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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

« Je m’ennuie. » Quelle chance ! 



Les conférences de Josh sur le dharma, offertes en anglais, sont suivies par une grande communauté en ligne sur dharmapunxnyc.podbean.com

Traduction et adaptation : Sagesses Bouddhistes 



L'ennui est un état d'esprit familier, mais nous sommes très mal à l'aise avec lui. Nous l'associons à l'agitation et au vide. Culturellement, l'ennui est à éviter. Il est pointé comme responsable de la dépendance et de la violence chez les adolescents et autres choses blâmables. Nous le détestons. Si quelqu'un nous demande : « Comment ça va ? » et que vous dites « Mmmm, je m'ennuie un peu » vous avez vraiment tout faux. Car vous n'avez pas rempli votre vie d'assez de choses pétillantes, de distractions et de motivation. 


On pourrait penser que le concept d'ennui existe depuis des millénaires, et que les textes spirituels contiendraient de nombreux passages sur l'ennui. Et pourtant, ce mot a été utilisé pour la première fois par Dickens dans les années 1850. Avant cela, il n'y a aucun concept qui se rapproche de notre idée de l'ennui. Certains théoriciens pensent que l'idée de l'ennui est née à la période où la classe supérieure a commencé à profiter du travail de la classe ouvrière et a développé un surplus de temps libre. Mais si vous regardez en arrière dans l'histoire, le temps libre était abondant à un Moyen Âge rythmé — il faut le rappeler, par les saisons. Les paysans du Moyen Âge avaient beaucoup plus de temps libre que nous aujourd'hui. 

 

©Geneviève Gaucker

Plus on s'ennuie, plus ça devient intéressant 

L'expérience de l'ennui a peut-être surgi avec l'apparition de distractions produites en masse : les gazettes, les tabloïds et les journaux modernes, la radio, la télévision et — enfin — l'Internet. Le dharma affirme qu'au moment où nous commençons à poursuivre quelque chose, nous créons son contraire. Une « gauche » n'a de sens que s'il y a une « droite ». Quand nous recherchons le bonheur, nous créons l'idée de tristesse. Quand nous courons après les distractions, nous devenons très conscients du moment où elles ne sont pas présentes — nous nous ennuyons facilement. L’aspect ennuyant de l’ennui. 

Le contact d’humain à humain est le fondement du bonheur, de la résilience et du bien-être. Sans lien direct avec les autres, nous devenons de plus en plus vulnérables aux sautes d'humeur et à l'illusion. Autrefois, les gens cherchaient un sens et à faire lien au cœur des places des villages et dans les rassemblements sociaux. Aujourd'hui, nous recherchons de plus en plus les autres par le biais de formes de communication numériques comme les textos, les tweets et les courriels, là où il n'y a aucune autre personne physiquement présente. L'envoi de SMS déclenche une libération de dopamine, le produit chimique dans le cerveau associé au plaisir et à la récompense ; nous nous sentons ainsi puissants et en sécurité. Mais nos smartphones ne fournissent qu'un simulacre de connexion humaine. Par conséquent, nous ressentons un sentiment sous-jacent d'insatisfaction et d'anxiété qui, à son tour, peut susciter le besoin insatiable de stimulation. Nous recherchons donc le nouveau et l'intense. Quand il n'y a rien de stimulant, de voyant et de distrayant, nous vivons l'état de base de l'existence comme inconfortable. En y réfléchissant, c'est un peu effrayant. 

 

L’examen de l'ennui 

Il y a trois expériences physiques et mentales sous-jacentes que le dharma appelle vedana, ou sentiments : l'inconfort (ou dukkha), le confort (sukkha) et, à mi-chemin, là où il n'y a ni confort ni inconfort, juste la neutralité — ou « Mmmm ». À l'état neutre, nous sommes plus enclins à nous perdre dans nos pensées. 

