pour une bienveillance véritable
Le texte qui suit est la transcription d’un enseignement donné par lama Thoubtèn en 1975, à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Il est extrait de Devenez votre propre thérapeute, paru aux Éditions Mahayana (financement solidaire).
La méditation est un état d’esprit alerte, l’opposé de la paresse ; la méditation est sagesse. Vous pouvez rester conscient à chaque instant de votre vie quotidienne, pleinement conscient de ce que vous faites, de pourquoi et comment vous le faites.
Nous faisons presque tout de manière inconsciente. Nous mangeons inconsciemment, nous buvons inconsciemment, nous parlons inconsciemment. Même si nous prétendons être conscients, nous sommes complètement inconscients des tourments qui envahissent notre esprit et influencent tout ce que nous faisons.
Vérifiez par vous-même ; faites-en l’expérience. Je ne juge pas et je ne vous rabaisse pas. C’est ainsi que fonctionne le bouddhisme. Il vous donne des idées que vous pouvez corroborer par votre expérience personnelle pour voir si elles sont justes ou non. C’est très terre à terre ; je ne parle pas de quelque chose tout là-haut dans le ciel. C’est en fait une chose très simple.
« D’après le Bouddha, c’est à chacun de nous de devenir psychologue. Nous devrions tous connaître notre esprit ; vous devez devenir votre propre psychologue. »
Sans connaître le caractère spécifique de l’attachement et de ses objets[1], comment pouvez-vous engendrer de l’amour bienveillant envers vos amis, vos parents ou votre pays ? D’un point de vue bouddhique, c’est impossible. Lorsque vous faites du mal à vos parents ou à vos amis, c’est votre inconscient qui est en cause. Lorsqu’elle exprime sa colère, la personne en colère ignore complètement ce qui se passe dans son esprit. Ne pas être conscient vous entraîne à faire souffrir d’autres êtres et à leur manquer de respect ; ne pas être conscient de votre comportement et de votre attitude mentale vous fait perdre votre humanité. C’est tout. C’est très simple, n’est-ce pas ?
De nos jours, les gens étudient et suivent des formations pour devenir psychologues. D’après le Bouddha, c’est à chacun de nous de devenir psychologue. Nous devrions tous connaître notre esprit ; vous devez devenir votre propre psychologue. De toute évidence, c’est possible. Chaque être humain a la capacité de comprendre son esprit. Lorsque vous comprenez votre esprit, la maîtrise s’ensuit naturellement.
Ne pensez pas que la maîtrise ne soit qu’un « trip » himalayen, ou que cela doit être plus facile pour des gens qui n’ont que peu de biens. Cela n’est pas forcément vrai. La prochaine fois que vous aurez des troubles émotionnels, interrogez-vous. Au lieu de vous affairer à quelque chose pour vous distraire, détendez-vous et essayez de prendre conscience de ce que vous faites. Posez-vous les questions :
« Pourquoi fais-je ceci ? Comment est-ce que je le fais ? Quelle en est la cause ? » Vous vous apercevrez qu’il s’agit d’une expérience merveilleuse. Votre problème principal est un manque de sagesse-connaissance profonde, de discernement ou de conscience. Par conséquent, vous découvrirez que grâce à la compréhension, vous pouvez facilement résoudre vos problèmes.
Pour ressentir de l’amour bienveillant envers les autres, vous devez connaître la nature de l’objet. Sinon, même si vous dites : « Je l’aime », ce n’est que votre esprit arrogant qui vous emmène encore dans un autre « trip » de l’ego. Soyez sûr de savoir comment et pourquoi. Il est très important que vous deveniez votre propre psychologue. Vous pourrez alors vous soigner vous-même par la sagesse de la compréhension de votre esprit : vous pourrez vous détendre avec vos amis, les apprécier et profiter de vos biens au lieu de devenir agité et fougueux, et ainsi gâcher votre vie.
