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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

L’impermanence

Une vérité qui apporte la joie

Présentatrice de l'émission Sandrine Colombo

Invitée: Jeanne Schut

 

L’impermanence, cette notion fondamentale du bouddhisme, même si elle est évidente à comprendre, peut avoir d’immenses conséquences bénéfiques sur notre vie et notre façon d’être. En effet, à condition de l’éprouver à travers la pratique, l’impermanence mène à la cessation de la souffrance : c’est l’un des enseignements-clefs du Bouddha. Comment assumer les conséquences de la compréhension de l’impermanence ? Comment, en l’occurrence, parvenir au lâcher-prise et vivre l’instant présent, ce qui permet de se libérer des causes de la souffrance ? Jeanne Schut a été l’invitée de l’une des émissions de Sagesses Bouddhistes afin d’en discuter plus amplement. 

 

 

Sandrine Colombo : Quelle définition pouvons-nous donner à l’impermanence ? 

Jeanne Schut : En pali, le terme correspondant est anicca : -nicca veut dire « toujours », « constant », « durable », et a- est un préfixe privatif. Anicca est donc ce qui est impermanent, non durable. On le traduit traditionnellement par « impermanent » mais certains maîtres comme Ajahn Chah, par exemple, utilisent le terme « incertitude » : peut-être parce que dans le monde bouddhiste on entend trop parler d’impermanence sans trop y croire, sans vraiment l’entendre. L’incertitude c’est la conséquence de l’impermanence ; si les choses sont impermanentes, cela veut dire qu’on ne sait pas ce qui va arriver derrière — c’est ici même qu’on se trouve dans la notion d’incertitude, qui nous secoue davantage.  

 

Dans quel contexte le Bouddha a-t-il parlé de l’impermanence ? 

Le Bouddha l’a enseignée tout au long de sa vie, du premier discours jusqu’au dernier ; même lorsqu’il n’en parlait pas, c’était sous-jacent dans ses enseignements. Le mot « impermanence » apparaît lors de son deuxième enseignement, donné à ses anciens amis avec lesquels il a pratiqué l’ascétisme pendant six ans. « Vous voyez, nous sommes formés d’un ensemble, corps et esprit ; ce sont les cinq agrégats1. Si on en prend un, par exemple celui du corps, est-il permanent ou impermanent ? » Bien sûr, la réponse est « impermanent ». « Et ce qui est impermanent, est-ce agréable ou désagréable ? » Réponse : « Désagréable. » Et il est ainsi passé sur l’ensemble des agrégats et en a conclu que tous étaient des agrégats de souffrance. Autrement dit, tout ce qui nous compose est source de souffrance du fait que c’est impermanent.  

 

L’impermanence est une évidence, mais comment cette évidence peut-elle être la clef de la sagesse ? 

On dit que c’est une évidence mais, malheureusement, on ne l’enregistre pas vraiment. Bhante Gunaratana dit à ce propos : « Ça rentre par une oreille et ça sort par une autre », parce que c’est quasiment insaisissable. Il faut pouvoir prendre conscience qu’il y a une inévitabilité de l’impermanence ; ce n’est pas quelque chose de dramatique, c’est la réalité. Mais lorsque cette réalité nous pénètre, il se produit une espèce de réaction : une petite peur, ou au contraire un sentiment de liberté.  

Dans l’octuple sentier2 deux facteurs représentent la sagesse : la compréhension de l’impermanence mais également du karma, de la souffrance et du non-soi. Car lorsqu’on voit l’impermanence, on peut, petit à petit, avancer vers la compréhension de la souffrance. Le Bouddha nous apprend à nous libérer de la souffrance, c’est son seul enseignement. En voyant les choses changer, on peut souffrir. En voyant qu’il est inévitable qu’elles changent, on se met en harmonie avec la nature, avec la vie qui est en mouvement et par conséquent le changement devient acceptable. En fait, nous n’avons aucun contrôle sur les choses : quand on en prend conscience, nous lâchons prise, acceptons la vie comme elle arrive, avec beaucoup plus de présence.  

 

Le lâcher-prise de quoi exactement ? 

Dans un premier temps, le lâcher-prise de la peur… de lâcher prise. Dans un second temps, le lâcher-prise de cette illusion du contrôle : voir que c’est une illusion, qu’en réalité la vie mène les choses comme elle veut. On a tous eu l’occasion d’entendre parler, ou de vivre de près la mort subite d’une personne ; c’est un des exemples les plus graves mais c’est valable également pour la perte d’un travail — ça peut arriver n’importe quand. Au lieu d’en faire un sujet d’angoisse, il s’agit de se dire « c’est comme ça » et ainsi de se libérer de l’illusion afin d’être vraiment dans la réalité.  

