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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Intention et motivation

Comment nous motiver à vivre en accord avec nos meilleures aspirations ?

 

Traduit de l’anglais par Dominique Thomas

 


Le fait de passer nos journées entre la fixation d’intentions et le dévouement joyeux, même une fois par semaine, peut changer notre façon de vivre. Il s’agit d’une approche délibérée de la conscience de soi, de l’intention consciente et de l’effort ciblé – trois dons précieux de la pratique contemplative – par laquelle nous assumons la responsabilité de nos pensées et de nos actions et prenons en charge notre personne et notre vie. Comme l’a dit le Bouddha, « vous êtes votre propre ennemi / et vous êtes votre propre sauveur ».


Le Bouddha a vu que nos pensées, nos émotions et nos actions sont les sources premières de notre souffrance. De même, nos pensées, nos émotions et nos actions peuvent être la source de notre joie et de notre liberté. Vivre, autant que possible, avec une intention consciente est la première étape de cette transformation. Ainsi, les deux exercices suivants d’intention et de dévouement sont le premier pas vers une plus grande clarté et cohésion dans notre vie, notre travail et notre relation avec les autres.

En outre, lorsque nos aspirations incluent le bien-être et le bonheur des autres, nos actes et notre vie dans son ensemble acquièrent un but qui dépasse notre existence individuelle.

 

L’établissement d’une intention consciente

Dans ce programme, nous commençons chaque session par une pratique appelée « établir votre intention ». C’est un exercice de contemplation, adapté d’une méditation traditionnelle tibétaine, une sorte de contrôle préliminaire au cours duquel nous nous relions à nos aspirations les plus profondes pour qu’elles puissent imprégner nos intentions et nos motivations. Ainsi reliés, nous composons un ensemble de pensées qui forment l’arrière-plan à partir duquel nos pensées et émotions ultérieures émergent.


En anglais courant, nous employons souvent les deux termes intention et motivation de façon interchangeable, comme s’ils signifiaient la même chose, mais il y a entre eux une différence importante : le caractère délibéré. Notre motivation pour faire quelque chose désigne la ou les raisons qui sous-tendent notre comportement ; c’est la source de notre désir et l’impulsion à agir. Nous pouvons être plus ou moins conscients de nos motivations, que les psychologues définissent comme le processus qui « déclenche, soutient et régule le comportement animal et humain ». Pour dire les choses simplement, la motivation est ce qui nous met en mouvement. Pour certains, ce peut être la célébrité, pour d’autres l’argent, l’excitation ou le frisson, le plaisir sexuel, la reconnaissance, la loyauté, le service, le sentiment d’appartenance, la sécurité, la justice, etc. La force de la motivation se développe dans un cycle de renforcement mutuel entre le désir et sa satisfaction : quand une chose que nous accomplissons s’avère gratifiante, nous voulons la refaire ; en la faisant à nouveau, nous sommes récompensés une nouvelle fois et désirons encore plus recommencer…

De son côté, l’intention est toujours délibérée ; c’est l’expression d’un but conscient. L’intention est nécessairement consciente, alors que la motivation, comme le souligne Freud, n’a pas besoin d’être consciente, même pour la personne elle-même. Nous avons besoin d’intentions pour une vision à long terme. Nous établissons et réaffirmons nos meilleures intentions pour rester enclins à suivre les directions dans lesquelles nous voulons vraiment aller. Mais nous avons besoin de motivations qui nous fassent continuer à avancer sur le long terme. Si notre intention est de courir le marathon, il y aura des moments où, quand le réveil sonne le matin pour nos quinze kilomètres d’entraînement avant d’aller travailler, ou au milieu de la course, nous allons nous demander très raisonnablement : « Pourquoi est-ce que je fais cela ? » Nous avons alors besoin de bonnes réponses inspirées pour dépasser ces caps. Qu’elle soit consciente ou non, la motivation est le « pourquoi », l’étincelle qui se trouve derrière l’intention.


Vous pouvez faire cet exercice d’établissement de l’intention chez vous, dès que vous vous réveillez le matin, si cela vous est possible. Ou bien dans le bus ou le métro pendant votre trajet quotidien. Si vous travaillez dans un bureau, vous pouvez aussi le faire assis à votre poste de travail, avant de commencer votre journée. Vous avez simplement besoin de deux à cinq minutes sans être interrompu. La tradition tibétaine recommande d’établir notre intention et de vérifier nos motivations de cette manière au début de la journée, au début d’une méditation assise, et avant toute activité importante. Notre intention donne le ton de tout ce que nous sommes sur le point de faire. Comme la musique, l’intention peut influencer notre humeur, nos pensées et nos sentiments – en établissant une intention le matin, nous donnons le ton de la journée.

