage Wisdom Energy 2, puis sur le site lamayeshe.com. Il est traduit d’un enseignement donné en anglais par lama Yéshé à Ibiza, en Espagne, en 1978.
©Juillet 2019 - Traduit en français par les Éditions Mahayana / Service de traduction de la FPMT (www.traductionfpmt.info)
Vous vous intéressez tous au Dharma et à la méditation. Mais qu’est-ce que le Dharma, et comment méditer ? Fondamentalement, le Dharma, c’est tout ce qui diminue nos illusions, nos pensées perturbatrices ; c’est tout ce qui nous apporte la paix de l’esprit et nous libère de la confusion et de la souffrance.
Le Dharma du Bouddha enseigne les méthodes pour purifier l’esprit des négativités et pour développer au maximum notre potentiel humain. Certaines d’entre elles, comme ne pas nuire aux autres, développer la compassion et pratiquer la générosité, sont partagées par d’autres traditions philosophiques et religieuses. D’autres méthodes sont uniquement bouddhistes. Deux d’entre elles, le karma et la vacuité, constituent le cœur du Dharma. Le karma est la loi de cause à effet et la vacuité est la nature ultime de la réalité, dénuée de toute conception erronée.
Commençons par le karma. Chaque action effectuée par le corps, la parole ou l’esprit finit par produire une réaction spécifique. Par exemple, une attitude non vertueuse aboutira assurément à des problèmes et de la souffrance, alors qu’un esprit vertueux, pur et clair apporte toujours le bonheur. Nous avons tous remarqué que lorsque notre esprit est envahi par la confusion, tout ce que nous disons sort de manière confuse. Cet exemple illustre l’évolution corrélée qui existe entre toute action et ses conséquences. Bien que cette relation semble évidente lorsqu’on l’analyse, elle ne l’est pas toujours. Quand nous nous surprenons à dire quelque chose d’insensé ou de méchant, nous sommes tentés de dire : « Oh, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, c’est juste sorti comme ça. » C’est une erreur de supposer que nos actions incontrôlées n’ont pas de cause spécifique. Aucun mot n’est jamais prononcé qui n’ait été motivé par une attitude soit positive, soit négative.
Comprendre le lien karmique entre causes et effets nous donnera l’énergie pour nous transformer. Néanmoins, il est essentiel d’aborder notre pratique avec patience et sagesse. Changer notre comportement habituel n’est pas facile. Ce n’est pas comme préparer un café instantané : cela prend du temps. Le changement se produit graduellement, parce que les diverses attitudes négatives et perturbations sont d’une intensité variée. Chaque problème mental doit donc être traité en fonction de sa nature particulière, qu’il soit extrêmement subtil et profondément ancré dans notre conscience, ou tout à fait évident et à notre portée. L’approche logique consiste à se concentrer d’abord sur la purification des négativités grossières avant d’essayer d’extirper les plus subtiles. L’important, c’est que nous pouvons dès maintenant éliminer les défauts les plus évidents. Il est beaucoup plus sage de travailler sur ce qui a une chance de réussir, plutôt que de tendre vers l’impossible.
Par exemple, lorsqu’on lave un chiffon sale, il est impossible d’éliminer immédiatement les taches et les odeurs. Le lavage initial s’attaque à la première couche de saleté, mais ce n’est qu’après l’avoir lavé et essoré deux ou trois fois que toutes les taches partent enfin. Les perturbations racine (l’attachement, la colère et l’ignorance) sont les taches qui polluent notre esprit et, parmi elles, l’ignorance de la réalité est la plus profondément ancrée et la plus difficile à éliminer. Nettoyer l’esprit est un processus évolutif et le seul moyen d’assurer un changement positif consiste à travailler maintenant sur les perturbations grossières, et à s’attaquer plus tard aux plus subtiles.
Tout au long de votre pratique du Dharma, ne cherchez jamais à vous dépasser, mais au contraire à rester dans votre zone de confort pour faire seulement ce qui est possible sur le moment. Si vous poussez au-delà de vos propres capacités, vous risquez de bouleverser tout votre système nerveux et d’entraîner une réaction extrêmement négative ; vous pourriez même complètement abandonner l’idée de vouloir faire face à vos perturbations.