Si vous souffrez et que vous passez à une sensation de neutralité, qu'est-ce que vous ressentez ? Ça fait du bien ! Une fois, j'ai eu un calcul rénal et, croyez-moi, lorsque cela est passé, le retour à une vie quotidienne normale m'a semblé tout à fait fantastique. Mais que se passe-t-il lorsque vous revenez à une vie normale après une période de plaisir et la distraction ? C'est ennuyeux ! « Où est le plaisir !? Où est mon texto !? Où est la réjouissance !? Où est l'action !? C'était censé être stimulant ! » Nous nous trouvons opposés à notre condition précédente. Ce n'est plus agréable d'être en vie. Dans le sens du verbe être, être devient quelque chose auquel nous devons échapper. 

Le but de la pratique spirituelle est la libération du cycle addictif du samsara qui s’appuie sur l'idée que le bonheur est en dehors de nous. Être libre, c'est ne pas être enchaîné à quoi que ce soit. Et pourtant, de plus en plus aujourd'hui, nous nous attachons à des distractions — à des messages sur les réseaux qui offrent l'illusion que nous sommes connectés à d'autres personnes alors que nous devenons plus distants. La pratique bouddhiste invite à regarder le sentiment d'inconfort et à se tourner vers lui pour l'étudier, le regarder sous toutes les coutures — de vraiment le démonter et à examiner ce qui est présent. Ne plus s’ennuyer avec l’ennui, ça devient intéressant. Cet examen se déroule en deux étapes. 


Examiner nos expériences 

Le premier élément de la pratique du Bouddha avec l'inconfort commence par la recherche d'un sentiment que nous n'aimons pas ressentir : une agitation sous-jacente, une nervosité ou une vulnérabilité. Si nous refoulons ce sentiment, il devient de moins en moins tolérable avec le temps. Les mécaniciens vérifient un moteur en le mettant au ralenti et en vérifiant son fonctionnement. Si nous faisons la même chose avec notre esprit, et regardons ce qu'il y a là, nous voyons que l'ennui n'est qu'un tas de picotements et d'énergie dans le corps. 

Nous n'aimons pas nous asseoir avec l'ennui et l’examiner. Mais quand on le déballe, c'est juste un tas de petites sensations qui demandent notre attention. L'ennui peut provenir d'un sentiment sous-jacent d'insécurité, de vulnérabilité ou de solitude. Peut-être que ça arrive quand vous êtes avec d'autres personnes. Peut-être que ça arrive quand vous êtes seul. Si vous ne vous êtes jamais senti en sécurité tel un enfant, l'ennui peut contenir les restes de ce sentiment. Quand nous ressentons l’ennui et qu’il se manifeste au niveau du ventre, de la poitrine, des épaules, du front, nous commençons à ressentir les sensations sous-jacentes de solitude et de vulnérabilité. Plus nous nous occupons de ces sensations et les observons avec intérêt, plus nous pouvons accepter ce qui nous paraissait ennuyeux auparavant. Cela crée un sentiment d'espace et d’aise dans la vie. Et nous pouvons commencer à nous occuper de choses vraiment profondes qui sont cachées sous ces sentiments. Et nous pouvons enfin commencer à nous occuper de ces sentiments au fur et à mesure qu'ils se manifestent dans notre vie quotidienne. Quand nous fuyons l'ennui, nous nous fuyons nous-mêmes. 

(Voici un truc lorsque vous vous ennuyer pendant la méditation : faites semblant de vous asseoir juste pour vous asseoir, et analysez à nouveau les sensations de votre corps comme si c'était la première fois pendant cette méditation). 

 

Enquêter sur nos histoires 

Le deuxième élément de la pratique du Bouddha avec l'inconfort est d’examiner non seulement nos sentiments, mais aussi nos histoires et nos réactions. Quand on s'ennuie, on a cette réaction : quelque chose ne va pas. Puis, ressentant cette réaction, l'esprit commence à vomir des pensées et des histoires sur l'ennui. Sans ces histoires, il peut y avoir le sentiment que rien ne nous donne un but ou une identité fondamentale, que nous sommes vides. C'est l'une des choses que le Bouddha a découvertes : il y a un espace vacant dans votre esprit une fois que vous avez lâché tout le reste. Lorsque nous enquêtons sur l'absence de nouveauté et que nous entrons dans le silence, nous commençons à constater que tout le processus de construction identitaire et de narration d'histoires sur nous-mêmes s'efface. Mais au lieu d'être effrayant, c'est en fait un plaisir, alors qu'entretenir une histoire à propos de « qui je suis » est une corvée qui nous fait bouger sans arrêt et ne nous permet pas de nous poser. 