 

ÉTABLIR UNE INTENTION

1. Tout d’abord, adoptez une posture assise confortable. Si vous le pouvez, asseyez-vous sur un coussin posé à même le sol, ou sur une chaise avec la plante des pieds bien posée au sol, ce qui vous donne le sentiment d’un bon ancrage. Si vous préférez, vous pouvez également vous allonger sur le dos, idéalement sur une surface pas trop molle. Une fois que vous avez trouvé votre position, détendez votre corps autant que vous le pouvez ; faites quelques étirements si cela est nécessaire, en particulier au niveau des épaules et du dos.

2. Ensuite, les yeux clos si cela vous aide à vous centrer, prenez de trois à cinq profondes respirations diaphragmatiques ou abdominales, en attirant à chaque inspiration le souffle vers le bas, jusque dans le ventre, et en remplissant ensuite le torse du bas vers le haut comme si vous remplissiez un vase d’eau. Ensuite, avec une longue et lente expiration, expulsez tout l’air à partir du torse. Si cela vous aide, vous pouvez expirer par la bouche. Inspirez… et expirez…

3. Une fois que vous vous sentez bien enraciné, observez soigneusement les questions suivantes : « Qu’est-ce qui pour moi a profondément de la valeur ? Qu’est-ce que je souhaite du fond du cœur à moi-même, aux êtres que j’aime et au monde ? » Laissez ces questions faire leur chemin dans votre esprit et voyez si des réponses vous viennent. Si aucune réponse spécifique n’apparaît, pas d’inquiétude ; gardez simplement à l’esprit ces questions ouvertes. Il vous faudra peut-être un peu de temps pour vous habituer à cela puisqu’en Occident, quand nous nous posons des questions, nous nous attendons en général à y répondre. Comptez sur le fait que les questions elles-mêmes font leur effet, même – ou en particulier – lorsque nous n’avons pas de réponses toutes prêtes. Si des réponses vous viennent, reconnaissez-les au moment où elles apparaissent et restez présent à toute pensée et tout sentiment qu’elles peuvent porter.

4. Pour finir, développez en tant qu’intention consciente, pour la journée par exemple, un ensemble spécifique de pensées telles que : « Aujourd’hui, puissé-je être plus pleinement conscient de mon corps, de mon esprit et de ma parole, dans mon interaction avec les autres. Puissé-je, du mieux que je peux, éviter de faire délibérément du mal à autrui. Puissé-je être en relation avec moi-même, les autres et les événements qui se produisent autour de moi avec bonté, compréhension et moins de jugement. Puissé-je employer ma journée d’une façon qui soit en accord avec mes plus profondes valeurs. » Établissez ainsi le ton de la journée.

 

Une fois que l’établissement d’une intention est devenu plus familier, on peut accomplir cette pratique en une minute à peine, voire moins, et trouver, au cours de la journée, des occasions de vérifier nos intentions. Les médecins qui ont suivi le CCT[1], par exemple, profitent du moment où ils se lavent les mains entre deux patients pour se recentrer sur leurs intentions, et ils expliquent comment cela les amène à être plus centrés et présents pour le patient suivant.

On peut même sauter les trois phases de la pratique formelle et faire une rapide réinitialisation en lisant ou en récitant quelques phrases riches de sens. Vous pouvez pour cela utiliser la prière des Quatre illimités :

Puissent tous les êtres obtenir le bonheur et les causes du bonheur.

Puissent tous les êtres être libres de la souffrance et des causes de la souffrance.

Puissent tous les êtres ne jamais être séparés de la joie qui est libre de toute souffrance.

Puissent tous les êtres demeurer dans l’équanimité, libres de tout préjugé d’attachement et d’aversion.

 

Dédier notre expérience

Dans la tradition tibétaine, la pratique de l’établissement d’une intention va de pair avec un autre exercice contemplatif appelé la dédicace. Celle-ci a pour rôle de compléter le cercle, en quelque sorte. À la fin d’une journée, d’une méditation, ou de tout autre effort fait, nous nous reconnectons avec les intentions établies au départ, réfléchissons à ce qu’a été notre expérience à la lumière de ces intentions, et nous nous réjouissons de ce que nous avons accompli. C’est comme un inventaire de fin de journée, qui nous donne une autre chance de nous relier à nos plus profondes aspirations.