Nous avons beau être des adultes, nous avons un esprit d’enfant. L’esprit d’un enfant exige une tendresse particulière, il faut s’en occuper avec une grande habileté et une grande patience. Il ne supporte pas la pression ni d’être poussé au-delà de ses limites. Et pourtant, de nombreux aspirants spirituels sont des perfectionnistes, dont l’ego les incite à essayer d’avancer trop vite. Ils sont sévères et impitoyables envers eux-mêmes et aboutissent à une situation tendue. Ils génèrent frustration et colère, contre eux-mêmes et tous ceux qui les entourent. Évidemment, c’est bien de viser la perfection, mais nous devons rester pragmatiques. Il est préférable de progresser graduellement, étape par étape. Sinon, vous risquez de sauter trop vite et de vous casser la jambe. Pour réussir dans votre pratique du Dharma, il est préférable d’être à l’aise, détendu et réaliste, en ajustant l’intensité de votre pratique au jour le jour en fonction de votre situation.
Être pragmatique, c’est aussi être ouvert pour adapter sa pratique aux conditions extérieures. Par exemple, dans cette salle de méditation, nous sommes assis ensemble, jambes croisées sur des tapis orientaux, entourés de belles statues et de peintures des bouddhas ; une odeur d’encens flotte dans l’air et des bougies brûlent sur l’autel. Naturellement, il est facile de méditer dans une atmosphère aussi positive.
Cependant, si vous vous trouvez dans un autre environnement, comme un train ou un avion, ce n’est pas une excuse pour abandonner votre pratique. En l’absence d’images visibles des bouddhas, vous ne ressentez pas la présence du Bouddha. L’endroit semble complètement manquer de spiritualité et vous avez l’impression de vous noyer dans le samsara. Ou peut-être qu’à la maison, votre famille ne vous permet pas d’avoir un autel, ou d’exposer ostensiblement des images d’êtres éveillés. Et parce que vous savez à quel point cela les contrarierait, vous vous abstenez de dire vos prières à haute voix. Puis en repensant avec nostalgie à cette paisible salle de méditation, vous vous dites : « Maintenant, on dirait que je suis dans un monde différent. Aucune photo des maîtres spirituels ni des bouddhas, aucune bougie ni encens, et je ne peux pas chanter mes prières. Comment puis-je pratiquer le Dharma ? »
De telles pensées d’insatisfaction illustrent l’œuvre de l’esprit dualiste. Vous avez réussi à rationaliser votre abandon de la méditation, sans comprendre la beauté de la voie progressive vers l’éveil, qui explique comment méditer dans n’importe quel environnement, que ce soit en mangeant, en buvant, en parlant, en voyageant ou autre. Les accessoires religieux sont utiles, bien sûr, mais pas indispensables à la pratique. D’ailleurs, je trouve que les toilettes sont un excellent endroit pour une méditation tranquille, sans être dérangé, loin du bruit et de la confusion. C’est un bon endroit pour prendre refuge.
Si nous ouvrons l’œil de notre sagesse et laissons l’univers révéler sa réalité, nous pouvons accroître notre connaissance et pratiquer le Dharma à tout moment et en tout lieu.
Il est en réalité possible de trouver un enseignement du Dharma dans tout ce que nous voyons : la télévision, les films, les journaux, le vent qui souffle, les mouvements de l’océan ou le changement des saisons. Si nous observons le monde du point de vue du Dharma, nous pouvons acquérir une compréhension profonde de la réalité, y compris de l’impermanence et de la loi de cause à effet. « Toutes ces choses changent, exactement comme moi. » Nous nous promenons habituellement comme dans un rêve, inconscients des changements et des mouvements qui se produisent autour de nous. Ou alors, nous les tenons pour acquis. Il est facile de rejeter ce que la télévision et les films tentent de nous montrer comme étant de simples chimères. De tels préjugés ne font qu’accroître notre ignorance et fermer la porte à la sagesse. Si au contraire nous ouvrons l’œil de notre sagesse et laissons l’univers révéler sa réalité, nous pouvons accroître notre connaissance et pratiquer le Dharma à tout moment et en tout lieu.
