Propos de Laetitia Di Stefano recueillis par Marie-Christine Peixoto et Philippe Judenne
Photos © Philippe Judenne
Le Do In est une technique d’automassage japonaise dérivée du shiatsu et basée sur les principes théoriques de la médecine traditionnelle chinoise. Il s’intègre facilement à notre vie quotidienne car il peut être pratiqué par n’importe qui, n’importe où et en peu de temps. En Occident, de plus en plus de stages s’ouvrent vers le grand public. Ils sont conçus dans l’optique de donner à chacun une autonomie pour pratiquer librement pour préserver sa santé, renouant ainsi avec l’ancienne tradition orientale où le Do In se transmet et se pratique en famille, entre générations, aussi naturellement que certaines mamans coiffent ou tressent les cheveux de leurs enfants en regardant la télévision.
Comment décririez-vous le Do In ?
C’est une pratique qui se construit au fur et à mesure. À l’origine, c’est une tradition orientale que l’on trouvait dans le milieu familial — et c’est toujours le cas : les parents se massent, font des gestes, et les enfants les imitent. Ce n’était donc pas originellement une pratique institutionnalisée. Ce sont pour la plupart des gestes que l’on peut faire au quotidien, comme lorsqu’on se lève le matin et qu’on s’étire, comme lorsqu’on se cogne et que l’on frotte l’endroit où l’on a mal. C’est très instinctif. En Occident, la plupart du temps, nous ne sommes pas en contact avec notre corps, comme si nous n’en avions pas et que nous étions purement dans le mental, en permanence. Pourtant, écouter le corps – et dans les traditions familiales dès le plus jeune âge – c’est prendre contact avec lui et être déjà dans un lien entre énergie et matière, entre le corps et l’esprit. La pratique du Do In réapprend la spontanéité du corps et du geste. Nul besoin de connaître les trajets des méridiens de la médecine traditionnelle chinoise, au contraire, la pratique ne relève pas de l’intellect.
Comment décririez-vous le lien entre le corps et l’esprit ?
Le corps c’est la matière, la terre… mais aussi des douleurs, des contractures, tout comme l’esprit : quand on n’est pas conscient du corps, c’est souvent, aussi, qu’on ne veut pas être conscient des douleurs.
Dès que l’on réveille la conscience corporelle, on ressent ce qui se passe à l’intérieur et on peut ressentir les contractures et des douleurs. Souvent, et c’est inconscient, les gens se coupent de leur corps. Le stress génère cela aussi : le corps est très tendu et on ne sent rien. Dans leur pratique, je le constate : quelque chose est coupé. Le Do In réapprend cette conscience-là.
Ressentir les douleurs, c’est déjà être en mesure d’aller au-delà de la douleur, c’est donc très important de la ressentir. Dans le bouddhisme, on ne peut pas s’entraîner et atteindre la cessation de la souffrance si on ne la contacte pas. Voilà ce qu’a enseigné le Bouddha : son premier enseignement c’est que la souffrance existe. Il faut donc contacter cette souffrance pour se persuader de son existence, pour pouvoir travailler dessus. C’est la même chose dans le Do In.
Vous guidez les élèves pour qu’ils effectuent des digipressions en suivant certaines lignes du corps. Et on rencontre des points douloureux. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Pendant la digipression, on n’appuie pas à proprement parler, on exerce une « pression », un geste qui s’apprend avec le temps. On appuie avec son corps tout entier, non pas avec ses doigts et ses bras. On « donne » son poids, c’est-à-dire qu’on engage l’ensemble de son énergie, le Qi, dans ce geste. Habituellement, on ne prête pas attention aux gestes du quotidien. On les enchaîne « machinalement ». On ne sent pas son corps et tout d’un coup : « Aïe, j’ai une tendinite à l’épaule ! » Donc, engager le corps et l’énergie du corps dans sa globalité c’est être entièrement à ce que je fais, ça veut dire que mon corps y est mais mon esprit aussi. Si je suis complètement dedans, c’est impossible que je pense à autre chose, mon cerveau n’en est pas capable.
Quand ça fait mal, on reste dans la profondeur de la pression, là où c’est douloureux, puis on se relâche intérieurement, tout en gardant la fermeté. C’est la difficulté dans le Do In : rester dans la présence à la douleur, et respirer à l’intérieur – c’est ce qui fait que ça circule, et que la douleur se dissout d’elle-même. Une fois la douleur dissoute, on relâche la pression et on recommence sur le prochain point. On travaille sur quelque chose qui est de l’ordre du lien, lien qui se fait via la respiration.
C’est une action sans être une action, parce que quelque part c’est comme dans la méditation : on laisse faire mais en même temps il y a quelque chose de profondément fin et précis qui fait que la perception devient claire et nette.
Vous travaillez beaucoup sur la lenteur.
