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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Francky et le chagrin d'amour

Le billet de Kankyo



« Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme,

ce n’est pas la mort, mais la crainte de la mort ? » Épictète


Eh bien, pour une chronique humoristique, ça commence bien : en prise directe avec la grande faucheuse ! Rassurez-vous, le thème principal de cette chronique ne sera pas la camarde mais bien ce qui se passe avant, pendant la vie : la gestion des émotions. Sous un terme barbare tout droit issu d’un séminaire de « positive management » (en anglais dans le texte) se cache l’un des plus grands défis du pratiquant bouddhiste, qu’il soit débutant ou avancé. Pourquoi ? Suivez-moi plutôt dans les méandres d’un cerveau de méditant lambda afin d’étudier cette question in vivo.

Assis en silence, le regard paisible et l’air épanoui, notre cobaye ressemble à une publicité vivante pour une retraite bouddhiste. Heureux, tranquille, en harmonie avec les éléments. Tout a l’air absolument parfait et pourtant... Si nous nous téléportons à l’intérieur de son cerveau (ou, pour les puristes, dans son « corps-esprit ») : la réalité est tout autre ! Notre ami, appelons-le Franky, est aux prises avec une pensée lancinante et taraudante, une de ces pensées irrésistibles, lesquelles, sorties par la porte, s’empressent de rentrer par la fenêtre et dont on n’arrive pas à se défaire.

Donc : Franky se prend la tête ! Il repense, en boucle, aux merveilleux moments avec Sandy, puis à la façon dont elle est tombée amoureuse d’un autre. Depuis qu’il est célibataire, Franck s’est lancé dans la méditation. Il a donc tout le temps pour revivre l’histoire en détails et pour se morfondre. L’image qui lui revient le plus souvent est complètement fabriquée. Il imagine Sandrine en train de cuisiner en rigolant avec son nouvel ami. Et c’est comme une épée qui lui transperce le cœur.


Les Sages sont formels, on peut constater qu’une image reconnue puis laissée à elle-même... disparaît !

Le pauvre Franky ! S’il en reste là, on peut dire qu’il est mal barré ! Heureusement, des légions de Sages venus du fond des âges ont quelques conseils pratiques à lui dispenser. Tout d’abord, prendre conscience que son émotion (un mélange de tristesse et de jalousie) n’apparaît pas comme ça, sans cause. Elle est générée par l’image de Sandy qui cuisine. Outre le fait que – dans la réalité – Sandy avait un sens culinaire plutôt discutable, cette image apparaît sans cesse car Franky lui laisse toute la place. Un peu comme un enfant qui arrache une croûte et qui saigne à nouveau. En méditation, les Sages sont formels, on peut constater qu’une image reconnue puis laissée à elle-même… disparaît ! Les émotions itou : une tristesse non alimentée finit par s’éteindre faute de bûches à consumer.


Alors que va faire Franky ? Il va gentiment, tel un héros du quotidien, s’installer en méditation avec son chagrin mais entouré par les Sages, et réaliser la chose suivante : cette émotion dépend des images mentales ou de son discours intérieur sur la situation. S’il accepte d’être assis au cœur de l’impermanence et d’observer images, « petite voix intérieure » ou sensations du corps, elles vont naturellement disparaître. Il s’agira d’observer sans les juger, sans les saisir, à la fois acteur et spectateur. Juste être là, ne pas bouger, et la source de la souffrance se tarira peu à peu... comme le soulignait si justement ce farceur d’Épictète !




Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°2 (Printemps 2017)


 


Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteur du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis quinze ans dans un monastère en Alsace.


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