 

Mais n’y a-t-il pas le risque de tomber dans une certaine forme de passivité, voire de défaitisme, ou à l’inverse de se dire : « Profitons-en à fond, rien ne dure » ? 

« J’en profite à fond » ce n’est pas mauvais, c’est un « c’est maintenant que ça se passe » : pourquoi ne pas être totalement présent à ce qui se passe ? Le défaitisme peut effectivement survenir si l’on pense à l’impermanence ; mais si on le réalise pleinement, c’est un lâcher-prise total qui se produit, c’est spontané, ce n’est pas réfléchi. Il est vrai que de passer par le mental peut effectivement donner la sensation que c’est inquiétant. Mais il n’y a rien d’inquiétant, c’est la réalité ! Quand la compréhension profonde de l’impermanence survient, une libération se produit, immédiate : on arrête de souffrir de ne pas pouvoir maîtriser les événements, on se sent libre — c’est comme une petite aiguille dans une bulle de savon. C’est comprendre que je n’ai pas besoin de faire d’effort pour aller contre le mouvement de la vie. Les projections dans le futur ou les souvenirs du passé sont des fabrications mentales, donc complètement conditionnées ; elles n’ont rien de réel. Nous avons tous fait un jour des projets qui ne se sont pas réalisés, car nous ne sommes pas dans la réalité. Il ne nous reste que cette alternative : être dans le présent et le vivre pleinement. C’est une libération de l’illusion du contrôle. Nous n’avons jamais rien contrôlé, ce corps n’est même pas à nous, il lui arrive ce qui lui arrive.  

 

Comment développer une conscience plus claire de l’impermanence ? 

Je pense que la méthode du Bouddha est bonne : il faut y aller par la méditation. Mais on peut aussi commencer très simplement en observant la nature autour de nous et voir que nous sommes faits des mêmes éléments. En nous il y a des os, c’est un peu comme le tronc de l’arbre, c’est l’aspect solide, l’élément Terre. Nous avons aussi du sang, tout comme la sève de l’arbre ; nos larmes ressemblent à la rosée, la chaleur de notre corps à celle du soleil, et enfin il y a l’air que nous respirons et qui est le même pour tous. Il faut voir que nous faisons partie de cette nature, complètement. Après avoir observé la nature et son aspect impermanent, nous pouvons accepter que nous fonctionnions exactement de la même manière. Ça devient plus paisible, plus joli, plus harmonieux, tout simplement.  



Ce qui est très étonnant avec l’impermanence, qui se manifeste partout

autour de nous, c’est qu’elle nous surprenne toujours ? 

Oui, c’est vraiment la grande illusion : on essaie de se faire croire que les choses vont durer, et la société nous y encourage — avoir une maison, se stabiliser, poser notre vie, avoir un travail qui va perdurer, etc. Puis finalement la vie nous apprend que ça ne marche pas toujours et que de toute façon tout change, tout le temps. Le Bouddha dit : voyez les choses telles qu’elles sont, et la vérité vous apportera la joie. 

 

Lorsqu’on commence à méditer sur l’impermanence, sommes-nous un peu déconnectés de ce qui se passe par ailleurs autour de nous ? 

On peut effectivement sentir qu’il y a un certain détachement qui se crée. Les personnes peuvent être surprises que vous ne réagissiez pas avec énormément d’émotion face à une situation, vous pouvez donc vous sentir différents ; mais je pense qu’à un certain moment dans la vie, surtout quand on s’est engagé sur le chemin spirituel de manière générale, il faut aussi savoir ce que l’on veut. Veut-on continuer à souffrir avec tout le monde ou veut-on voir un peu plus clair en regardant la réalité des choses ? Ça ouvre le cœur de voir qu’il y a une autre façon de regarder la vie et quand on voit les autres souffrir on peut leur tendre la main, car nous percevons mieux la souffrance puisque nous comprenons par où ils sont passés — nous étions dans le même bain il y a peu. Ça nous rend plus heureux, et meilleurs !  

 

Précisément, comme passe-t-on de la compréhension de l’impermanence à la fin de la souffrance ? 

Ça se fait très naturellement, en fait. On commence à lâcher peu à peu les attachements, on prend la vie comme elle vient, ça se fait tout seul. On voit la cause de la souffrance, qui était là parce que nous résistions à la réalité. L’enchaînement se fait tout seul mais on arrive peu à peu à se dire et à voir : « Que suis-je, moi, là-dedans ? » Il n’y a que des processus en mouvement. Le sang coule, l’ensemble du corps vieillit exactement comme la nature autour de moi. Il y a une très belle image pour cela : l’image de la cascade. Je l’ai vécue moi-même : un jour, au pied d’une immense cascade, que j’avais déjà vue un an auparavant, une fois assise devant en méditation, j’ai réalisé : « ce n’est pas la même cascade que j’ai vue la dernière fois ! Ni même en fait, la même que celle de la seconde d’avant, et celle encore d’avant… ! » Nos processus de vie sont exactement pareils, tout change tout le temps, il n’y a pas une personne qui soit la même entre hier et aujourd’hui. C’est plutôt questionnant ! 

