Un défi quotidien
Par lama Puntso
Parler du bouddhisme et de la vie professionnelle nous met naturellement face à une ambiguïté. Le bouddhisme est une voie de libération de la souffrance par un profond travail d’introspection, alors que le but de l’entreprise est de produire des biens ou des services ; pour survivre et se développer, elle cherche à créer de la valeur en générant du profit. Alors que l’un questionne le désir, l’autre cherche à le nourrir. Comment ces deux-là peuvent-ils se rencontrer et collaborer utilement ?
La pratique bouddhiste a plusieurs perspectives. Une des façons de la définir est de l’aborder en termes des trois entraînements : l’éthique, la méditation et le discernement. L’éthique peut se résumer au fait de ne pas nuire, individuellement ou collectivement. La méditation consiste à dévoiler la lucidité et la clarté de l’esprit, et à le pacifier. Quant au discernement, il permet de percevoir les situations telles qu’elles sont, le jeu de causes et de circonstances.
La pratique bouddhiste consiste également à « embellir le monde », c’est-à-dire à mettre en œuvre des moyens pour générer des circonstances favorables aux humains, à leur procurer de meilleures conditions de vies. En ce sens, on peut trouver dans le bouddhisme des valeurs et des méthodes qui permettent un mieux-vivre dans l’entreprise et, surtout, de développer une dimension éthique de façon très concrète dans l’organisation et dans les relations, tant en interne que vers l’extérieur. L’éthique est le fondement de tout développement, que ce soit dans la vie professionnelle ou dans une démarche spirituelle. En entreprise, on rencontre des équipes managériales dont la préoccupation est, bien sûr, de maintenir un appareil de production générant du profit, mais qui ne dérogent pas à l’éthique à tous les niveaux : qualité du produit, qualité de vie dans l’entreprise et respect du client. C’est un défi quotidien.
Les actions qui permettent d’atteindre ce but sont diverses : cultiver une motivation qui associe le développement de l’entreprise avec le bien-être des partenaires, développer une conscience des perturbations émotionnelles qui entravent la communication afin d’améliorer le travail en équipe, travailler sur les causes et les symptômes du stress, aider à gérer le temps en identifiant les réelles priorités, et il y en a d’autres.
La vision que propose le bouddhisme et les méthodes qui y sont associées sont applicables pour qui veut améliorer la vie au travail. Il ne s’agit pas d’avancer masqué, mais il est inutile de poser un label « bouddhiste » sur une approche qui, finalement, est une façon profondément humaine et lucide d’aborder les situations. Une chose est de s’inspirer de l’enseignement du Bouddha, une autre est de devenir bouddhiste. Ce n’est pas trahir une transmission authentique vieille de 2 600 ans que de s’en inspirer pour permettre aux humains de devenir plus humains. L’erreur consisterait à prendre l’un pour l’autre et à réduire le bouddhisme à un développement personnel. Les deux ont leur raison d’être.
Comment alors irriguer la vie de l’entreprise d’une approche fondée sur le bouddhisme ? Comment injecter des valeurs voire des méthodes inspirées par l’enseignement du Bouddha dans le monde du travail ? Le point de départ est toujours le même : la prise de conscience de l’insatisfaction qui naît de notre façon d’aborder les situations et la certitude qu’une transformation est possible. C’est le principe des quatre vérités des Nobles1. Comme le dit lama Jigmé Rinpoché2 : « L’esprit, qui est fonda- mentalement lucidité, clarté et sagesse, peut trouver les solu- tions à ses propres problèmes. »
Un élément, cher au bouddhisme, est ici essentiel : l’exemplarité. Devenir éthique ne se décide pas mais se cultive. C’est l’entraînement qui permet la transformation.
Un élément, cher au bouddhisme, est ici essentiel : l’exemplarité. Devenir éthique ne se décide pas mais se cultive. C’est l’entraînement qui permet la transformation.
Le bouddhisme n’a pas de solutions toutes faites ou de méthodes prêtes à porter afin de donner sens à la vie professionnelle. Introduire le bouddhisme dans la vie professionnelle est affaire d’entraînement, de conscience intérieure, de questionnements afin d’aller vers plus de bienveillance et d’éthique. Comme nous l’avons dit, c’est un défi au quotidien dans lequel chacun, individuellement ou en groupe, peut enrichir sa vie. C’est bien de richesse intérieure dont il s’agit.
1 Les 4 vérités des Nobles, ou 4 vérités des Êtres nobles ou encore 4 Nobles Vérités de la souffrance constituent le premier enseignement du Bouddha donné à Sarnâth en Inde, il y a plus de 2 500 ans. Elles établissent le constat de la souffrance et de l’insatisfaction, celui des causes de la souffrance, celui de la cessation de ces souffrances et insatisfactions et celui du chemin qui mène à leur cessation.
2 Directeur spirituel de la congrégation Dhagpo Kagyu Ling, centre relié à la tradition Kagyupa du Vajrayana tibétain.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°7 (Été 2018)
Lama Puntso est enseignant et moine bouddhiste, responsable du centre Dhagpo Bordeaux (Aquitaine) et des programmes de Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne). Outre l’enseignement traditionnel, il anime depuis vingt ans l’Atelier des savoirs, un espace de rencontres interdisciplinaires, et intervient également en milieu professionnel.