Une autre grande illusion que nous devrions regarder de près est l'idée selon laquelle que si nous nous ennuyons, c'est un problème avec le monde. Nous ne sommes pas suffisamment entourés de bonnes choses ou de bonnes personnes. Quand nous nous tournons vraiment vers ce qui se passe à l'intérieur de nous-mêmes et que nous étudions l'esprit, nous constatons qu'au lieu d'être un problème avec le monde, c'est simplement un problème avec la façon dont nous nous relions à certaines expériences. Certaines personnes, dès qu’elles apparaissent, nous rendent immédiatement paresseux, on arrête d'essayer avec elles et de faire un effort d'ouverture. Nous commençons à les repousser. 

 

Comment déterminer ce qui est ennuyeux ? 

Il est intéressant de noter que les philosophes occidentaux qui ressemblent le plus au Bouddha sont les existentialistes. Ils étaient tous vraiment fascinés par l'ennui. Kierkegaard et Camus voyaient Sisyphe — la figure grecque qui était destinée à pousser un rocher sur une colline pour toujours — comme une figure potentiellement héroïque. Il pouvait se libérer, disaient-ils, parce qu'au lieu de courir constamment après le nouveau, le stimulant, le récit, il pouvait lâcher prise sur le désir de vouloir que la vie soit différente de ce qu'elle est, le désir de fuir la vieillesse, la maladie, la mort, la frustration, la tristesse, la solitude : tous les trucs qui font la vie en somme. La position unique de Sisyphe lui a permis de confronter les fondements de son existence. Camus a dit que c'est là que nous trouvons notre libération, notre vrai bonheur durable. Plutôt que d'avoir constamment besoin de trouver quelque chose pour nous sortir de notre sentiment d'agitation, nous pouvons nous tourner vers ce à quoi nous n'avons pas prêté attention. Ironiquement, la porte d’entrée vers la plus grande des sagesses et le plus grand des bonheurs est très souvent là où nous nous y attendons le moins, en ces temps de la vie où nous nous sentons agités, anxieux et ennuyés. 


Il y a un vieux dicton qui dit : « Une commère parle d'autres personnes. Une personne ennuyeuse parle d’elle. Mais une personne fascinante parle de vous. » Parfois, avant la méditation, je vois des gens qui sont très animés en parlant d'eux-mêmes. Puis, quand nous nous installons dans la méditation, ils s'endorment immédiatement. C'est une forme d'aversion qui est manifestée ici, où les personnes se retirent complètement de la situation et ne veulent plus y donner le moindre intérêt. Alors que plus nous travaillerons en profondeur ce manque d’intérêt, plus nous pourrons trouver quelque chose de fascinant en chaque chose. Nous déterminons ce qui est ennuyeux et ce qui ne l'est pas en fonction du niveau d'intérêt et d'analyse que nous portons à la vie. Plus nous serons en phase avec tout ce qui nous entoure, sans nous décourager, sans abandonner, sans tourner le dos, sans cesser de nous ouvrir à la vie, plus nous pourrons trouver la libération et la liberté, et un sens au lâcher prise. 


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°10 (Eté 2019)

 
©Alexander Kusak




Josh Korda est l’enseignant de DharmaPunx, à New York depuis 2005. Enseignant bouddhiste expérimenté, mettant en lumière des connexions profondes entre la psychologie moderne et le bouddhisme, il est régulièrement invité à la communauté bouddhiste Against the Stream à Los Angeles. Depuis plus de 10 ans, il donne également son temps et sa compréhension à ZenCare.org, un organisme sans but lucratif qui forme des bénévoles en soins palliatifs. 

 








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