Oui. Quand je fais travailler dans l’infinie lenteur, je fais par exemple tourner la tête le plus lentement possible. Quelque chose se passe intérieurement, dans le système nerveux et les connexions, qui fait que notre cerveau est complètement à ce que nous faisons. Il ne peut pas y avoir de pensées ; sachant que les pensées représentent environ 1 % de l’activité cérébrale et ce qui est de l’ordre du mouvement, 30 %... Quand on est sur un mouvement très, très lent, comme lorsqu’on est complètement dans un geste, on ne peut pas avoir de pensées discursives, cette « bouillie karmique » habituelle qui arrive, c’est impossible. C’est cela qu’on recherche dans le Do In : être tellement à ce qu’on fait que quelque chose se passe. On s’unifie. À la fin du cours, les élèves me disent souvent : « je me sens rassemblé », en « unité ». C’est une action sans être une action, parce que quelque part c’est comme dans la méditation : on laisse faire mais en même temps il y a quelque chose de profondément fin et précis qui fait que la perception devient claire et nette.
Comment un cours avec vos élèves se déroule-t-il ?
J’enseigne le Do In à toutes les tranches d’âge : aux enfants, aux adultes. Dans les groupes parents-enfants, je montre d’abord le geste, chacun le faisant sur lui-même ; ensuite, le parent le fait sur l’enfant puis inversement, comme dans la tradition en fait. Les enfants adorent le Do In : on fait des choses très ludiques, sur le visage, on tire les oreilles, on tapote, on se lève, on fait des culbutes…
Dans les cours pour adultes, je commence par un moment de méditation — ou de relaxation, certains n’aiment pas le mot « méditation ». Pour les personnes âgées, je choisis une relaxation allongée par exemple. Pour les plus jeunes ou les plus habitués, je préfère une assise : on a d’ores et déjà la posture et quelque chose de l’ordre de la circulation dans le corps. C’est donc un « sas » qui amène à plus de présence, que l’on vienne du boulot, de la sortie de l’école, ou que l’on se soit simplement dépêché pour prendre le métro. Ce qui est nécessaire avant tout, c’est d’être présent. C’est une pratique de la présence.
Je vais aussi demander aux gens qui viennent pour la première fois s’ils ont une problématique physique ou autre en particulier. Selon ce qui se passe, je vais toujours passer par l’ensemble du corps, certains endroits très rapidement, et souvent dans un mouvement descendant ; pas forcément par la tête, mais par les bras, qui vont être notre outil de travail — et pour cela, il faut prendre conscience de leur poids. C’est symptomatique : on tient ses bras, ses trapèzes comme s’il n’y avait pas de tendons dans les épaules : il n’y a besoin de rien en fait, les bras tiennent tout seuls ! Je le fais souvent en début de cours car les gens arrivent tendus, les épaules aux oreilles. C’est pour cela que je répète : « relâchez les épaules » … relâcher n’est à vrai dire pas le mot juste : le relâchement n’est pas une action ; c’est intérieur, et souvent ça veut dire passer par la respiration. Respirer va donc permettre au corps de lui-même se relâcher : on ne permet plus à des informations de stress d’arriver là où elles veulent arriver, il n’y a plus de stimuli. Et peu à peu le corps donne son poids, il s’enfonce.
On apprend à travailler avec la gravité, ce phénomène d’attraction terrestre qui est toujours présent, et qu’on ne sent pas. Avec le Do In, on apprend à sentir le poids de son corps et on va travailler avec, travailler les points sans utiliser la force musculaire, juste avec la gravité On est amené à sentir la gravité dans chaque posture, et c’est loin d’être évident au début.
Le Do In est-il contre-indiqué pour certaines personnes ?
Si l’enseignant est bon, non ! (rires) C’est la nécessité d’adapter les exercices dans certaines situations : certaines personnes ne pourront pas faire certains exercices parce qu’elles ont une prothèse de hanche, une hernie discale, une migraine, parce qu’elles sont constipées, etc. Ce qui est magique dans le Do In, c’est que l’on peut avoir plein de façons de pratiquer. Quand je suis en cours avec des personnes qui pratiquent peu, j’adapte beaucoup : même avec une hernie discale, on peut pratiquer et apprendre à apprivoiser la maladie, ou les douleurs, et pouvoir continuer à être dans le mouvement. Typiquement, pour les personnes âgées, en prévention de l’arthrose, c’est extraordinaire d’être toujours en mouvement ! Les doigts, le cou… Il faut qu’il y ait du mouvement car, dans le cas de l’arthrose, quelque chose se cristallise à un moment donné. Ça peut être héréditaire mais il peut s’agir aussi de personnes qui ne bougent pas ; c’est là que le mouvement est essentiel. On apprend à entendre, à savoir ce que dit le corps : l’idée est d’aller jusqu’au point où un blocage se fait ressentir : qu’est-ce qui bloque, où ça bloque ? Je m’arrête là, je respire et essaie de trouver le chemin pour comprendre ce qui se passe. C’est pour cela qu’on bouge les hanches, les articulations… Ce n’est pas que de l’automassage.