Pour devenir votre propre psychologue, il n’est pas nécessaire d’apprendre quelque philosophie magistrale. Il vous suffit, chaque jour, d’observer attentivement votre esprit. Vous examinez déjà des choses matérielles tous les jours : chaque matin, vous vérifiez les aliments présents dans votre cuisine ; mais vous n’examinez jamais votre esprit. Inspecter votre esprit est bien plus important.
Toutefois, la plupart des gens semblent penser le contraire. Ils semblent penser qu’ils peuvent simplement acheter la solution à n’importe quel problème qu’ils rencontrent. L’attitude matérialiste qui consiste à penser que l’argent permet d’acquérir tout ce dont on a besoin pour être heureux, que l’on peut même acheter la paix de l’esprit est de toute évidence fausse. Mais même si vous ne formulez pas les choses en ces termes, c’est ce que vous pensez. C’est une vue complètement fausse.
Même celles et ceux qui se considèrent comme des personnes pieuses ou spirituelles doivent comprendre leur esprit. La foi seule ne suffit jamais à mettre fin aux problèmes. La compréhension de la sagesse-connaissance y parvient toujours. Le Bouddha lui-même a dit : « Croire en Bouddha est dangereux ; au lieu de se contenter de croire en quelque chose, les gens doivent utiliser leur esprit pour essayer de découvrir leur nature véritable. » La croyance fondée sur la compréhension est bonne ; dès que vous réalisez quelque chose ou que cela est clair pour vous au niveau intellectuel, la croyance s’ensuit automatiquement. Cependant, si votre foi est fondée sur des idées fausses, elle peut facilement être détruite par ce que disent les autres.
Malheureusement, même si elles-mêmes se considèrent comme pieuses, beaucoup de personnes à tendance spirituelle sont faibles. Pourquoi ? Parce qu’elles ne comprennent pas la véritable nature de leur esprit. Si vous connaissez vraiment votre esprit et savez comment il fonctionne, vous comprenez alors que c’est l’énergie mentale qui vous empêche d’être en bonne santé mentale. Lorsque vous comprenez comment votre esprit voit ou perçoit le monde, vous réalisez non seulement que vous vous agrippez constamment au monde sensoriel, mais aussi que ce à quoi vous vous agrippez n’est qu’imaginaire. Vous constatez que vous êtes trop préoccupé par ce qui va se passer dans un avenir inexistant et complètement inconscient du moment présent, que vous ne vivez que pour une simple chimère, une projection. N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’un esprit inconscient du présent et faisant constamment une saisie sur l’avenir est rempli de mal-être ?
Dans votre vie quotidienne, il est important d’être conscient. La nature de la conscience et de la sagesse est la paix et la joie. Vous n’avez pas besoin de faire une saisie sur un résultat de joie future. Tant que vous suivrez de votre mieux le chemin de la compréhension juste et de l’action juste, le résultat sera immédiat, simultané avec l’action. Vous n’avez pas besoin de penser : « Si je passe ma vie à agir correctement, peut-être obtiendrai-je un bon résultat dans ma prochaine vie. » À quoi bon devenir obsédé par l’obtention de réalisations futures ? Tant que vous agissez dans le moment présent avec autant de compréhension que possible, vous réaliserez en un rien de temps une paix durable. Je pense que j’en ai suffisamment dit. Merci.
[1] Ndlr : les objets d’attachement sont liés par l’espoir ou la crainte, le désir ou l’aversion : 1- le désir de biens matériels et la crainte d’en être séparé, 2- l’espoir de la reconnaissance, de l’approbation et la crainte de la désapprobation, 3- le désir d’une victoire, de la réalisation d’un challenge et la crainte d’une « défaite », 4- le désir lié aux plaisirs des cinq sens et l’aversion envers les expériences désagréables.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°21 (Printemps 2022)
Lama Thoubtèn Yéshé (1935-1984) fut un des premiers maîtres tibétains à avoir enseigné en anglais. Il dédia incontestablement sa vie à transmettre l’essence des enseignements du Bouddha aux Occidentaux. Il appartient à la lignée Gelugpa du bouddhisme tibétain. En France, il a fondé l’Institut Vajra Yogini et le monastère de Nalanda.