 


FAIRE UNE DÉDICACE

En fin de journée – avant d’aller vous coucher par exemple, ou quand vous êtes allongé sur votre lit avant de vous endormir –, repensez à votre journée. Revoyez brièvement les événements du jour (y compris les conversations, humeurs et autres activités mentales signifiantes) et remettez-vous en contact avec l’état d’esprit de l’intention établie le matin. Voyez dans quelle mesure ces deux données sont en adéquation. Il est important de ne pas vous empêtrer dans les détails de ce que vous avez fait ou pas. L’idée est non pas de compter minutieusement les points, mais de passer globalement en revue votre journée pour examiner la synergie entre vos intentions et votre vécu. Quels que soient les pensées et sentiments qui peuvent se faire jour dans ce tour d’horizon, restez simplement présent. Vous n’avez pas à les repousser s’ils ont un aspect négatif ; ni à vous y accrocher s’ils paraissent positifs. Restez juste quelque temps en leur présence, en silence. Pour finir, pensez à un élément de cette journée qui suscite en vous un sentiment positif – un coup de main donné à votre voisin, l’oreille attentive prêtée aux paroles d’un collègue en détresse, le calme que vous avez su garder au magasin quand quelqu’un a coupé la file d’attente. Réjouissez-vous alors à cette pensée. Si vous ne trouvez rien, réjouissez-vous au moins d’avoir commencé votre journée en établissant une intention consciente.


Cet exercice doit être court, d’une durée de trois à cinq minutes. Si vous avez l’habitude de lire un peu avant de dormir, vous pouvez réserver les trois à cinq dernières minutes à la dédicace. Si vous avez pour habitude de regarder la télévision, ne pourriez-vous pas l’éteindre de trois à cinq minutes plus tôt ? Ou bien aller dans un endroit calme pendant les publicités ? Avant d’aller dormir, nous réjouir de notre journée, ne serait-ce que de l’effort que nous avons accompli, est important. Cela nous donne quelque chose de positif à apporter au jour suivant et nous aide à mettre en place une motivation efficace au service de nos intentions.


En fin de journée, notre dédicace peut se porter plus particulièrement sur les actes de bonté dont nous avons fait preuve à notre égard ce jour-là. De cet examen très ciblé, il ressort pour la plupart d’entre nous que nous verrons les écarts qu’il y a entre nos intentions et notre comportement, entre nos aspirations et notre vie réelle. Il est alors important de ne pas culpabiliser, de ne pas porter de jugement négatif et autocritique. Nous prenons acte de la différence et décidons de réessayer le lendemain. En elle-même, cette prise de conscience va nous aider à être plus attentif le jour suivant, ouvrant des possibilités de mettre nos pensées et actions quotidiennes en adéquation plus étroite avec nos objectifs.

 

Comment l’intention devient motivation ?

L’établissement d’une intention est important et la nature de cette intention, tout aussi cruciale. Cependant, comme le savent ceux qui ont déjà essayé de tenir une résolution de nouvel an, une intention, même vraiment sincère et bonne, n’est en aucun cas un fait accompli. Nous pouvons souhaiter le matin être compatissant et attentionné envers les autres, et nous retrouver l’après-midi même – ou beaucoup plus tôt – dans une position où priment plutôt l’intérêt personnel et le jugement. La relation entre, d’une part, nos intentions conscientes et, d’autre part, nos motivations – le plus souvent inconscientes – est complexe. Mais en persévérant dans la prise de conscience et la réflexion, nous pouvons progressivement les amener à être plus en adéquation.


Le Dalaï-Lama a suggéré un jour une façon simple de faire le point sur nos motivations, en nous posant à nous-mêmes les questions suivantes : « Est-ce seulement pour moi ou aussi pour les autres ? » « Au bénéfice de quelques-uns ou du plus grand nombre ? » « Pour aujourd’hui ou pour l’avenir ? » Ces questions aident à clarifier nos motivations en nous apportant une conscience critique de nous-mêmes (critique au sens objectif du discernement et non pas du jugement). Elles nous servent aussi de rappel pour que nous fassions de la compassion le support de nos pensées et de nos actes. Nous pouvons nous poser ces questions avant d’entreprendre quelque chose, pendant ou même après – il y aura toujours une nouvelle occasion de (ré-)établir notre intention et une nouvelle chance d’agir en accord avec elle.