Le Do In sert à créer, à redonner de l’espace, car nous sommes étriqués dans le corps. C’est pour cela que les gens se sentent « respirer » après : on a fait circuler l’énergie.
L’élève découvre une capacité d’autodiagnostic : peut-il se tromper dans son appréciation ?
On ne peut pas se tromper tant qu’on est dans l’écoute : le plus gros obstacle, c’est de ne pas être présent, et les gens s’en rendent compte ! Dès l’instant où l’on n’est pas présent, dès que le « je n’y arrive pas » survient. C’est une erreur : il y a ce que peut faire mon corps au moment T, aujourd’hui, et ce qu’il me dit. Le « je n’y arrive pas » veut dire que je suis en train de réfléchir à comment je vais faire et du coup, ça ne fonctionne pas. En résumé, c’est : « Je fais quelque chose, et le seul obstacle est mon mental. » Il n’y a pas de question de « bien » ou de « pas bien ». Nous sommes juste dans un laboratoire, avec des tubes à essai ! C’est l’expérience consciente qui compte ! Soyons clairs, c’est une pratique de la pratique, c’est-à-dire qu’on a besoin d’expérimenter, chez soi, de faire, de refaire, car finalement c’est une compréhension tout comme la méditation peut l’être. C’est la même chose. Et c’est en comprenant comment ça se passe, petit à petit, que l’on va apprendre à écouter le langage du corps et à dire que l’on souffre, par exemple, au niveau des lombaires L4-L5, puis à décrire la forme de cette douleur. On apprend par la suite ce qui soulage telle ou telle forme de douleur : le repos ou le mouvement, une certaine forme de mouvement, ou encore de travailler ou de faire autre chose, etc. Au bout d’un moment, on va avoir cette conscience affutée de son corps qui fait qu’on n’a même plus besoin de réfléchir à quel mouvement doit être fait, ça va venir naturellement – aller dans la lenteur, ou au contraire rester longtemps dans un étirement par exemple – parce que cela aura été intégré. Et cela demande beaucoup de pratique. Ce n’est pas que de l’automassage : on fait aussi des étirements, on mobilise les articulations comme pour l’arthrose par exemple. Quand on dit « automassage », les gens ont l’impression qu’ils ne vont faire qu’appuyer. Non, on frotte, on masse, on fait des percussions sur les jambes et des mobilisations articulaires qui sont très importantes. Le Do In sert à créer, à redonner de l’espace, car nous sommes étriqués dans le corps. C’est pour cela que les gens se sentent « respirer » après : on a fait circuler l’énergie. Les étirements1 partent du même principe : on se pose, on respire. On redonne de l’espace : il n’y a pas de je. Le je n’existe pas ! (rires). Et c’est pour cela que les étirements que l’on fait après le jogging ne sont pas les mêmes !
Y-a-il une durée standard pour la pratique du Do In ?
Non. Même avec cinq minutes le matin chez soi, on peut travailler sur le visage, le cou, frotter le dos l’hiver, les reins, les pieds… ou encore dans le métro, travailler sur les doigts. Ça peut être une toute petite chose, mais il faut que cela soit symétrique : si on fait un bras, il faut faire l’autre. Il n’y a pas de durée particulière car justement, c’est cela rentrer dans la pratique par plaisir. Après, on a envie de plus. C’est donc très bien de commencer par en faire un tout petit peu — ce n’est pas facile d’en faire seul à la maison, en dehors des cours… on est tous pareils !
J’ai régulièrement des demandes qui concernent les maux de dos. Je précise dès le départ que ce n’est pas magique, car beaucoup veulent que les douleurs ou les blocages se volatilisent tout de suite. Ce que le Do In permet, contrairement à d’autres pratiques, c’est que les gens apprennent à comprendre ce qui se passe et à comprendre cette capacité d’autoguérison du corps.
Prendre soin de soi par ce genre de pratique permet de comprendre comment on fonctionne, et peut-être d’éviter de prendre un cachet de paracétamol chaque fois qu’on a une petite douleur, d’accepter cette petite douleur, de peut-être la comprendre.
Un petit conseil ?
Ce qui est bien, c’est de venir « neuf » en se disant que l’on va à la découverte de quelque chose, à la découverte de soi. On pourra trouver quelque chose qui nous fait du bien, on s’en souviendra et on continuera de le faire. On me dit souvent : « Je suis content de venir chaque semaine parce que je me sens bien à la fin du cours, je me sens léger. » J’ai beaucoup d’élèves à présent qui me disent que ce qui est bien dans mes cours, c’est que je les aide à entrer à l’intérieur. À travers le corps et la rencontre avec le corps, on va au-delà du corps.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°11 (Automne 2019)
Nous avons rencontré Laëtitia au centre Kalachakra de Paris où elle enseigne le Do In à un large public. Nous interviewons cette pratiquante bouddhiste et praticienne de shiatsu après une séance en immersion.