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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Un bon modèle pour le futur - Les femmes dans le zen sôtô 

Présentatrice de l’émission : Audrey Godefroy, Invitée : Brigitte Seijô Crépon 

Interview extraite de l’émission Sagesses Bouddhistes du 5 décembre 2010


Brigitte Seijô Crépon pratique le zen dans la tradition zen Sôtô depuis une quarantaine d’années. Elle a fondé avec son mari, Pierre Crépon, le temple Kokaiji à Vannes (Bretagne), où elle enseigne. Tous deux ont également fondé une maison d’édition où sont publiés de nombreux ouvrages liés au bouddhisme.


Brigitte Seijô Crépon - Sagesses Bouddhistes


Qu’en est-il de la présence et du rôle des femmes, tant moniales que laïques, dans la tradition zen Sôtô ? Si elles se font discrètes, elles tiennent pourtant des places importantes au sein des communautés et ont de multiples activités. Sagesses Bouddhistes a reçu Brigitte Seijô Crépon lors de l’une de ses émissions pour en parler et revenir sur leur présence et rôle depuis la fondation de l’école zen Sôtô au Japon, par les deux patriarches maître Dogen (1200-1253) et maître Keizan (1278-1325), et ce jusqu’à nos jours.


Aurélie Godefroy : Vous êtes vous-même nonne dans la tradition zen Sôtô, pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

Brigitte Seijô Crépon : J’ai commencé à pratiquer très jeune, et j’ai eu connaissance du zen par les livres, essentiellement celui de Daisetz Suzuki qui s’intitulait Essais sur le bouddhisme zen et qui a fait connaître le zen en Occident. À l’époque, il y a une quarantaine d’années, le zen et le bouddhisme étaient très peu connus, et c’est vraiment le livre qui a aidé à faire connaître le bouddhisme zen en Occident. Ce qui m’a interpellée dans ce livre, c’est cet aspect du zen, énigmatique, qu’on ne peut pas saisir par les mots, qui fait appel à l’intuition. En réalité, je me rendais compte que je ne comprenais absolument pas de quoi il s’agissait. Et c’est cela qui m’a intéressée, et voilà comment j’y suis venue.

J’ai eu la chance, en plus, à l’époque, d’apprendre qu’il y avait un maître zen qui pratiquait et enseignait à Paris, maître Taisen Deshimaru, et je l’y ai rencontré. Il était arrivé en 1967 et était donc là depuis plusieurs années. Depuis lors, le zen est le fil conducteur de ma vie.

J’ai fait pas mal de séjours au Japon, allant de quelques semaines à plusieurs mois. J’ai séjourné dans un temple de moines où j’étais la seule nonne, mais également dans un temple mixte – c’est-à-dire qu’il y avait des nonnes et des moines, mais aussi des Japonais et des Occidentaux : cette expérience a vraiment été enrichissante et la rencontre des deux cultures très intéressante. J’ai pu constater que la pratique des nonnes était exactement la même que la pratique des moines : dans les temples de formation, ils reçoivent la même formation, on porte les mêmes vêtements, on suit les mêmes rituels, les mêmes préceptes, on a les mêmes responsabilités. Il n’y a donc absolument aucune différence.


Comment expliquer que le rôle des femmes soit aussi mal connu aujourd’hui, tandis qu’elles sont si présentes et qu’elles l’ont toujours été ?

Les nonnes ont été présentes puisque les fondateurs ont eu des disciples nonnes depuis le début. Même avant le zen, les premières ordinations bouddhistes au Japon ont été données à des femmes. Dans la littérature japonaise aussi, les nonnes bouddhistes étaient très présentes, même au xe siècle, et je pense qu’on méconnaît en France toute cette littérature, toute cette histoire. Je pense qu’on manque de traducteurs, on manque de recherches, parce que les nonnes ont vraiment existé, elles ont vraiment été présentes.


Ce sont justement les deux patriarches, les deux fondateurs du bouddhisme zen Sôtô, maître Dogen et maître Keizan, qui insistaient beaucoup sur l’égalité et sur le fait de transmettre l’enseignement sans discrimination…

C’était au xiii-xive siècle, et les deux fondateurs étaient extrêmement modernes, extrêmement avant-gardistes pour le Moyen Âge envers les femmes. Par exemple, maître Dogen parle des enseignants en disant : « Le plus important quand on pratique la Voie, c’est de rencontrer un maître. » Il ajoute : « Peu importe son aspect, peu importe que ce soit un homme ou une femme, c’est une personne qui doit être digne de confiance, une personne sûre. » Il ajoute ensuite : « C’est l’enseignement qu’il faut respecter, c’est l’enseignement qui est à étudier, peu importe son aspect. » Il ne faut donc pas faire de distinction entre les hommes et les femmes. C’est un point très important. Pour maître Dogen, tous les être animés, c’est-à-dire les humains, les animaux, les êtres inanimés (les plantes, les arbres, les tables, les chaises…) sont tous des manifestations de la nature de Bouddha, c’est-à-dire de l’Éveil. Donc, à partir de là, il n’y a plus de distinction.