Tout ce que nous voyons peut nous rappeler que la loi de cause à effet régit tout changement, que chaque transformation a une raison précise ; ainsi nous comprendrons progressivement le karma. Nous cesserons de croire que les expériences nous tombent dessus toutes faites, comme un café instantané. Notre sensibilité à l’évolution constante de notre système nerveux s’affinera à mesure que nous observerons comment notre esprit et notre corps changent continuellement.
Une fois que nous aurons acquis une profonde compréhension des causes et effets et que nous verrons que chaque action a une conséquence précise, nous réaliserons à quel point il est important d’être consciencieux dans tout ce que nous faisons. La conscience du karma conduit à porter une attention spontanée à notre propre comportement. En comprenant que les actions positives mènent inévitablement au bonheur et les actions négatives à la souffrance, nous devenons plus sélectifs et plus conscients quant à la nature de nos propres activités. En revanche, si la loi de cause à effet ne guide pas notre vie, il n’y a pas de pratique du Dharma, et sans elle, il ne reste que l’ignorance et la souffrance.
Une conscience attentive et soutenue de nos actions physiques, verbales et mentales, depuis le réveil jusqu’au moment de s’endormir le soir, est plus profonde et intense qu’une heure de méditation chaque matin. C’est logique : une heure de méditation n’est rien comparée à une journée de pratique. Et si nous considérons les énormes avantages d’une seule journée d’attention au karma, nous pouvons nous prémunir contre l’apathie et la dépression qui contaminent souvent notre pratique.
L’une des raisons pour insister sur l’importance de surveiller notre karma est que les Occidentaux sont toujours très intéressés par la méditation. Ils aiment la méditation, mais ne sont pas très contents quand on leur offre des enseignements sur le karma. Ils se plaignent que le karma est trop lourd. Mais nous ne devons pas céder à l’anxiété. Notre corps, notre parole et notre esprit sont déjà lourds ; il n’y a pas besoin d’enseignements pour les rendre lourds, nous sommes lourds.
Je n’insinue pas que la méditation est sans importance, mais veux simplement dire que même si nous avons du mal à pratiquer la méditation de façon formelle, nous pouvons toujours parfaitement pratiquer le Dharma. Du coup, méditer signifie être toujours attentif à nos actions et cultiver une attitude d’amour bienveillant plutôt que d’exploitation. C’est de la méditation. En fait, compte tenu de notre niveau actuel de développement spirituel, ce type d’approche de notre pratique peut s’avérer plus précis et réaliste que la méditation sur des sujets tantriques profonds.
Si nous arrivons à être vigilants à l’instant présent, c’est que nous avons accompli quelque chose d’important. Prenez le moment présent. Nous sommes tous ici, physiquement, dans cette pièce, mais notre esprit est ailleurs, probablement en train de penser à l’avenir. « Après ce cours de méditation, je vais... » Nous rêvons à autre chose et le moment présent nous échappe. Alors même que je vous parle, mon esprit pense au Tibet. Je ne suis pas vraiment avec vous.
Il existe une puissante méthode du Dharma pour amener l’esprit dans le présent. Chaque matin, dès que vous vous réveillez, vous devez penser comme suit : « Quelle chance que je sois encore en vie, et que je sois un être humain, plutôt qu’un chien ou un poulet. Avec ce corps et cet esprit humains, j’ai le pouvoir de comprendre mon esprit et de pratiquer le Dharma. C’est une chose que les animaux ne peuvent pas faire. Je dédie donc cette journée à l’accomplissement de l’éveil. Pour atteindre ce but rapidement, je dois éviter les actions impures et émettre une vibration positive vers autrui. » La puissance de cette dédicace vous aidera à garder votre attention et votre contrôle au plus haut niveau tout au long de la journée.
Quand vous méditez, méditez. Quand vous mangez, mangez. Quand vous cuisinez, cuisinez. Essayez de remplacer vos fantasmes sur l’avenir par la conscience de l’instant présent. Ce n’est qu’à ce moment-là que vous serez réaliste.
