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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Ecouter le silence


Par le maître du Dharma Hsin Tao, édité et traduit en anglais par Maria Reis Habito 

Traduction française : Sagesses Bouddhistes 

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Dans cette pratique1, vous écoutez simplement, sans vous attacher au son, ni au silence, ni au contraste entre les deux. Il n’y a aucun attachement du tout. Si vous êtes capable d’écouter de cette façon, vous arriverez finalement à un point où l’écoute se produit encore, mais elle n’a plus d’objet. En d’autres termes, il y a encore conscience, mais ce dont vous êtes conscient est vide

Le Shurangama Sutra dit : « Quand la conscience et les objets de la conscience deviennent vides, alors le vide et la conscience fusionnent et atteignent un état de perfection absolue. » Mais même alors, vous ne pouvez pas vous accrocher à cette expérience de l’unisson ; vous devez vous en détacher complètement en écoutant encore plus. C’est là que le texte nous dirige en disant : « Quand le vide et ce qui est en train d’être vidé sont éteints, alors la naissance et la mort, l’apparition et la disparition sont naturellement éteintes. » En d’autres termes, lorsqu’il n’y a plus de distinction mentale entre le vide et la forme, lorsque vous avez fait l’expérience de l’immobilité totale au cœur de tout, alors vous êtes revenu à « votre visage originel avant la naissance de vos parents ». C’est à ce point de retour que vous comprenez pleinement le samsara — la naissance et la mort — et que vous en êtes libéré. 

Cette méthode d’écoute décrite par Guanyin est un processus d’entrée profonde dans le samadhi, un état dans lequel le cœur et l’esprit « cessent » de produire toutes sortes d’actions intentionnelles et sont complètement immergés dans la non-action (wu-wei). Il n’y a plus de différence entre « être » et « néant ». L’ « être » est ce qui est visible, ce que nous voyons avec nos yeux ; le « non-être » est la pensée que nous gardons dans notre cœur, c’est-à-dire la pensée du néant ou du vide. Quoi que vous regardiez, il est important de ne pas le voir du point de vue de l’être ou du néant, mais plutôt de demeurer dans votre nature éveillée. 

La pratique chan de l’écoute du silence permet d’affiner nos cœurs et nos esprits, pensée après pensée, au point qu’ils deviennent toujours plus subtils et de plus en plus sensibles au calme et à la vacuité. Au fur et à mesure que nous progressons, nous nous rendons compte à quel point nous sommes limités par notre esprit de discernement : c’est notre esprit qui fait la distinction entre le son et le silence, et non pas nos organes auditifs. Mais si vous pratiquez l’écoute jusqu’à ne plus faire de distinctions, vous développez un pouvoir libérateur. Vous n’êtes plus bousculé par des concepts, des émotions ou d’autres objets mentaux. Au lieu de cela, vous décidez ce que vous voulez changer ou transformer. 

 

Quatre étapes pour écouter le silence 

Pendant que je m’entraînais à écouter le silence dans le cimetière, j’ai développé une méthode en quatre étapes qui m’a aidé à réguler ma respiration, et à calmer mon corps et mon esprit avant de commencer à écouter. Les trois premières étapes sont orientées vers la « cessation » de la distraction et dispersion de notre esprit en se concentrant sur un point (sk. : shamata) ; la quatrième étape implique la « vue » de la vacuité dans le calme de notre cœur et de notre esprit (sk. : vipashyana). Il ne faut pas oublier que les conseils d’un professeur expérimenté sont importants dans la pratique du chan afin de vous garder sur la bonne voie. 



Prenez sept grandes respirations. 

Asseyez-vous droit, le menton légèrement rentré, les yeux partiellement ouverts (pour éviter de rêvasser) et la bouche fermée. Inspirez profondément à partir du dantian, le centre énergétique situé juste sous le nombril. À chaque inspiration, soyez conscient de l’air qui traverse votre gorge et de la façon dont il passe par le nez à chaque expiration. Ce processus nous aide à inspirer de l’énergie fraîche, appelée chi, et à expirer l’énergie stagnante. 


Déplacer l’attention des yeux vers le nez, la bouche et le cœur. 

Cette étape est particulièrement axée sur la cessation ou la maîtrise de « l’esprit du singe2 » que nous trouvons si difficile à contrôler. Commencez par déplacer doucement votre attention des yeux vers la zone qui se trouve sous le nez, là où vous inspirez et expirez. Demeurez ici un instant. De là, déplacez l’attention vers la bouche. Enfin, déplacez votre attention de la bouche vers le cœur. Essayez de ne pas avoir de pensées, d’images ou d’attachement à l’expérience. Notre cœur spirituel est vacuité ; il n’a ni forme, ni taille. Une fois que cela est fait, recommencez à partir des yeux. Répétez cette opération sept fois. 


