Par lama Jampa Thayé
L’une des principales causes du bonheur se trouve dans la relation et l’ouverture aux autres. Alors comment y parvenir ? Comment passer d’un sentiment d’autosuffisance et d’une attitude plutôt indifférente à l’égard des autres à ce qui est, à mon avis, la voie du bonheur, à savoir l’ouverture du cœur, la chaleur humaine, et l’empathie ? Nous pourrions appeler cette voie du cœur « amour bienveillant », un terme qui puise ses sources dans la Bible.
Commençons par nous ouvrir au fait que nous sommes étroitement liés les uns aux autres. Pour prendre une image qui peut sembler un peu étrange, imaginons que chacun de nous vit derrière un bloc de glace, dans son propre compartiment. Il y a un mur de glace entre soi et les autres. Oui, de temps à autre nous jetons un coup d’œil par-dessus le mur pour tenter d’y percevoir quelque chose qui pourrait nous être utile, mais nous sommes essentiellement emmurés, séparés les uns des autres. Les autres s’occupent d’eux ; je m’occupe de moi. Mais ce n’est qu’un mur de glace, et le propre de la glace c’est que certaines conditions la font fondre.
Et qu’est-ce qui va faire fondre cette cloison de glace pour que nous puissions entrer en contact avec les autres, nous ouvrir à eux et sentir leur présence dans notre vie ? L’amour. La chaleur de l’amour va faire fondre ce mur de glace et nous réchauffer.
Comment s’y prendre ? Nous devons commencer par reconnaître que nous sommes déjà liés aux autres, mur de glace ou pas. Même si nous avons parfois l’impression que nous sommes séparés, la connexion est la réalité plus profonde. Notre vie dépend des autres. Et pour que l’amour nous parle, pour commencer à faire fondre ce mur de glace, un bon point de départ est de penser à ceux avec lesquels nous avons les liens les plus étroits. Et de manière générale, ce sont nos parents.
« L’amour. La chaleur de l’amour va faire fondre ce mur de glace et nous réchauffer. »
Nous pouvons cultiver l’amour bienveillant en pensant à nos parents et en nous rappelant tout ce qu’ils ont fait pour nous. Dans cet exercice, nous nous demandons : « Qu’est-ce que je souhaite pour eux ? Qu’est-ce qui serait le mieux ? » La réponse est évidente, n’est-ce pas ? Après tout, que voulaient-ils pour moi ? Ils voulaient mon bonheur. Naturellement, le bonheur est ce que je souhaite pour eux aussi. Et qu’est-ce qui le leur apporterait ? Est-ce une abondance de biens matériels ? Bien entendu, je veux qu’ils soient logés, je veux qu’ils soient à l’aise, je ne veux pas qu’ils manquent de ce dont ils ont besoin. Mais cela ne suffit pas. Je veux qu’ils aient les vraies causes du bonheur : l’épanouissement individuel, affectif et spirituel. Et tant qu’on y est, mon souhait dépasse le moment présent. Je veux que leur bonheur continue. Quand je réfléchis aux causes de ce bonheur, je veux qu’ils mènent une belle vie, et qu’ils la prennent du bon côté. Qu’ils soient gentils avec les autres et prennent soin d’eux. Je veux qu’ils développent les qualités qui sont les véritables causes du bonheur, car c’est cela qui va assurer leur bien-être à long terme. Au fond, c’est cela même qu’ils voulaient pour moi.
Certes, il ne s’agit peut-être que d’un simple souhait dont le fondement est le bonheur et la cause du bonheur, mais plus nous le développons, plus nos cœurs se mettent à s’ouvrir. Et plus nous nous sentons légers et joyeux. Maintenant, essayons d’élargir notre champ de conscience et voyons où cela nous mène.