Le texte que maître Dogen a écrit sur les femmes est magnifique : il évoque justement la femme comme un objet de convoitise charnelle. Que nous dit-il sur cet aspect-là ?

C’est un texte du Shôbôgenzô qui s’intitule Raihai Tokuzui : il y parle des personnes qui voient les femmes comme un objet de convoitise charnelle et dit ceci : si l’on n’est pas éveillé, si l’on n’a pas dépassé ses passions, alors que l’on soit un homme ou une femme, on reste attaché à ses passions. Le problème n’est pas tant l’objet de la passion, le problème c’est soi-même. C’est parce qu’on n’est pas éveillé que l’on tombe dans les passions et dans l’attachement égoïste. C’est une position assez révolutionnaire : ce n’est pas la femme qu’il faut rejeter, c’est soi-même qu’il faut observer, et essayer de comprendre qu’on n’est pas éveillé au fait que tous les êtres sont manifestation de l’Éveil.


Maître Keizan a lui aussi une histoire familiale très forte avec les femmes. Quel rôle a-t-il joué dans l’organisation des nonnes dans la tradition zen sôtô ?

Oui, effectivement, maître Keizan a principalement été élevé par sa mère qui était une religieuse, et par sa grand-mère. Sa mère a été abbesse d’un temple de nonnes et était très dévouée au Bodhisattva de la compassion, Kannon, qui est aussi une représentation féminine au Japon. Quand elle a reçu la charge d’abbesse du temple de nonnes, sa mère a confié Keizan à sa grand-mère qui s’appelait Myoshi, et qui elle-même avait été disciple du premier fondateur, maître Dogen, et était très pieuse également. Il était donc vraiment dans un environnement féminin et ça l’a énormément influencé. Sa mère était son guide spirituel.

Maître Keizan a fondé de nombreux temples, il a eu des nonnes comme disciples : il avait promis à sa mère, à son chevet, quand elle est morte, de tout faire pour la reconnaissance des nonnes et également pour l’éducation des femmes, qui au Moyen Âge n’était pas encore vraiment développée.

Parmi ses disciples nonnes, il y a eu notamment Sonin, qu’il a nommée abbesse d’un temple de nonnes dévouées au Bodhisattva de la compassion, Kannon, puis d’un autre temple. Ainsi il a toujours œuvré pour la reconnaissance des nonnes dans le bouddhisme zen Sôtô, bien que ça se soit fait beaucoup plus tardivement, que ça ait mis du temps à se réaliser.


Au Japon les temples sont dirigés par un couple, c’est-à-dire le moine qui est l’abbé du temple et sa femme. La plupart du temps, ils ont des enfants.

Faisons un bond dans le temps, du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Qu’en est-il aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les femmes cheffes de temple qui sont aussi des laïques ?

Oui, c’est très intéressant parce qu’en général au Japon les temples sont dirigés par un couple, c’est-à-dire le moine qui est l’abbé du temple et sa femme. La plupart du temps, ils ont des enfants. La femme du chef de temple est une laïque qui reçoit une ordination spécifique : elle joue un rôle très important dans la paroisse parce qu’elle est à l’écoute des laïques qui viennent au temple quand ils le veulent. Elle est à l’écoute des confidences, ce rôle est très important au sein de la population et elle est très respectée. Et bien qu’elles soient laïques, elles ont une vie religieuse et elles sont vraiment un exemple d’écoute compassionnée envers les laïques et toute la population.


Pour conclure, quelle est aujourd’hui la situation des femmes dans la tradition Sôtô, notamment en Europe ? Y a-t-il encore des progrès à faire ?

En Europe, il y a beaucoup de cas de figure. Il y a des couples, moines et nonnes, qui sont à la tête des temples, il y a des temples qui sont dirigés par des abbesses qui sont célibataires, il y a des nonnes qui sont mariées et qui à la fois enseignent et ont une activité dans le social… Il y a donc énormément de cas de figure, et c’est quand même très spécifique de l’école zen Sôtô, cette ouverture et cette souplesse dans la pratique de la Voie. En fait, le point important, ce n’est pas la fonction, ou le titre ; c’est la qualité de la personne, sa foi et ce qu’elle peut transmettre. Peu importe même qu’elle soit nonne ou laïque. Je pense que c’est un bon modèle pour le futur.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°4 (Automne 2017)


 


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