Observez la respiration. 

Inspirez et expirez naturellement tout en fixant l’attention de l’esprit du singe sur la respiration. Quand vous atteignez l’état où le singe ne se sent plus lié par la respiration mais apprécie de demeurer là, alors vous avez atteint le stade de cessation. Votre conscience est légère et claire — elle ne fait qu’un avec le souffle. 


Écoutez le silence. 

Alors que les trois étapes précédentes ont pour but d’arrêter l’esprit vagabond en le laissant demeurer sur le souffle, la quatrième étape de l’écoute est davantage liée à la « vue ». 

Afin de vous préparer, commencez par détendre vos oreilles, votre tête, votre cou, vos épaules et chaque cellule de votre corps. Laissez tout le corps se calmer complètement. Quand vous entendez des sons provenant de l’extérieur, comme une voix humaine ou le bruit d’une voiture qui passe, écoutez-les comme le son du silence. Quand vous vous dites que les sons qui vous empêchent de vous concentrer sont silencieux, ils le deviennent. Cependant, si vous vous dites qu’ils sont bruyants et dérangeants, c’est ce qu’ils seront. Continuez à écouter le son du silence en tout, en restant complètement détendu. 

Entendez le silence dans les montagnes et les rivières, la grande terre, le ciel. Finalement, l’univers entier finira par tomber dans un profond silence. Percevez ce même silence profond en vous-même. 

Dans cet état, il n’y a aucun son, et quand vous écoutez, vous écoutez le son de l’absence de son. Chaque pensée retourne au silence et devient immobile. Lorsque vous pratiquez cette technique, il est important de ne rien forcer quand vous écoutez, mais de rester détendu et d’écouter de manière naturelle. 

En fin de compte, c’est notre conscience unifiée avec le vide qui est réellement à l’écoute du silence. « Être conscient du silence » et « voir le silence » sont la même chose. Qui est conscient du silence ? Qui voit le silence ? C’est notre nature éclairée qui est consciente et qui voit. La prochaine étape dans la pratique est de demeurer dans la clarté du silence, et une fois que vous savez comment le faire, la dernière étape est d’éclairer votre propre esprit en voyant votre vraie nature. Cela peut prendre un certain temps pour atteindre ces étapes, mais si vous maintenez votre conscience du silence, alors vous finirez par l’atteindre. Il est très important de pratiquer lentement et régulièrement. Lorsque vous sentez que votre esprit recommence à errer tout en écoutant le silence, revenez à la deuxième étape et concentrez-vous sur le mouvement des yeux au nez, puis la bouche, sans pensées ou images dans votre cœur. 

Notre vraie nature est le vide de toute chose, la « véritable forme sans forme ». La pratique du Chan consiste à voir, entendre, être conscient de et savoir clairement cela. Il s’agit de réaliser que ce que nous avons l’habitude de voir, d’entendre, d’être conscients de et de savoir est une illusion. Nous commençons cette pratique de l’écoute pour nous accorder à une conscience plus profonde qui mène à la réalisation de la vacuité, ce qui à son tour nous vide de nos vues et notions erronées. Plus important encore, cette pratique du chan nous permet d’entrer dans la véritable forme de la nature éveillée. 

Une telle forme est éternelle ; elle est non-née et ne meurt jamais, n’est ni souillée ni pure, n’augmente ni ne diminue. Il n’y a absolument rien à quoi s’accrocher : pas de renaissance dans le samsara ; pas de monde de la forme physique, de sensation, de pensée, d’impulsion ou de conscience ; pas de douleur ni de bonheur, pas de gain ni de perte. C’est ce que le bodhisattva Guanyin a réalisé en écoutant le silence dans les sons des vagues3. Avec notre propre pratique, nous aussi, nous pouvons entrer dans le courant de notre véritable nature et voir notre visage tel qu’il est. 


1- Cette pratique est enseignée par Guanyin, bodhisattva de la compassion également connu sous le nom d'Ava- lokiteshvara, dans le Shurangama Sutra.

2- L’esprit dispersé par les pensées discursives.

3- Dans le Shurangama Sutra, Guanyin, qui vivait sur une île, écoutait le bruit des vagues qui s’échouaient sur les rochers du rivage.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)

 

À l’âge de 25 ans, maître Hsin Tao est ordonné moine au monastère de Fo Guang Shan par le vénérable maître Hsing Yun. Inspiré par les grands sages indiens, tels que Mahakashyapa et Milarepa en particulier, il pratique le chan (bouddhisme chinois) en retraite solitaire pendant dix ans, se retirant dans des cimetières et jeûnant pendant deux ans. En 1984, il fonde le monastère Wu Sheng de Ling Jiou Mountain à Taiwan.  

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