Méditer avec la bienveillance
Par Thanissaro Bhikkhu
Retraite du 22 avril au 1er mai 2019 à Moustiers-Sainte-Marie, dans le Parc naturel régional du Verdon
Fermez les yeux et mettez-vous en position. Faites venir à l’esprit des pensées de bienveillance. Avoir de la bienveillance, c’est souhaiter trouver un bonheur vrai. C’est une qualité que le Bouddha a mise en lien avec le discernement. Il a dit qu’à chaque fois que vous éprouvez de la malveillance envers quelqu’un, c’est le signe que vos vues sont fausses. Et comme le but de ses enseignements est de trouver le bonheur véritable, la bienveillance sous-tend toutes les autres perfections.
Alors, commencez par avoir de la bienveillance pour vous-même. Dites-vous : « Puissé-je être véritablement heureux. » Et réfléchissez à ce que cela veut dire. Le bonheur ne vient pas simplement d’un souhait, il vient de nos actions. Donc, lorsque vous exprimez de la bienveillance envers vous-même, vous vous dites : « Puissé-je comprendre les causes du bonheur véritable et être capable d’agir en conséquence. »
Ensuite, dirigez cette pensée vers d’autres personnes. Commencez par celles qui vous sont proches : votre famille, vos amis. Puissent-ils eux aussi trouver le bonheur véritable.
Puis, laissez cette pensée se propager vers des cercles de gens de plus en plus larges : vers ceux que vous connaissez et que vous aimez bien, vers ceux que vous aimez bien sans trop les connaître, vers les personnes envers lesquelles vous êtes plus neutre, et vers les gens que vous n’aimez pas. Rappelez-vous que même si ces personnes ont causé beaucoup de tort, vous pouvez quand même souhaiter qu’elles changent leur comportement ; et ça, c’est un vœu que vous pouvez faire pour tout le monde sans être hypocrite.
Laissez ces pensées de bienveillance se propager même vers les gens que vous ne connaissez pas. Et pas seulement les gens, les êtres vivants de toutes sortes, dans toutes les directions – à l’est, à l’ouest, au nord, au sud, au-dessus, en dessous, vers l’infini. Puissions-nous tous trouver le bonheur véritable dans notre cœur.
À présent, portez votre attention sur la respiration. Le mot respiration dans ce contexte ne veut pas seulement dire l’air qui entre et qui ressort des poumons. Il désigne également le flux d’énergie qui circule dans le corps, et ce à plusieurs niveaux. Au niveau le plus évident, il y a le flux d’énergie qui permet à l’air d’entrer et de ressortir des poumons. Donc, prenez quelques longues respirations et essayez de voir où vous sentez cette énergie respiratoire. Si les longues respirations vous sont plaisantes, continuez sur ce rythme. Si ce n’est pas confortable, vous pouvez en changer. Essayez différents types de respiration afin de voir ce qui convient le mieux au corps en ce moment : longue ou courte, rapide ou lente, profonde ou peu profonde, lourde ou légère.
Si des pensées qui ne sont pas liées à la respiration détournent votre attention, abandonnez-les immédiatement et vous vous retrouverez présent à votre respiration. Si votre esprit s’égare dix fois, ou même cent fois, ramenez-le dix fois ou cent fois. Ne vous laissez pas décourager. Chaque fois que vous revenez, récompensez votre effort en prenant une inspiration particulièrement satisfaisante. De cette façon, l’esprit sera plus enclin à vouloir revenir à la respiration. Si vous avez des douleurs dans le corps, où qu’elles soient, ne vous focalisez pas dessus. Concentrez-vous au contraire là où les sensations sont agréables.
Lorsque la respiration devient plaisante, le danger est d’avoir tendance à abandonner le souffle pour suivre le plaisir, ce qui vous fait perdre la base de votre concentration. C’est pourquoi, afin de contrecarrer cette tendance, dès que la respiration devient confortable, la prochaine étape consiste à inspirer et à expirer en étant conscient du corps tout entier. Et le premier pas dans cette direction est d’observer les sensations de la respiration dans différentes parties du corps, section par section.