[…]


La façon dont nous nous motivons nous-mêmes pour suivre nos plus profondes aspirations a été une question d’importance majeure dans la longue histoire de la psychologie bouddhique. Selon la pensée bouddhique, la motivation relève du désir, plus précisément du désir d’agir, accompagné d’un sens de but. En l’occurrence, si nous voulons être plus compatissants, c’est en établissant un lien émotionnel avec la compassion et ses objectifs que nous éveillons en nous le désir d’agir avec compassion. Et c’est en en voyant les bienfaits que nous comprenons la raison d’être d’une plus grande compassion. La psychologie contemporaine n’a pris qu’assez récemment conscience du rôle des émotions dans ce qui motive notre comportement. Longtemps, la théorie occidentale de l’action était dominée par celle du choix rationnel, les émotions étant accusées de venir troubler le processus, plutôt que de faire intégralement partie du système. Pour exprimer la dimension duelle de notre motivation – conscience cognitive de nos objectifs et lien émotionnel avec eux –, la psychologie bouddhique utilise un terme dont il est pratiquement impossible de cerner le sens à l’aide d’un seul mot en anglais. Le mot sanskrit shraddha (depa en tibétain) recouvre un sens très large qui comprend la foi, la confiance, la croyance, l’assurance, avec également des connotations telles que l’appréciation et l’admiration. Shraddha est un ressenti corporel, comme la sensation de confiance, plus qu’un état cognitif comme la croyance ou la connaissance. Au niveau de l’expérience, shraddha ressemble à quelque chose comme un attachement à un but ou une attirance vers lui, comme lorsque, voyant une rock star jouer de la guitare, nous sommes induits à faire de même. C’est cette qualité, shraddha, qui amène notre cœur et notre esprit à commander l’action.

 

Comment utiliser notre réservoir émotionnel ?

Les cognitions jouent un rôle crucial, que les premiers textes bouddhiques caractérisent comme le fait de voir la valeur d’une action. D’une manière assez similaire à celle employée de nos jours par les sociétés commerciales dans leurs publicités, les textes bouddhiques commençaient souvent par louer les vertus d’un idéal donné, ou d’une quête que l’auteur souhaitait recommander. À travers un engagement cognitif, comme celui d’envisager des bienfaits, nous relions l’intention à la motivation. Ainsi, au sein de cet ensemble de causalités, le lien crucial auquel nous devons être attentifs est celui qui relie la conscience du but et la raison pour laquelle nous nous y attaquons, les sentiments qu’il inspire et notre désir ou volonté de le poursuivre.


Donc, c’est à nouveau la joie que nous retirons de nos efforts (le courage d’essayer, le dévouement dont nous faisons preuve en persévérant) et de leurs résultats (la camaraderie née d’un apprentissage commun de la guitare, la magie de faire de la musique et de jouer ensemble) qui aide à affermir notre motivation sur le long terme. Ou, autrement dit, qui nous donne la volonté de continuer à essayer et à faire. Les parents qui se sont bagarrés avec leur enfant pour qu’il apprenne à jouer d’un instrument de musique reconnaîtront que tout a changé le jour où cet enfant a commencé à y prendre plaisir. Cela s’appelle la motivation intrinsèque, à l’opposé de l’extrinsèque qui est à l’œuvre lorsque, par exemple, les parents récompensent les efforts de l’enfant en lui permettant de regarder un peu plus longtemps la télévision. Des décennies de recherches sur la motivation nous apprennent que la motivation intrinsèque est beaucoup plus stable et durable.

Le processus consistant à établir des intentions et à y réfléchir avec joie dans la dédicace est pour nous la manière de transformer, avec le temps, les motivations extrinsèques en intrinsèques et, par là même, de soutenir l’énergie et le but d’une vie fidèle à nos meilleures aspirations.


[1] Thupten Jinpa a élaboré un programme standard pour une pratique laïque de la compassion, connu sous le nom de Compassion Cultivation Training (CCT). Des programmes de ce type sont financés à hauteur de 100 millions de dollars actuellement par les Instituts nationaux de la santé (NIH) américains.



Extrait de N’ayons plus peur, paru aux Éditions Belfond – L’Esprit d’ouverture

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°17 ( Printemps 2021 )

 




Ancien moine tibétain, Thupten Jinpa est un proche du Dalaï-Lama, dont il est l’un des principaux traducteurs officiels depuis plus de trente ans. Diplômé de Cambridge, professeur de théologie et membre du Mind and Life Institute, il se consacre à l’étude comparée des sciences et de la spiritualité.

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