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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Dissiper la confusion




Le terme « éveil » résonne souvent comme une dimension fantastique et merveilleuse alors qu’il signifie, en fait, être libre de toute confusion. Dans le contexte bouddhique, la confusion renvoie à une absence de clarté et de reconnaissance du fonctionnement de l’esprit. Ceci nous rend dépendants de nos ressentis et de nos opinions et nous entraîne dans un engrenage dont nous sommes les seuls responsables. C’est la raison pour laquelle nous sommes constamment insatisfaits et rencontrons des difficultés. Lorsque le train a du retard, généralement, la première réaction des passagers est de se mettre en colère. C’est une bonne illustration de ce qu’est la confusion. En effet, ignorant la cause du retard, tout le monde cède à la contrariété du moment qui pourtant ne changera rien à la situation. Cette méconnaissance est source d’insatisfaction. Ces états émotionnels tissent la toile de la confusion humaine et nous vivons notre vie sans savoir pourquoi l’esprit est constamment sous tension et rarement en paix. Forts de ce constat, nous pouvons alors chercher la ou les causes qui créent les perturbations. Une fois qu’elles sont identifiées, il apparaît naturellement qu’il n’y a aucune justification à cette tension. Elle se dissout alors d’elle-même.


L’esprit est ainsi facilement submergé. Prendre conscience de ces mouvements intérieurs crée une ouverture d’esprit et une acceptation qui permettent d’être moins distraits par les problèmes et les perturbations de la vie humaine.

Il est très simple de parvenir à ce résultat. La difficulté est due à notre implication dans de nombreuses situations, à nos vastes connaissances et aux habitudes relatives à notre éducation et à notre contexte culturel, social et, tout simplement, humain. Toutes ces connaissances et ces tendances nous distraient de l’essentiel. S’ajoutent à cela les circonstances liées à notre environnement. L’esprit est ainsi facilement submergé. Prendre conscience de ces mouvements intérieurs crée une ouverture d’esprit et une acceptation qui permettent d’être moins distraits par les problèmes et les perturbations de la vie humaine. Nous devenons alors les spectateurs de nos états émotionnels, comme si nous étions sur un pont surplombant une autoroute et regardions le flot de voitures roulant à grande vitesse en dessous. Bien en sécurité derrière le parapet, nous ne courons aucun danger et ne sommes pas inquiétés par la vitesse des véhicules. Il s’agit d’atteindre le même état : garder une distance par rapport aux mouvements émotionnels et conceptuels qui nous traversent pour que l’esprit reste détendu. Le but est de demeurer constamment dans cet état et non de façon occasionnelle. Les mouvements continueront de se manifester, ils sont inhérents à notre condition humaine, mais nous y serons moins attachés ou ne les rejetterons plus, ils deviendront moins gênants et n’influenceront plus notre conduite. L’esprit sera plus apaisé avec davantage d’acceptation et moins de jugements.



Acquérir une profonde détente demande du temps. Il est tentant de vouloir prendre des raccourcis ou de sauter des étapes, mais c’est précisément l’attitude qui empêche d’obtenir des résultats parce que l’on demeure alors uniquement à un niveau intellectuel, sans assimiler les choses en profondeur. L’esprit est habitué à collecter des informations, à amasser des connaissances, causes de confusion. Il n’y a rien de mal à apprendre ou connaître, là n’est pas le problème ; en revanche, il faut savoir que toutes les connaissances accumulées peuvent rigidifier nos opinions et mener à la confusion si nous ne savons pas comment les gérer. Dissiper cette confusion demande d’acquérir davantage d’espace dans l’esprit. Ceci est, d’une part, lié à notre corps physique puisque toutes nos perceptions transitent par nos facultés sensorielles, mais s’avère aussi directement associé à l’esprit. Il faut agir sur ces deux aspects pour qu’une détente s’opère et conduise à un apaisement. Les lectures, les enseignements reçus et les connaissances acquises ne restent plus au niveau de simples compréhensions intellectuelles, ils sont dorénavant ressentis différemment et nous devenons alors aptes à les mettre en œuvre, c’est-à-dire aptes à gérer les situations quotidiennes intérieures ou extérieures. La méditation est l’outil qui permet de créer et d’ancrer cette habitude.


Le flot des pensées est continu, mais dans un premier temps, essayons d’être attentifs à l’émergence d’une nouvelle pensée dans l’esprit. Nous nous rendons compte qu’elle est liée à un ressenti émotionnel immédiatement suivi d’un jugement binaire, le plus souvent : c’est bien ou mal, beau ou laid, agréable ou déplaisant, etc. Dans l’enseignement bouddhique, il est beaucoup question des afflictions : le désir, l’attachement, le rejet, l’orgueil, etc., cependant, nous ne voyons pas comment ces mouvements prennent place dans l’esprit parce que ce dernier est instantanément entraîné et piégé par ce flot.


Sans prise de conscience de ce fonctionnement, il est impossible d’y remédier définitivement. En demeurant en l’esprit, nous pouvons identifier une pensée et les diverses conditions ou circonstances qui lui sont liées. Ce travail permet de voir comment l’émotion est activée ainsi que la façon dont nous nous engageons pleinement dans son mouvement. Sans cette claire compréhension, nous ne pouvons pas envisager que nous créons nous-mêmes nos états d’âme. Nous nous focalisons alors sur un objet extérieur qui est identifié comme la source de notre mal-être. Si nous n’avons pas de prise sur ce qui est extérieur à nous-mêmes, en revanche, nous pouvons voir la façon dont notre esprit est complètement pris par l’émotion. Celle-ci influence la manière dont nous agissons et créons des conditions futures. Il s’agit alors de la véritable compréhension du fonctionnement de l’esprit. Tous ces mouvements se déroulent dans un laps de temps très court et, comme nous l’avons dit auparavant, les pensées se succèdent, sans interruption. Ce mécanisme complexe s’applique à chaque pensée, ce qui aboutit à l’imbroglio émotionnel et conceptuel quotidien qui est le nôtre. Tout se résume, en fait, aux mouvements de nos pensées, cette compréhension rend l’esprit libre. Sur cette base, peu importe que l’on choisisse de suivre une pensée ou une autre, car nous savons alors comment préserver notre liberté : toutes les perceptions sont assimilées à des mouvements dans l’esprit qui ne nous influencent plus, nous sommes donc totalement libres tout en demeurant des personnes impliquées dans la vie avec tout ce qu’elle comporte.





Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)

Extrait de Manuel des héros ordinaires. La voie des bodhisattvas, Rabsel Éditions, 2016.

 

Lama Jigmé Rinpoché, né au Tibet oriental, est arrivé en France en 1977. Il est le directeur spirituel de Dhagpo Kagyu Ling en Dordogne. Fort d’une solide expérience de l’Occident, son approche unique et moderne rend la sagesse du bouddhisme accessible et permet son application concrète dans la vie moderne.)


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