 

Justement, touchons-nous à la question du non-soi ? 

Oui, tout à fait, et c’est pour cela qu’il faut le voir par la méditation sinon ça peut nous faire « éclater la tête » — comme le disait Ajahn Chah — car intellectuellement ça fait peur, ou on peut même trouver ça un peu ridicule. Mais lorsqu’on le voit par la méditation c’est une évidence ; ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de conscience qui voie ces processus. Les pensées par exemple passent à une vitesse folle : parfois on se saisit d’une pensée, on la rumine, mais en réalité c’est comme un courant électrique, ça va très vite. On ne peut pas se souvenir des pensées que nous avions il y a de cela cinq minutes : pourquoi s’identifier à une pensée qu’on ne maîtrise pas du tout ? Les pensées, les émotions, les états d’esprit changent tout le temps. On réalise donc qu’on n’est peut-être pas cela, qu’on n’est pas maître de tout cela, qu’on ne le contrôle pas.  

 

Est-ce une méditation qui peut être accessible à tous ? 

Tout à fait. Le Bouddha a donné un enseignement qui s’appelle les « Quatre fondements de l’attention » où il donne énormément d’exercices que nous pouvons faire les uns après les autres : d’abord sur le corps, qui est plus dense et plus facile à observer, puis sur les ressentis qui sont liés au corps, donc, puis sur les états d’esprit, les émotions, les pensées, et enfin sur les grands enseignements qu’il a lui-même donnés. Mais tout cela se fait en contemplation, c’est ce qu’on appelle la méditation vipassana, c’est-à-dire qu’il faut avoir déjà un bon degré de concentration pour vraiment les voir, tels que lui souhaitait que nous les voyions : voir l’impermanence. D’ailleurs, à la fin de chacun de ces exercices, il y a ce qu’on appelle un « refrain » qui revient — 13 fois : « tout ceci est dit pour que nous voyions l’apparition et la disparition du phénomène ». S’il s’agit des pensées, nous voyons l’apparition des pensées et leur disparition, etc. Tout le long, c’est le seul but de ces exercices, et c’est un texte fondamental dans le développement de l’attention.  

 

Finalement, quels bénéfices peut-on tirer de tout ce travail sur soi, à long terme ? 

C’est un travail qui demande effectivement un engagement, l’engagement d’une vie peut-être si on sent qu’il y a quelque chose de juste. On se lance sur le chemin et on est pris par la passion de l’observation intérieure, profonde. Les conséquences sont superbes : la première c’est qu’on est libre — on n’a plus besoin de tenir, de désirer les choses — si elles viennent, elles viennent, nul besoin de les repousser ; si elles arrivent, on les accepte. Mais on accepte aussi les grands changements comme la maladie, la vieillesse, la mort : on sait que ça doit arriver. Ça ne veut pas dire qu’on n’en souffrira pas mais on est prêts, on sait que ça fait partie de la vie.  

 

Ayya Khema préconisait de s’habituer à l’idée de la mort chaque jour. Pouvez-vous nous l’expliquer ? 

En fait il s’agit d’un enseignement du Bouddha qui disait que ce sont des contemplations qu’il faut faire souvent. Ayya Khema est allée plus loin en disant que ce sont des contemplations quotidiennes. La première était : il est dans notre nature de vieillir, nous ne pouvons pas l’éviter. Puis, il est dans notre nature de tomber de temps en temps malade, nous ne pouvons pas l’éviter. Puis, il est dans notre nature de mourir un jour, nous ne pouvons pas l’éviter. Et inévitablement, d’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre, nous serons séparés de ceux que nous aimons. C’est la phrase qui fait peur mais c’est tellement vrai ! Nous pouvons le voir autour de nous. Nous pouvons nous bercer d’illusions en se disant que ça n’arrivera qu’aux autres, mais nous savons que c’est inévitable. En se préparant jour après jour avec cette contemplation quotidienne, c’est vrai que l’idée fait son chemin : inutile d’y voir quelque chose de terrible, c’est la réalité. On s’harmonise à la vie car la vie est mouvement.  


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°10 (Eté 2019)

 


Traductrice spécialisée d’écrits de moines contemporains de la tradition bouddhiste theravada, Jeanne Schut pratique le bouddhisme dans la Tradition de la Forêt depuis plus de trente ans. À l’origine du site dhammadelaforet.org, une véritable mine d’or regorgeant de nombreux textes et enseignements des maîtres de la Tradition de la Forêt, traduits et accessibles à un large public, Jeanne Schut n’a eu de cesse de compiler, indexer et transmettre le Dharma. 







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