Partie 1
Par Shangpa Rinpoche
Propos recueillis par Philippe Judenne
Pourquoi, que nous soyons bouddhistes ou non, avons-nous besoin de pratiquer la méditation ? Parce que nous recherchons le bonheur de toutes sortes de manière, sur le plan matériel ou d’autres façons, et que la cause principale et première de notre bonheur reste notre propre esprit.
Comment pouvons-nous être capable d’avoir un esprit plus paisible ? Plus nous pourrons arriver à garder notre esprit paisible et clair, plus nous progresserons vers l’aisance et le bonheur. Beaucoup de gens savent que la méditation aide à avoir un esprit plus concentré, plus calme et plus stable. Il y a un grand engouement actuel pour la méditation et différentes façons d’introduire et de pratiquer la méditation sont apparues partout dans le monde. Depuis longtemps, la méditation est le courant principal au cœur des pratiques bouddhistes. Ainsi des traditions bouddhistes bien différentes utilisent-elles toutes comme base pour travailler et cheminer vers l’Éveil le même type de méditation.
Les bases préparatoires à la méditation bouddhiste
Pour pratiquer la méditation, il y a certains aspects que nous devons explorer à minima : en premier lieu, la motivation : dans quel but voulons-nous pratiquer la méditation ? Est-ce que voulons calmer notre esprit temporairement pour traverser une passe agitée ou voulons-nous pratiquer vers quelque chose de plus conséquent ? Les bouddhistes pratiquent la méditation afin de discerner et réaliser la nature de leur esprit et des phénomènes, et ils ont besoin pour cela de cultiver, d’entraîner un esprit clair et stable. Ils savent que la réalisation de la nature de l’esprit et des phénomènes est essentielle et nécessaire pour s’affranchir définitivement de la confusion et de l’ignorance qui est à la source de toute souffrance, la sienne propre et celle que l’on cause inévitablement aux autres. Nous avons besoin de pratiquer la méditation pour reconnaître la vérité de ce qu’est l’esprit et nous libérer de la souffrance. Nous avons besoin de rassembler les bonnes conditions pour méditer et de pratiquer ensuite la méditation du calme mental et celle de la vision ultime pour réaliser la véritable nature de l’esprit. Voilà ce que devrait être la motivation.
En deuxième lieu se trouve le renoncement qui relève du non-attachement ou plutôt du « un peu moins d’attachement ». Il y a tellement de sujets d’attachement tels la famille, la maisonnée, le travail professionnel, etc., qui peuvent nous empêcher de nous centrer correctement dans la méditation. Il est donc important de mettre complètement ces sujets de côté pendant que nous méditons. C’est une sorte de renonciation même si elle n’a rien à voir avec le fait de devenir moine et de fuir l’activité des villes pour aller dans des grottes ou des montagnes. Mais nous pouvons au moins couper court à ces sujets d’attachement pendant que nous méditons.
Troisièmement arrive la confiance et la gratitude envers les pratiques de méditation que nous étudions. Nous avons la certitude qu’elles peuvent nous conduire à un état calme très paisible et une clarté parfaite. Nous les pratiquons, nous avons le goût de pratiquer, cela nous plaît et nous chérissons cette opportunité qui nous est donnée — c’est de la dévotion en fait.
Une personne qui veut vraiment pratiquer la méditation doit maintenant se préparer sur six points essentiels :
Un endroit favorable, un endroit sain où vous trouverez ce dont vous avez besoin pour méditer y compris des personnes pour vous soutenir dans la pratique plutôt que de la perturber ou vous en détourner.
La simplicité dans la façon de vivre qui correspond au fait d’avoir moins d’attachements.
Et le contentement qui en découle.
Éviter de mener trop d’activités en dehors de la méditation permet de se libérer.
Quand il n’y a plus grand-chose à faire et qu’une certaine liberté s’installe, il devient facile d’éviter les erreurs et vous adoptez une attitude très juste dans chaque situation.
Éviter les perturbations importantes comme les désirs avides, l’infatuation monstrueuse, la colère et les pensées et les actes qui en découlent.
Quelqu’un qui veut vraiment méditer doit vérifier ces six points et s’ils ne sont pas présents réellement, la personne doit les placer dans sa motivation et sa conscience. Ces préliminaires semblent éloignés de la méditation proprement dite mais ils constituent pourtant les éléments indispensables pour que la méditation « s’installe » au mieux.