Si je suis reconnaissant envers ma mère et mon père et que je veux leur bonheur, qu’en est-il du reste de ma famille et de mes amis ? Qu’en est-il de ceux qui m’ont aidé – les enseignants et autres personnes qui m’ont soutenu et envers lesquels je suis reconnaissant ? Ils veulent être heureux tout comme ils voulaient que je le sois ; naturellement, c’est ce que je souhaite pour eux aussi ! Je les imagine en développant cette aspiration : puissent-ils trouver le bonheur et (encore une fois) la cause du bonheur, cette bonté vitale qui résultera en un bien-être durable pour eux. Je demeure dans cette pensée, cette aspiration profonde ; je la cultive dans mon for intérieur. Même si ça commence par un souhait tout simple, c’est comme s’il donnait accès à un recoin de mon cœur. Une petite porte s’entrouvre et je deviens plus chaleureux et plus lié aux autres – et mon bonheur afflue.
Maintenant tentons l’expérience avec ceux qui habitent aux alentours et au-delà, ceux que nous ne connaissons pas personnellement. Ils vivent leur vie comme tout un chacun mais que veulent-ils ? Ils veulent être heureux, alors moi aussi je le veux pour eux ! Le bonheur ainsi que la cause du bonheur : qu’ils vivent bien. Qu’ils soient gentils et attentionnés, qu’ils protègent et prennent soin des autres. Je veux qu’ils éprouvent cette bonté maintenant et toujours. Génial ! Ce sentiment de chaleur bienveillante et de lien avec les autres commence vraiment à me faire vibrer !
Mais qu’en est-il des gens désagréables ? Ils me déplaisent, certes, mais dans d’autres circonstances nous aurions pu être potes. Il existe un dicton bien connu : les ennemis d’hier deviennent les amis d’aujourd’hui ; les amis d’aujourd’hui peuvent être les enquiquineurs de demain. La vie tourne et les choses changent. Alors oui, je les ai peut-être rencontrés au mauvais moment ; ils m’ont peut-être rencontré au mauvais moment. Nous ne nous sommes pas entendus, nous nous sommes embrouillés. Je les considère peut-être comme des adversaires, mais quelle que soit l’étiquette que je leur colle en ce moment, ce n’est qu’une étiquette. Si je veux bien regarder, je vois qu’ils veulent le bonheur tout autant que moi. Et si je le veux pour moi, ne dois-je pas le vouloir pour les autres, y compris les « adversaires » ou autres individus qui me gênent ?
Si je peux m’ouvrir de cette façon, si je peux maintenir de manière stable et concentrée ce souhait de bonheur même quand il s’agit des gens difficiles, qu’est-ce qui m’empêche de l’élargir au monde entier ? Rien ! Je peux vraiment m’ouvrir au monde entier avec une aspiration ferme et sincère : puissiez-vous trouver le bonheur et la cause du bonheur.
Quoi ? On craint qu’il n’y ait pas assez de bonheur pour tout le monde ? Il y en a largement. Ce n’est pas un jeu où le gagnant remporte tout. Au début j’ai peut-être pu penser que si les autres avaient plein de bonheur, j’en aurais moins. Mais voilà que la chaleur de mon cœur a fait fondre la glace et j’ai été libéré de mon compartiment individualiste. Ce fardeau de l’obsession égoïste, de la névrose, du moi, moi, moi qui compte le plus a fini par se dissoudre. J’ai compris que plus j’ai de l’empathie pour les autres, plus je m’ouvre à eux et les comble dans mes souhaits, plus je ressens de la joie et de la lumière. Je suis transformé et porté par l’amour bienveillant.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°21 (P rintemps 2022)
Traduction : Pamela Gayle White
Ce texte est la transcription d’un enseignement oral donné dans les modules de méditation de https://mindworks.org
Lama Jampa Thayé est un maître de méditation et un érudit formé dans les traditions Sakya et Kagyü du bouddhisme tibétain. Docteur en histoire religieuse tibétaine, il vit à Londres avec sa famille et enseigne dans des organisations bouddhistes internationales.