Commencez autour du nombril. Localisez cette partie du corps dans votre esprit. Observez-la pendant quelque temps en inspirant et en expirant, afin de voir quel type de respiration convient le mieux à cet endroit. Si vous ressentez une tension ou une pression quelconques, laissez-les se détendre et se dissiper. Respirez de manière à ce qu’aucune nouvelle tension ne se forme pendant l’inspiration, et sans vous crisper pendant l’expiration.
À présent, fixez votre attention vers la droite, vers le côté droit de l’abdomen, et suivez les mêmes étapes à cet endroit. Premièrement, localisez cette partie du corps dans votre esprit. Deuxièmement, observez-la pendant quelque temps en inspirant et en expirant afin de voir quel type de respiration convient le mieux à cet endroit. Et troisièmement, si vous ressentez une tension ou une pression quelconques, laissez-les se détendre.
Maintenant, déplacez votre attention vers la gauche, vers le côté gauche de l’abdomen, et suivez les trois mêmes étapes à cet endroit.
À présent, portez votre attention sur le plexus solaire, juste à la pointe du sternum, et procédez de la même façon.
Maintenant, déplacez votre attention vers la droite, vers le flanc droit.
Puis vers la gauche, vers le flanc gauche.
Ensuite, fixez votre attention au milieu de la poitrine. Essayez d’être particulièrement sensible à l’énergie respiratoire autour du cœur, et respirez d’une manière qui soit très apaisante pour cet endroit.
À présent, déplacez votre attention vers la droite, à l’endroit où la poitrine et l’épaule se rencontrent.
Et ensuite, au même endroit sur la gauche. Maintenant, fixez votre attention au bas de la gorge.
À présent, portez votre attention au milieu de la tête. Inspirez et expirez en imaginant que l’énergie respiratoire entre de partout dans la tête : pas seulement par le nez, mais aussi par les yeux, les oreilles, par l’arrière de la tête, descendant depuis le sommet du crâne, et allant jusqu’au fond du cerveau. Laissez se dissiper toutes les formes de tension que vous pouvez ressentir n’importe où dans la tête : autour de la mâchoire, autour du front, autour des yeux et dans la nuque.
Maintenant, fixez votre attention à la base du cou, juste au bas du crâne. Lorsque vous inspirez, imaginez que l’énergie respiratoire entre par la nuque, descend le long du cou, traverse les épaules, les bras, jusqu’au bout des doigts. Lorsque vous expirez, imaginez que l’énergie se propage dans l’air par les pores de la peau depuis toutes ces parties du corps.
À mesure que vous développez votre sensibilité à ces endroits du corps, si vous vous apercevez qu’un côté a accumulé plus de tension que l’autre, laissez ce côté se détendre et faites en sorte qu’il reste détendu tout au long de l’inspiration, et tout au long de l’expiration.
Une fois que les formes de tension les plus évidentes commencent à se dissiper, voyez si vous arrivez à détecter des niveaux de tension plus subtils qui étaient jusqu’alors dissimulés par ces couches plus grossières. Laissez se détendre même les tensions les plus infimes que vous parvenez à déceler.
À présent, tout en maintenant votre attention sur la nuque, inspirez en imaginant cette fois-ci que l’énergie pénètre à cet endroit et descend des deux côtés de la colonne vertébrale, jusqu’au coccyx. Puis expirez en imaginant que l’énergie se propage dans l’air depuis la colonne vertébrale tout entière. Et là encore, si vous remarquez que le dos a accumulé plus de tension d’un côté que de l’autre, laissez ce côté se détendre. Et essayez de devenir de plus en plus sensible aux formes de tension les plus infimes qui peuvent apparaître dans cette partie du corps. Dès que vous parvenez à les détecter, laissez-les se détendre.
Maintenant, fixez votre attention sur le coccyx. Lorsque vous inspirez, imaginez que l’énergie pénètre à cet endroit et descend à travers les hanches, le long des jambes, jusqu’au bout des doigts de pied. Puis expirez en visualisant l’énergie se propageant dans l’air depuis ces parties du corps. Et là encore, s’il y a plus de tension d’un côté que de l’autre, laissez ce côté se détendre et faites en sorte qu’il reste détendu, tout au long de l’inspiration et de l’expiration. Lorsque vous explorez ces parties du corps, essayez de détecter des formes de tension toujours plus subtiles et laissez-les se dissoudre.
