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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Émotion-Illusion

Le sens des bonnos


Par Taisen Deshimaru & Dr Yujiro Ikemi



À l’origine des troubles psychophysiologiques, le bouddhisme situe la notion d’illusion, ce terme étant pris dans son sens le plus large. Pour désigner l’illusion, le bouddhisme japonais emploie le terme de bonnō formé de deux idéogrammes : bon, ce qui trouble et perturbe, nō, ce qui tourmente et afflige. L’illusion définit donc l’ensemble des fonctions physiques et mentales qui troublent et affligent le corps-esprit.

L’importance de l’illusion est due à cette spécificité humaine qu’est la conscience réflexive. C’est pourquoi le nombre des illusions issues de la conscience dépasse de beaucoup celui des illusions issues du corps, lesquelles ne répondent qu’à des tendances simples et affectent le moi de manière directe et immédiate.

Dans les temples zen, la coutume veut que la nouvelle année s’ouvre sur le son de la cloche frappée cent huit fois, chaque coup représentant l’action de couper chacune des catégories de bonnos. Au cours de l’histoire, on a proposé diverses classifications de ces bonnos, qui, toutes, revêtent un aspect arbitraire en raison même des multiples dimensions de chaque illusion. On a ainsi distingué, en premier lieu, les bonnos fondamentaux des bonnos qui en dérivent. Une classification plus tardive oppose les bonnos innés aux bonnos acquis, fruits de l’histoire individuelle et du contexte social. On distingue encore les bonnos pragmatiques des bonnos spéculatifs, issus de la conscience abusée par ses propres limitations. Il va sans dire que, ces classifications se recoupant, on aboutit à une nomenclature extrêmement complexe dont l’utilité n’est pas évidente. Et cela d’autant plus que l’actualisation des bonnos est tributaire du contexte et que plus une culture se complexifie, plus les bonnos eux-mêmes gagnent en complexité.

Il est toutefois indispensable de mentionner les bonnos fondamentaux en raison de leur rôle générateur:

– la convoitise, les désirs ;

– la colère;

– l’ignorance ;

– l’orgueil, l’arrogance;

– le doute;

– la croyance en la réalité du moi ;

– l’attachement aux points de vue extrêmes ;

– la fausseté du jugement[1] ;

– l’attachement aux croyances hérétiques;

– l’attachement à la pratique et à l’observance des hérésies.


Comment résoudre les bonnos, comment peut-on dépasser cette soumission à l’illusoire? L’observance des préceptes moraux ne répond que partiellement à la question. L’originalité du bouddhisme est de rappeler que les illusions (bonnos) sont la racine même de l’éveil (satori). Il s’agit donc d’un processus de transformation qui doit conduire à un changement qualitatif et non à un changement de nature. Celle-ci demeure identique et c’est pourquoi on peut devenir aussi bien bouddha que démon. Il ne s’agit pas de déraciner les mauvaises herbes ni de semer de bonnes graines, car ces dernières peuvent, si elles sont mal cultivées, produire des fruits malsains. Il n’existe fondamentalement ni éveil ni illusion. C’est pourquoi il est faux de définir a priori des catégories opposées. Nous devons, en revanche, être attentifs à l’aspect dynamique du processus.

Ainsi comprend-on qu’il n’y a pas destruction, mais transformation. Par la pratique de zazen, nous obtenons le recul nécessaire à l’observation et à la compréhension des illusions. Durant zazen, nos désirs, nos convoitises, nos ambitions, nos colères, nos jalousies, etc., parviennent clairement à la conscience sans pour autant que nous puissions les accomplir. Ils surgissent de l’inconscient, passent sous l’œil de la conscience et s’évanouissent comme le reflet disparaît du miroir lorsque la forme s’en éloigne. Leur énergie retourne alors dans le « grenier » où sont stockés les germes à l’état de pure virtualité. Dès lors, ce germe qui a été saisi dans sa vraie nature pourra éclore dans un terrain fertile préalablement assaini par le regard objectif de la conscience pendant zazen.


Caligraphie © Jacques Kugen Foussadier

Une illusion n’est pas une chose fixe ni une substance de notre esprit. C’est un visiteur, une chose qui vient de l’extérieur. Ainsi sont la peur, la colère, le doute, l’orgueil, l’anxiété, les désirs. À la surface de l’océan, les vagues ne peuvent apparaître sans le vent. C’est pareil pour les illusions. Si on ne reçoit pas de stimulation de l’extérieur, elles n’apparaissent pas. Les illusions ne sont que des visiteurs de passage. Mais, si l’on reçoit des excitations de l’environnement et qu’on ne s’y attache pas, il n’y a pas de place pour l’illusion.

C’est la sagesse qui apparaît.



[1] Cette notion est tout à fait comparable à celle qu’utilise la psychiatrie française pour désigner l’un des éléments constitutifs du syndrome paranoïaque.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°2 (Printemps 2017)

Extrait de Zen et self-control, ©Albin Michel – Espace Libre, 1991


 


Yasuo Deshimaru (1914-1982), appelé également Mokudō Taisen, plus connu sous le nom de Taisen Deshimaru, est un maître bouddhiste zen japonais de l’école Sōtō et l’un des principaux introducteurs du zen en Occident.Il est le fondateur et l’inspirateur de nombreux dojos et groupes zen en Europe.



Le Dr Yujiro Ikemi (1915-1999) est l’un des pionniers et leaders de la médecine psychosomatique. Sa contribution pour intégrer la sagesse orientale à la médecine psychosomatique occidentale et la placer au centre de la réflexion est saluée par la communauté scientifique mondiale.

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