Une attitude juste
Comment commençons-nous à méditer ?
Love attitude
Nous commençons par des pensées d’amour bienveillant et de compassion pour tous les êtres sensibles.
L’amour, c’est vouloir que tous les êtres soit heureux. Élargir de telles pensées à tous les êtres sensibles n’est pas chose facile. C’est là que l’équanimité peut nous aider.
- Avoir une pensée, une vue équanime, c’est par exemple se dire que tous les êtres sensibles cherchent le bonheur et un certain confort de vie comme je peux le faire et que tous ces êtres, tout comme moi aussi, cherchent à s’écarter basiquement de l’insatisfaction et de la souffrance.
- Il faut comprendre qu’avec le cycle sans commencement ni fin des renaissances, tous les êtres sensibles ont été à un moment notre père, notre mère, notre partenaire de vie ou un ami et ont fait preuve à mon égard de bienveillance et d’amour. Ils sont donc à considérer avec une égale importance.
- Et du point de vue de la réalité ultime, il n’y a pas de séparation duelle entre « moi » et « les êtres sensibles », ce que je suis est ce que les autres sont, car nous ne sommes pas différents dans l’essence. Ultimement, l’analyse montre qu’il ne s’agit pas de « mon » esprit et du « leur ». C’est un point de vue erroné.
Le parachèvement de l’équanimité par rapport aux êtres est cette totale absence d’aversion ou d’inclination partiale. Elle se fonde sur les trois points ci-dessus et est elle-même un fondement pour nourrir un amour vaste vers tous les êtres, vouloir qu’ils soient pleinement heureux.
L’attitude de compassion
La compassion est vouloir que les êtres arrêtent de souffrir et soient séparés des causes de la souffrance. Si l’amour, vouloir que tous les êtres soient heureux, est de l’ordre du souhait, alors l’attitude de la compassion part du point : « Vous constatez la souffrance et vous ne voulez pas que les êtres souffrent. ». Alors qu’est-ce que cela veut dire ? Quels objets de souffrance devrez-vous identifier ? Cette question relève d’un enseignement que je n’ai pas le temps de développer ici.
Nous devons reconnaître honnêtement que nos compétences et nos habiletés sont très limitées pour aider au bien des êtres. Comment faire alors pour les libérer de leur souffrance ? Comment les mettre sur le chemin du bonheur ? Nous voulons pourtant que, pour le bien des autres, ces conditions soient remplies.
L’éveil
C’est alors que le chemin vers l’éveil devient une évidence, pour son propre bien et pour le bien de tous les êtres, car nous développerons les compétences et les habiletés nécessaires. Nous cultivons alors l’esprit d’éveil selon les deux niveaux de réalité : relatif comme absolu.
Au niveau relatif, que pouvons-nous faire concrètement ? Eh bien d’abord, cultiver la générosité, la patience, la diligence, le sens de l’éthique et le discernement. Nous pouvons tous commencer simplement par là. Avec le développement de certaines méditations, nous parachevons un sens plus ultime de l’esprit d’éveil qui permettra de libérer ultimement les êtres.
La méditation
Il y a la disposition du corps et la disposition du mental. La position corporelle est importante et il faut s’assurer que notre posture de méditation est correcte. La question suivante est : « où allons-nous placer notre esprit et comment allons-nous nous concentrer ? »
Il est dit que le corps est dans une posture correcte quand les canaux d’énergie sont en bonne position. Quand c’est le cas, les souffles circulent correctement dans les canaux1. Il est dit aussi que lorsque cette circulation est correcte l’esprit devient plus calme et clair. Voilà la manière dont le corps agit sur l’esprit. L’esprit agit sur le corps de la même façon car il y a une connexion entre eux. Ils agissent l’un sur l’autre.