Vous avez à présent terminé un cycle complet d’examen du corps. Si vous méditez tout seul, vous pouvez recommencer ce cycle autant de fois que vous le désirez. Mais pour l’instant, choisissez un endroit du corps qui vous semble particulièrement agréable ou intéressant. Laissez votre attention s’établir à cet endroit, puis se propager et remplir tout le corps, de façon à être conscient du corps tout entier lorsque vous inspirez, et du corps tout entier lorsque vous expirez.
Le champ de votre attention aura tendance à se rétrécir, particulièrement pendant l’expiration, alors répétez-vous à chaque fois que vous inspirez et expirez : « Le corps tout entier, le corps tout entier. » Laissez votre respiration trouver le rythme qui lui convient. Il n’y a rien d’autre que vous ayez à faire en ce moment, rien à quoi vous devez penser. Votre devoir est simplement de maintenir cette attention centrée, mais vaste. Elle a le pouvoir de soigner le corps et de soigner l’esprit, et elle procure une bonne fondation pour le développement de la vision pénétrante. Mais ne vous préoccupez pas de la vision pénétrante pour l’instant, assurez-vous simplement que cette fondation est aussi solide que possible.
Avant de quitter la méditation, souvenez-vous que pour faire cela correctement, il faut suivre trois étapes.
La première consiste à vous demander : « À quel moment de la méditation est-ce que l’esprit a été particulièrement bien centré, calme, et confortable ? À quel moment est-ce qu’il a été particulièrement clair ? » Demandez-vous ensuite : « À quel endroit est-ce que j’étais focalisé à ce moment-là ? Comment était la respiration ? Qu’est-ce que j’avais fait, qui m’a conduit à ce stade-là ? » Si vous pouvez vous souvenir de ces choses-là, essayez de les conserver à l’esprit, et de voir si vous pouvez les appliquer la prochaine fois que vous méditerez, pour recréer les mêmes conditions et obtenir les mêmes résultats. Il est possible que vous n’obteniez pas les mêmes résultats. Mais cela signifie simplement que vous aurez besoin d’être plus observateur la fois suivante. Vous deviendrez graduellement plus habile pour remarquer ce qui vaut la peine que vous y fassiez attention, et non. C’est de cette manière que la méditation devient une habileté.
Ça, c’est la première étape.
La deuxième étape consiste à penser à la paix ou au calme que vous avez pu ressentir au cours de cette séance, et à le dédier aux autres. Soit à des personnes particulières dont vous savez qu’elles souffrent en ce moment même, soit à tous les êtres vivants, dans toutes les directions : « Puissions-nous tous trouver la paix et le bien-être dans notre cœur. »
La troisième étape consiste à vous souvenir que bien que vous ouvriez les yeux, vous pouvez cependant être conscient de l’énergie respiratoire dans le corps lorsque vous vous levez, que vous marchez, quelles que soient vos occupations. Essayez de rester pleinement conscient de cette énergie respiratoire aussi continuellement que vous le pouvez. Il est possible que cela soit trop exiger de vous de vous demander d’essayer de vous focaliser sur l’inspiration et l’expiration tout le temps, mais essayez juste d’être conscient de la qualité de l’énergie respiratoire dans le corps, et libérez tout schéma de tension que vous pouvez détecter, dès qu’il apparaît, au fil de la journée. Cela vous fournit ainsi un bon fondement pour observer votre esprit tout au long de la journée. Cela vous fournit aussi un sens d’être ancré dans vos activités quotidiennes. Cela aide votre pratique à se renforcer.
Voyez si vous pouvez maintenir cette conscience du corps tout entier jusqu’à la fois suivante où vous allez vous asseoir pour méditer. Quand vous prendrez la position assise pour vous focaliser sur la respiration, vous serez ainsi tout de suite là.
Et à présent, vous pouvez ouvrir les yeux.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°21 (Printemps 2022)
Transcription : Les Enseignements du Refuge – Livret n° 24 - www.refugebouddhique.com
Traduction : Khamano Bhikkhu
Thanissaro Bhikkhu est un moine bouddhiste theravada de l’ordre Dhammayut. Il est actuellement l’abbé du monastère de la forêt de Metta (Metta Forest Monastery) dans le comté de San Diego, aux États-Unis.