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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Chronique capillaire

Dernière mise à jour : 13 août


Et on vous oblige à vous raser la tête ? » La dame me regarde d’un air compatissant. C’est fou comme les expressions du visage sont transparentes à qui les ob- serve avec attention. Il y a quelques années j’ai étudié l’hyper-calibration, technique — bien connue des joueurs de po- ker — permettant de détecter les émotions les plus infimes sur les traits du visage. Chez cette dame, fort gentille au demeurant, on décèle un mélange successif de colère et de pitié. « On » m’a obligée à me raser le crâne ! Elle compatit et serait sans doute prête à me défendre bec et ongles si un moine surgissait soudainement avec un rasoir pour me déplumer le ciboulot !


Cette question des cheveux est sans aucun doute la plus fré- quente dans ma vie de nonne bouddhiste. Pour les moines, elle se pose moins car la mode est aux crânes rasés. Toute per- sonne de la gente masculine atteinte de calvitie précoce, voire d’une légère alopécie, y succombe... Ça fait du monde ! Pour les femmes, cette pratique est plutôt rare, réservée aux nonnes, aux personnes en chimio ou aux artistes. Alors, je commence mon petit laïus habituel : « On ne nous oblige pas. On se rase le jour de l’ordination, de manière symbolique, pour couper avec les attachements. Ensuite, tout dépend de notre vie. Si c’est possible, si on habite dans un monastère par exemple, on continuera à le faire, sinon on garde les cheveux les plus courts possibles. »

La dame n’est pas convaincue. Les cheveux quand même, pour une femme, c’est important ! Elle esquisse une moue désap- probatrice et cela me rappelle mon père, il y a une quinzaine d’années. Lorsque je lui rendais visite, avec 2-3 centimètres de cheveux sur le crâne au lieu des 2 mm habituels — vacances oblige —, il m’accueillait avec la phrase suivante : « Quand même, quand tu as un peu de cheveux, ça te va mieux. »


L’inconscient collectif semble avoir associé le rasage du crâne à une forme de flagellation. S’enlaidir exprès, se mutiler, se faire souffrir, revêtir le cilice... et gagner son billet pour le paradis ! Certains ancrages religieux ont la vie dure, ayant fait du corps et de la beauté l’ennemi à abattre.

Mais rien de tout cela dans le bouddhisme ! Je reprends donc mon discours (j’allais dire mon homélie) pour cette dame, et pour ses amis que le sujet semble captiver. « Nous nous rasons la tête une fois par semaine, en chantant un petit sutra, un chant bouddhiste. Moi j’adore le faire. C’est comme un profond nettoyage, à chaque fois. Chaque semaine l’occasion symbo- lique de repartir à zéro, avec un visage neuf... et une nouvelle coupe de cheveux ! C’est rafraîchissant. »

La dame hausse les sourcils l’air étonné, souris et réplique : « Oui, enfin vous ça vous va bien, moi je ne pourrais pas, j’ai le crâne bosselé ».


P.S. : La deuxième question la plus fréquemment posée étant « Et vous pouvez vous marier ? » (doux euphémisme de la vraie ques- tion : « Vous avez le droit d’avoir une vie sexuelle ? » ), elle fera l’objet de la prochaine chronique


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°11 (Automne 2019)

 



Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteure du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis une quinzaine d’années dans un monastère en Alsace.


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