L’importance de la posture
La posture idéale est celle du Bouddha Vairocana où il figure les mains jointes reposant dans le giron. Il est important d’adopter cette posture pour éviter la torpeur ou l’agitation mentale. La posture peut constituer, à elle seule, la moitié de la méditation. Car c’est par la position du corps, des canaux et donc la circulation des souffles qui agissent sur l’esprit que se développent naturellement les aspects de calme et de clarté. Une histoire raconte qu’avant l’époque du Bouddha, il y avait beaucoup d’ahrats qui méditaient en forêt dans une posture parfaite. Les singes les observaient. Ils se sont mis alors à imiter les ahrats, adoptant les mêmes postures. Au fil du temps, les singes sont devenus eux-mêmes très paisibles et clairs. Après le départ des arhats, les singes essaimèrent dans les forêts voisines où des humains s’étaient retirés pour pratiquer et améliorer leur méditation. Mais les pauvres humains n’avaient pas la posture correcte, ils rencontraient beaucoup d’obstacles, ressentaient de la frustration et se mettaient en colère. Les singes, voyant la situation, décidèrent de leur montrer la posture qu’ils avaient apprise des arhats. Les humains qui imitèrent les singes trouvèrent alors la posture juste qui leur permettait de trouver calme et clarté dans la méditation.
Se tenir le dos droit, quelle que soit la position des jambes (lotus, demi-lotus, croisées ou sur une chaise), est en quelque sorte la structure du corps qui permet à la structure interne des canaux d’être droite. Selon la description bouddhiste, il y a, basiquement, un canal central, un canal droit et un canal gauche. Ces trois canaux principaux se ramifient en de nombreuses subdivisions, des sous-canaux. Quand les souffles subtils liés à l’esprit circulent dans le canal central, l’esprit devient naturellement calme et apaisé mais lorsqu’ils circulent principalement dans la canal gauche ou droit, l’esprit devient plus soumis à des fluctuations émotionnelles. Voici le schéma. C’est pourquoi la posture droite de méditation permet à l’énergie, aux souffles subtils d’accéder au canal central. Et lorsqu’ils y circulent l’esprit devient plus clair et paisible. Voilà la raison d’une posture correcte qui va pacifier les émotions perturbatrices qui sont liées à un souffle particulier.
La posture assise en 7 points :
1 - La posture des jambes en lotus va faire placer correctement le flux du souffle descendant, ce qui aura pour effet de pacifier l’émotion de la jalousie (mais n’imaginez pas que vous allez faire disparaître la jalousie d’un coup).
2- La posture des mains dans le giron, la droite au-dessus de la gauche avec les pouces qui se touchent légèrement, permet au souffle semblable à l’eau de circuler librement, ce qui aura pour effet de diminuer l’émotion de colère.
3- Le dos doit être le plus droit possible et la colonne vertébrale comme une lance plantée verticalement dans le sol. Cet aspect de la posture est lié au souffle semblable à la terre, le prana ascendant dont la circulation correcte distribue de l’énergie à toutes les parties du corps et contribue à diminuer l’ignorance.
4- Les épaules sont droites, ouvertes. On peut dire que leur position est reliée au souffle tout imprégnant, souffle dont la circulation libre atténue aussi l’ignorance.
5- Le menton et la tête sont légèrement et doucement rentrés après que la mise en place des épaules a eu tendance à les faire monter. Cela équilibre le souffle semblable au feu et l’émotion du désir.
6- La langue vient se placer sous le palais et toucher l’arrière des dents supérieures à l’avant de la bouche. Cette position joue sur le souffle grossier de la respiration.
7- Les yeux regardent vers l’espace situé à quelques longueurs de doigt devant le nez, légèrement baissés, sans effort ni tensions. L’orgueil est diminué par la position correcte du canal dans ce placement des yeux.
La description du corps est complète maintenant. Nous abordons maintenant les dispositions de l’esprit.
La deuxième partie de cet enseignement sera publiée dans le prochain numéro.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°11 (Automne 2019)
Shangpa Rinpoché, né en 1960, a été reconnu comme une incarnation du grand yogi Shangpa, disciple du 15e Karmapa. Après avoir reçu une formation complète en philosophie bouddhiste, en littérature, en poésie et en histoire du bouddhisme, il reçoit de nombreux enseignements et initiations de grands maîtres. Responsable de son monastère au Népal, il développe une grande activité dans d’autres régions ainsi qu’en de nombreux pays du Sud-Est asiatique.
De passage à Paris à l’Espace Bouddhiste Tibétain, nous avons suivi son enseignement pendant deux jours.