Présentée par Sandrine Colombo
Sandrine Colombo : Très concrètement, quelles questions se posent afin de parvenir à ne pas faire souffrir autrui ?
Emmanuel Ollivier : La première chose, c’est qu’il faut prendre conscience de l’interdépendance de soi et des autres : à partir du moment où l’on va porter une action, il va également y avoir une incidence sur la personne qui se trouve en face ; notamment lorsqu’on a du pouvoir, et que l’on doit prendre des décisions, prendre en compte l’environnement est extrêmement important. La seconde chose c’est de dire qu’à partir du moment où nous sommes plusieurs, nous créons aussi une intelligence collective ; il s’agit de l’implication de chacun dans cette intelligence collective et de reconnaître la souveraineté de chacun en tant que personne unique, mais aussi en tant que personne interdépendante avec les autres.
Vous parlez de gouvernance collective : qu’est-ce que cela veut dire exactement, comment ça marche ?
Il y a des dimensions plus techniques : nous sommes souvent dans des organisations assez pyramidales. On se rend compte qu’aujourd’hui, on atteint les limites de ce modèle pour pouvoir répondre à la complexité des questions que nous nous posons, et pour pouvoir aussi permettre à chacun de s’épanouir dans une organisation, dans une entreprise ou dans une association. Il existe donc des outils, des manières de voir, des choses qui sont notamment moins pyramidales et plus transversales — comme par exemple un travail en cercle, avec des délégations, des processus qui nous permettent, à travers cela, de déjouer notamment les enjeux d’ego, de permettre à chacun de participer à une décision collective. C’est là qu’on parlera plutôt de consentement que de consensus.
Quelle est la différence ?
Dans le consensus, il y a un moment où on ne va pas aller au bout de la souveraineté de chacun pour essayer de trouver un dénominateur commun : souvent, si on a un consensus à 51 %, il y a tout de même 49 % de personnes qui ne se sont pas forcément exprimées – tandis que dans le consentement, on va tout de même plus loin : on parle davantage avec ce qu’on est, avec son corps, avec ses tripes, pour réellement s’exprimer et à un moment dire : « Au-delà de ce que je pense et de ma décision, à travers ce bien commun et ce travail collectif, nous allons faire émerger une prise de décision. » C’est comme dans la pratique : répéter ces outils avec des processus très normés, c’est à un moment lâcher prise sur les questions d’ego pour atteindre un degré de coopération qui soit beaucoup plus important, et beaucoup plus mature.
Extrait de l’émission Bouddhisme & management responsable
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°7 (Été 2018)
Emmanuel Ollivier est engagé dans le bouddhisme theravada mais aussi dans la tradition zen. Il préside l’association Terre d’éveil qui s’adresse à un public laïc engagé dans la vie et qui propose des retraites et des enseignements, tous issus du canon pali.