La plupart des gens passent leur temps à penser à ce qu’ils veulent faire demain, dans vingt-cinq ans ou le reste de leur vie. C’est de la folie. Les événements qui se produiront dans vingt-cinq ans ne sont rien d’autre que le résultat d’un processus de transformation en cours d’un moment à l’autre, même maintenant. Le moment présent évolue vers le moment suivant, qui se transforme en un autre. Aujourd’hui se transforme en demain, demain en la semaine prochaine, l’année prochaine, etc. Si le processus d’évolution ne dépendait pas des événements qui se produisent en ce moment même, il ne se passerait rien dans vingt-cinq ans.
Bien que l’avenir dépende du présent, c’est dans la nature de l’ego humain de se préoccuper de l’avenir, plutôt que d’agir maintenant. Quand vous méditez, méditez. Quand vous mangez, mangez. Quand vous cuisinez, cuisinez. Essayez de remplacer vos fantasmes sur l’avenir par la conscience de l’instant présent. Ce n’est qu’à ce moment-là que vous serez réaliste. Il est ridicule d’accorder trop d’attention à ce qui va se passer dans l’avenir, car vos projections à ce sujet ne sont que le produit de votre esprit halluciné. Cependant, c’est malheureusement un passe-temps courant d’échafauder des plans concrets pour l’avenir. « Je dois m’assurer d’obtenir assez de ceci et de cela pour les prochaines années. » Vous allez peut-être mourir avant la fin de la semaine. S’inquiéter de l’avenir n’est qu’une perte de temps et d’énergie.
Beaucoup de gens ne croient pas à l’éveil parce qu’ils n’ont jamais rencontré ou vu un être éveillé. Je leur demanderai : « Pouvez-vous voir demain ? » Si non, d’où viennent les conceptions concrètes qui forment la base de tous leurs plans d’avenir ? Ils s’inquiètent de ce qui se passera dans un avenir qu’ils ne peuvent pas voir, mais ils n’acceptent pas l’éveil au motif qu’ils ne peuvent pas le percevoir.
D’un point de vue karmique, nous devons nous préoccuper de l’avenir, mais nos préoccupations actuelles sont corrélées de façon erronée. La confusion générale vis-à-vis de l’avenir se manifeste par ce type de questions, souvent posées aux maîtres et aux prêtres : « Quand je mourrai, irai-je au ciel ou en enfer ? Croyez-vous que je serai heureux l’année prochaine ? » Avec la sagesse du Dharma qui met en évidence la loi de cause à effet, il est facile de prédire ce que l’avenir nous réserve. Une attitude positive et vertueuse aujourd’hui est de bon augure pour demain. Si le flux de l’esprit est pur et clair aujourd’hui, alors il est certain qu’il le sera demain. Nous avons donc la capacité de prédire l’avenir : en utilisant notre propre sagesse. Nous pouvons voir que vivre et mourir dans le bonheur, ou dans le malheur, dépendent d’une attitude positive ou négative, dont il faut s’assurer dès à présent. Il est inutile de courir auprès de nos enseignants spirituels pour leur demander ce qui va se passer. Nous avons le choix entre subir la mort misérable d’une vache ou faire l’expérience d’une mort heureuse de méditant. Cela dépend de notre karma. Si les causes et les conditions (du lait, de la température de l’air, etc.) sont réunies le soir, on obtiendra en résultat un bol de yogourt le lendemain matin.
Il est stupide de demander aux êtres supérieurs et aux clairvoyants s’il y aura une catastrophe mondiale dans les prochaines années. Des catastrophes se produisent tout le temps. En comprenant le karma, nous pouvons voir que ce système solaire est le produit des perturbations, il est naturellement assailli par les guerres et les désastres. Se tourmenter et s’inquiéter à ce sujet est donc un gaspillage d’énergie. Ce dont nous devons nous inquiéter, c’est de nous efforcer de rester aussi paisibles, positifs et conscients que possible. Voilà tout ce que l’on peut faire.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°11 (Automne 2019)
Lama Thoubten Yéshé (1935-1984), né au Tibet, intègre à l’âge de six ans l’Université monastique de Sera où il étudie jusqu’en 1959. Avec lama Thoubten Zopa Rinpoché, réunis comme maître et disciple depuis leur exil en Inde, ils rencontrent leur premier étudiant occidental en 1965.
En 1974, les deux maîtres commencent à faire le tour du monde et à enseigner en Occident, ce qui amènera finalement à la création de la Fondation pour la préservation de la tradition Mahayana (FPMT).